Les troubles alimentaires chez les adolescents : Quel sont les facteurs de risque et stratégies d'intervention ?
L'adolescence est une terre de séismes. Le corps, autrefois familier, devient un paysage en pleine métamorphose, redessiné par des forces hormonales puissantes et souvent déroutantes. Simultanément, le psychisme s'engage dans une quête identitaire complexe, oscillant entre le désir d'autonomie et le besoin d'appartenance. C'est sur ce terrain mouvant, ce champ de bataille intérieur où s'affrontent biologie et psychologie, que les troubles des conduites alimentaires (TCA) trouvent un terreau tragiquement fertile. Loin d'être de simples caprices ou des choix de vie extrêmes, ces pathologies psychiatriques graves s'enracinent dans une interaction complexe de vulnérabilités biologiques, de traits de personnalité, de dynamiques familiales et de pressions socioculturelles écrasantes. Elles représentent l'une des problématiques de santé mentale les plus préoccupantes de cette période charnière de la vie, en raison de leur prévalence croissante, de leur morbidité somatique et psychiatrique élevée, et d'un taux de mortalité qui, pour l'anorexie mentale, surpasse celui de toutes les autres maladies psychiatriques.
Cet article se propose de disséquer cette réalité clinique avec la rigueur qu'elle impose. Nous plongerons au cœur de la mosaïque étiologique des TCA chez l'adolescent, en déconstruisant les multiples facteurs de risque qui pavent la voie vers la maladie. Puis, nous nous tournerons vers la lumière, en examinant de manière approfondie les stratégies d'intervention fondées sur les preuves scientifiques, celles qui offrent aujourd'hui les meilleures chances de guérison. Il ne s'agit pas seulement de comprendre la pathologie, mais de cartographier les chemins qui permettent d'en sortir, en armant les cliniciens, les familles et la société des connaissances nécessaires pour agir de manière précoce et efficace.
A. Définition et Classification des Troubles Alimentaires
Pour appréhender la complexité des troubles alimentaires, une clarification nosographique s'impose. Ces troubles sont classifiés comme des affections psychiatriques dans les manuels diagnostiques de référence, tels que le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-5) et la Classification Internationale des Maladies (CIM-11). Leur caractéristique commune est une perturbation persistante de l'alimentation ou du comportement alimentaire, entraînant une altération de la consommation ou de l'absorption de la nourriture et ayant des répercussions délétères significatives sur la santé physique et le fonctionnement psychosocial. Chez l'adolescent, trois diagnostics principaux prédominent.
L'Anorexie Mentale (Anorexia Nervosa) L'anorexie mentale se caractérise par trois critères essentiels :
- Restriction des apports énergétiques par rapport aux besoins, conduisant à un poids corporel significativement bas pour l'âge, le sexe, la trajectoire développementale et la santé physique.
- Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, ou un comportement persistant qui interfère avec la prise de poids, alors que le poids est déjà significativement bas.
- Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estime de soi, ou déni persistant de la gravité de la maigreur actuelle. On distingue deux sous-types : le type restrictif, où la perte de poids est principalement obtenue par le régime, le jeûne et/ou l'exercice physique excessif, et le type avec crises de boulimie/comportements purgatifs, où l'individu présente des épisodes récurrents de crises de boulimie et/ou se fait vomir ou utilise des laxatifs, des diurétiques ou des lavements.
La Boulimie Nerveuse (Bulimia Nervosa) La boulimie nerveuse est définie par la survenue récurrente de crises de boulimie. Une crise de boulimie est caractérisée par deux éléments :
- L'absorption, en une période de temps limitée (par exemple, moins de deux heures), d'une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des gens mangeraient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances.
- Un sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise. Ces crises sont suivies de comportements compensatoires inappropriés et récurrentsvisant à prévenir la prise de poids, tels que les vomissements provoqués, l'emploi abusif de laxatifs, de diurétiques ou d'autres médicaments, le jeûne ou l'exercice physique excessif. Pour poser le diagnostic, ces comportements doivent survenir, en moyenne, au moins une fois par semaine pendant trois mois. L'estime de soi est, comme dans l'anorexie, influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle.
Le Trouble d'Hyperphagie Boulimique (Binge-Eating Disorder) Ce trouble, récemment individualisé comme un diagnostic à part entière dans le DSM-5, partage avec la boulimie nerveuse la présence de crises de boulimie récurrentes. Cependant, il s'en distingue par l'absence de comportements compensatoires inappropriés réguliers. Les crises d'hyperphagie sont associées à au moins trois des caractéristiques suivantes : manger beaucoup plus rapidement que la normale, manger jusqu'à ressentir une distension abdominale inconfortable, manger de grandes quantités de nourriture en l'absence d'une sensation physique de faim, manger seul parce que l'on est gêné par la quantité de nourriture que l'on mange, et se sentir ensuite dégoûté de soi-même, déprimé ou très coupable. Une détresse marquée est associée à ces crises, qui surviennent, en moyenne, au moins une fois par semaine pendant trois mois.
Il est crucial de noter l'existence de la catégorie "Autre trouble de l'alimentation ou de la conduite alimentaire spécifié" (AFSED en français, OSFED en anglais), qui regroupe les tableaux cliniques causant une détresse significative mais ne remplissant pas la totalité des critères d'un des troubles ci-dessus. Cette catégorie est en réalité la plus fréquente en pratique clinique, soulignant que la souffrance n'est pas proportionnelle à la complétude des critères diagnostiques.
B. L'Épidémiologie des Troubles Alimentaires à l'Adolescence : Un Tableau Inquiétant
L'adolescence et le début de l'âge adulte constituent la période de risque maximale pour l'émergence des TCA. Les données épidémiologiques, bien que variables selon les méthodologies et les populations étudiées, dessinent une tendance préoccupante.
Les études de prévalence sur la vie entière estiment que l'anorexie mentale affecte environ 0.5% à 1% des adolescentes et jeunes femmes, la boulimie nerveuse 1% à 3%, et le trouble d'hyperphagie boulimique jusqu'à 3.5%. Si l'on inclut les formes subcliniques et les troubles non spécifiés (AFSED), la prévalence globale des troubles du comportement alimentaire chez les adolescents pourrait atteindre, voire dépasser, 5% à 10%. L'âge d'apparition typique se situe entre 14 et 18 ans pour l'anorexie mentale et légèrement plus tard, entre 18 et 25 ans, pour la boulimie nerveuse, bien que des cas de plus en plus précoces soient rapportés.
Historiquement considérés comme des pathologies quasi exclusivement féminines, les TCA sont de plus en plus reconnus chez les adolescents de sexe masculin. Le ratio femme/homme, traditionnellement estimé à 10:1, est aujourd'hui réévalué et se situerait plutôt autour de 3:1 ou 4:1 lorsque l'on prend en compte le trouble d'hyperphagie boulimique et les formes atypiques. Chez les garçons, la préoccupation peut être moins centrée sur la minceur et davantage sur la musculature (un phénomène parfois appelé "bigorexie" ou dysmorphie musculaire), menant à des régimes hyperprotéinés stricts et à un usage potentiellement dangereux de suppléments ou de stéroïdes.
L'incidence de ces troubles semble également en augmentation, particulièrement depuis la pandémie de COVID-19. Les périodes de confinement, l'isolement social, l'anxiété accrue, l'interruption des routines et l'exposition intensifiée aux réseaux sociaux ont créé un "cocktail toxique" qui a favorisé l'éclosion ou l'aggravation des TCA chez de nombreux jeunes, entraînant une saturation des services spécialisés à travers le monde.
C. Les Facteurs de Risque : Une Mosaïque Étiologique Complexe
Aucun facteur unique ne peut expliquer l'apparition d'un trouble alimentaire. Le modèle étiologique le plus pertinent est le modèle biopsychosocial, qui conçoit le TCA comme le résultat d'une interaction dynamique entre des facteurs de prédisposition (biologiques, psychologiques), des facteurs déclenchants (événements de vie, régimes) et des facteurs de maintien (conséquences physiques et psychologiques de la dénutrition et des comportements pathologiques).
Facteurs Biologiques et Génétiques
- Héritabilité : La recherche a solidement établi une composante génétique. Les études sur les jumeaux montrent des taux de concordance pour l'anorexie mentale significativement plus élevés chez les jumeaux monozygotes (identiques) que chez les dizygotes (fraternels). L'héritabilité de l'anorexie mentale est estimée entre 50% et 60%. Avoir un parent au premier degré atteint d'un TCA multiplie par 7 à 12 le risque d'en développer un soi-même. Les recherches en génomique tentent d'identifier les gènes spécifiques impliqués, qui semblent être liés non seulement au métabolisme, mais aussi à des traits psychiatriques comme l'anxiété et l'obsessionnalité.
- Neurobiologie : Des dysrégulations au niveau des systèmes de neurotransmetteurs sont impliquées. Le système sérotoninergique, qui régule l'humeur, l'anxiété, l'appétit et l'impulsivité, est fréquemment perturbé. Le système dopaminergique, lié au circuit de la récompense, pourrait également jouer un rôle : chez les patientes anorexiques, la nourriture pourrait être perçue comme aversive plutôt que plaisante, tandis que la restriction serait vécue comme gratifiante et apaisante.
- La puberté : Cette période de changements hormonaux et corporels rapides constitue un déclencheur biologique majeur. Pour certaines jeunes filles, l'augmentation de la masse grasse, un processus physiologique normal, est vécue comme une menace intolérable, catalysant l'entrée dans la restriction.
Facteurs Psychologiques et Individuels Certains traits de tempérament et de personnalité constituent une vulnérabilité significative.
- Le perfectionnisme : Il s'agit d'une tendance à s'imposer des standards de réussite excessivement élevés et à être très autocritique. Dans les TCA, ce perfectionnisme se focalise sur le poids, la forme corporelle et l'alimentation.
- Les traits obsessionnels-compulsifs : La rigidité cognitive, le besoin de contrôle, la pensée ritualisée et les préoccupations excessives sont des caractéristiques centrales, en particulier dans l'anorexie mentale. Le comptage des calories, les rituels alimentaires et l'exercice compulsif sont des manifestations directes de ces traits.
- Le névrosisme et l'anxiété : Une tendance générale à l'instabilité émotionnelle, à l'inquiétude et à l'anxiété est un facteur de risque bien établi pour tous les TCA. Le trouble d'anxiété sociale et le trouble anxieux généralisé précèdent souvent l'apparition du TCA.
- La faible estime de soi : Une perception de soi globalement négative rend l'adolescent plus susceptible de baser sa valeur personnelle quasi exclusivement sur son apparence physique. Le contrôle du poids devient alors une stratégie illusoire pour tenter d'améliorer son estime de soi.
- L'insatisfaction corporelle : C'est l'un des prédicteurs les plus puissants. Cette perception négative de son propre corps est nourrie par des comparaisons sociales et l'internalisation d'idéaux corporels irréalistes.
- Les comorbidités psychiatriques : Les TCA coexistent très fréquemment avec d'autres troubles. La dépression, les troubles anxieux et le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) sont les plus courants. Il est souvent difficile de déterminer si ces troubles précèdent, co-occurrent ou résultent du TCA, créant des cercles vicieux complexes.
Facteurs Familiaux et EnvironnementauxL'environnement familial ne "cause" pas un TCA, mais certaines dynamiques peuvent augmenter la vulnérabilité ou contribuer au maintien du trouble.
- Antécédents familiaux : La présence de TCA, de dépression, d'anxiété ou de troubles liés à l'usage de substances chez les membres de la famille augmente le risque, en partie par transmission génétique mais aussi par modélisation des comportements.
- Attitudes familiales face au poids et à l'alimentation : Des parents excessivement préoccupés par leur propre poids, qui suivent des régimes stricts, ou qui font des commentaires critiques sur le poids ou l'apparence de leurs enfants peuvent favoriser l'insatisfaction corporelle et le recours au régime.
- Dynamiques familiales : Bien que les théories anciennes sur les "familles psychosomatiques" soient aujourd'hui dépassées, certaines caractéristiques comme une faible cohésion, un haut niveau de conflit, une surprotection (enmeshment) ou des attentes de performance très élevées peuvent constituer un stress qui contribue à l'éclosion du trouble chez un adolescent prédisposé.
- Traumatismes et abus : Une histoire d'abus physique, sexuel ou émotionnel est un facteur de risque significatif, particulièrement pour la boulimie nerveuse. Le TCA peut alors émerger comme une tentative de reprendre le contrôle sur son corps et de gérer des émotions insupportables.
Facteurs Socioculturels Les adolescents baignent dans une culture qui exerce une pression immense en matière d'apparence.
- L'internalisation de l'idéal de minceur (ou de musculature) : La société occidentale, via les médias traditionnels et surtout les réseaux sociaux, promeut un idéal corporel souvent inaccessible et malsain. L'internalisation de cet idéal – c'est-à-dire le fait de l'adopter comme un standard personnel – est un précurseur direct de l'insatisfaction corporelle et du régime.
- Les réseaux sociaux : Des plateformes comme Instagram, TikTok ou Snapchat exacerbent les phénomènes de comparaison sociale. Les algorithmes peuvent enfermer les adolescents dans des "bulles de contenu" axées sur la perte de poids, le "clean eating" ou le fitness extrême, normalisant des comportements pathologiques. Les images retouchées et les "influenceurs" promeuvent des standards irréalistes, générant une anxiété corporelle constante.
- La pression des pairs : Le harcèlement ou les moqueries liées au poids (weight-teasing) sont des expériences extrêmement douloureuses qui peuvent déclencher des tentatives de perte de poids drastiques. La culture du régime au sein des groupes d'amis peut également normaliser et encourager la restriction.
- Certains sports et activités : Les disciplines où un poids bas ou une silhouette particulière sont perçus comme un avantage (danse, gymnastique, patinage artistique, course de fond) ou qui sont classées par catégories de poids (lutte, judo) constituent des environnements à très haut risque.
Le facteur déclenchant le plus commun, agissant comme l'étincelle sur cette poudrière de vulnérabilités, est souvent un régime amaigrissant. Chez un adolescent prédisposé, une tentative de régime, même anodine au départ, peut rapidement échapper à tout contrôle et basculer dans la pathologie.
D. Le Dépistage Précoce : Un Levier d'Intervention Crucial
Compte tenu de la sévérité des TCA et du fait que le pronostic est nettement meilleur lorsque le traitement est initié rapidement, le dépistage précoce est fondamental. Les adolescents atteints de TCA développent souvent une anosognosie (non-reconnaissance du trouble) et peuvent cacher leurs comportements par honte ou par peur d'être forcés à prendre du poids. Il incombe donc à l'entourage – parents, enseignants, entraîneurs, amis et professionnels de la santé de première ligne – d'être attentif aux signaux d'alerte.
Signes et symptômes à surveiller :
Comportementaux :
- Changements radicaux dans les habitudes alimentaires (saut de repas, évitement de certaines catégories d'aliments comme les graisses ou les glucides, découpage de la nourriture en très petits morceaux).
- Adoption de régimes de plus en plus restrictifs.
- Isolement social, en particulier pendant les repas.
- Visites fréquentes à la salle de bain juste après les repas.
- Exercice physique excessif, compulsif, même en cas de fatigue ou de blessure.
- Port de vêtements amples pour cacher la perte de poids.
- Intérêt obsessionnel pour les recettes, la cuisine pour les autres sans manger soi-même.
Psychologiques et Émotionnels :
- Préoccupation constante pour le poids, les calories, la nourriture.
- Discours très critique sur son propre corps.
- Irritabilité, sautes d'humeur, anxiété, retrait social.
- Perte d'intérêt pour les activités autrefois appréciées.
- Difficultés de concentration et baisse des résultats scolaires.
Physiques :
- Perte de poids rapide ou significative (ou absence de prise de poids attendue pendant la croissance).
- Fatigue, vertiges, évanouissements.
- Sensation de froid constante (hypothermie).
- Aménorrhée (arrêt des règles) ou irrégularités menstruelles.
- Apparition d'un fin duvet sur le corps (lanugo).
- Cheveux secs et cassants, perte de cheveux.
- Gonflement des joues (hypertrophie des glandes salivaires parotides, en cas de vomissements).
- Callosités sur le dos des mains (signe de Russell, dû aux vomissements provoqués).
Des outils de dépistage simples comme le questionnaire SCOFF (Sick, Control, One stone, Fat, Food) peuvent être utilisés par les médecins généralistes ou pédiatres pour ouvrir la discussion. Une réponse affirmative à deux questions ou plus justifie une évaluation plus approfondie.
E. Stratégies d'Intervention : Approches Thérapeutiques Fondées sur les Preuves
La prise en charge des TCA chez l'adolescent doit être multidisciplinaire, spécialisée et fondée sur les preuves (evidence-based). L'équipe thérapeutique idéale comprend un médecin (pédiatre ou généraliste) pour le suivi somatique, un psychiatre ou pédopsychiatre pour le diagnostic et la gestion des comorbidités, un psychologue ou psychothérapeute pour la thérapie, et un(e) diététicien(ne)-nutritionniste spécialisé(e). Le niveau de soin varie de l'ambulatoire intensif à l'hospitalisation complète en cas d'instabilité médicale ou de risque suicidaire.
La Thérapie Familiale (Family-Based Treatment - FBT) Pour les adolescents atteints d'anorexie mentale, la thérapie familiale, et plus spécifiquement le modèle FBT (aussi appelé approche Maudsley), est considérée comme le traitement de première intention (gold standard). Cette approche adopte une posture agnostique quant aux causes du trouble et se concentre sur l'action. Elle externalise la maladie, la considérant comme une entité extérieure qui a pris le contrôle de l'adolescent. Les parents sont vus non pas comme la cause du problème, mais comme la ressource la plus précieuse pour la guérison. Le traitement se déroule en trois phases :
- Phase I : Renutrition et prise de contrôle parentale. Les parents sont responsabilisés et chargés de la tâche urgente de renourrir leur enfant pour inverser les effets de la dénutrition. Le thérapeute les coache pour qu'ils parviennent à surmonter la résistance de l'adolescent, en utilisant l'empathie, la fermeté et la créativité. Les repas familiaux redeviennent la norme.
- Phase II : Restitution progressive du contrôle à l'adolescent. Une fois que le poids est restauré de manière significative et que les repas sont moins conflictuels, le contrôle sur l'alimentation est progressivement rendu à l'adolescent, d'une manière adaptée à son âge et à sa maturité.
- Phase III : Aborder les questions de développement de l'adolescent. Lorsque l'adolescent a repris une alimentation saine et atteint un poids stable, la thérapie se concentre sur les enjeux normaux de l'adolescence : identité, autonomie, relations sociales, etc., qui ont été mis en suspens par la maladie.
La Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC)Pour la boulimie nerveuse et le trouble d'hyperphagie boulimique, la Thérapie Cognitivo-Comportementale, dans sa version améliorée pour les TCA (CBT-E), est le traitement psychothérapeutique le mieux validé. Elle peut également être une alternative pour les adolescents plus âgés (17-18 ans) atteints d'anorexie mentale, en particulier s'ils ne vivent plus au domicile parental. La TCC-E est une thérapie structurée, généralement dispensée sur une vingtaine de séances, qui vise à modifier les mécanismes de maintien du trouble :
- Psychoéducation et auto-observation : Le patient apprend à comprendre son trouble et commence à observer ses comportements alimentaires, ses pensées et ses émotions en temps réel.
- Mise en place d'une alimentation régulière : Le patient est guidé pour établir un schéma de trois repas et deux à trois collations par jour, afin de rompre le cycle restriction-crise de boulimie.
- Restructuration cognitive : Le thérapeute et le patient travaillent ensemble pour identifier et remettre en question les pensées dysfonctionnelles liées à l'alimentation, au poids et à l'estime de soi (ex: "Si je mange ce gâteau, je vais perdre le contrôle et grossir de 5 kg").
- Exposition et prévention de la réponse : Le patient est progressivement exposé aux aliments et aux situations anxiogènes (ex: manger au restaurant) tout en s'abstenant de recourir aux comportements pathologiques (vomissements, restriction, etc.).
- Prévention de la rechute : La fin de la thérapie est consacrée à l'élaboration d'un plan pour identifier les situations à risque et gérer les éventuels "lapsus" futurs.
Autres Approches Thérapeutiques La Thérapie Interpersonnelle (TIP) a montré une efficacité, notamment pour la boulimie et l'hyperphagie, bien que ses effets soient plus lents à apparaître que ceux de la TCC-E. Elle se concentre sur la résolution des difficultés relationnelles actuelles du patient, partant du principe que l'amélioration du fonctionnement interpersonnel aura un impact positif sur les symptômes alimentaires.
La Prise en Charge Médicale et Nutritionnelle Le suivi médical est non négociable. Il vise à évaluer et à gérer les complications somatiques (dérèglements électrolytiques, problèmes cardiaques, ostéoporose). L'hospitalisation devient nécessaire en cas de critères de gravité : poids très bas (IMC < 15), perte de poids rapide, bradycardie sévère, hypotension, hypothermie, déséquilibre électrolytique majeur ou refus alimentaire total. La renutrition en milieu hospitalier doit être prudente pour éviter le syndrome de renutrition inappropriée, une complication potentiellement mortelle.
Le suivi diététique ne consiste pas à donner un "régime", mais à éduquer le patient et sa famille sur les besoins nutritionnels, à déconstruire les mythes alimentaires, à aider à réintroduire les aliments "interdits" et à travailler sur les sensations de faim et de satiété.
La Pharmacothérapie Le rôle des médicaments est secondaire mais peut être utile. Pour l'anorexie mentale, aucun médicament n'a démontré d'efficacité sur la prise de poids ou les cognitions spécifiques. Les antidépresseurs (ISRS) peuvent être prescrits pour traiter les comorbidités anxieuses ou dépressives persistantes, mais généralement une fois qu'un certain poids a été repris. Pour la boulimie nerveuse et le trouble d'hyperphagie boulimique, la fluoxétine à haute dose a montré une efficacité modeste mais significative dans la réduction de la fréquence des crises et des vomissements, et est souvent utilisée en complément de la psychothérapie.
F. La Prévention : Agir en Amont de la Pathologie
Face à l'ampleur du problème, les stratégies de prévention sont essentielles. On distingue trois niveaux :
- La prévention universelle : Elle s'adresse à l'ensemble de la population adolescente, sans ciblage particulier. Elle passe par des programmes en milieu scolaire visant à promouvoir une image corporelle positive, à développer l'esprit critique face aux médias et aux réseaux sociaux (éducation à la littératie médiatique), à déconstruire les mythes sur les régimes et à encourager des habitudes de vie saines basées sur le plaisir et l'écoute de son corps (alimentation intuitive) plutôt que sur la restriction.
- La prévention sélective : Elle cible les groupes identifiés comme étant à plus haut risque (ex: jeunes filles en début de puberté, athlètes de disciplines à risque, adolescents en surpoids exprimant le désir de faire un régime). Les interventions peuvent prendre la forme d'ateliers en petits groupes pour aborder l'estime de soi, l'insatisfaction corporelle et la pression sociale.
- La prévention indiquée : Elle s'adresse aux individus qui présentent déjà des signes précoces de la maladie (ex: insatisfaction corporelle sévère, comportements de régime marqués) mais ne remplissent pas encore tous les critères diagnostiques. L'objectif est d'intervenir rapidement pour empêcher l'évolution vers un trouble avéré.
Conclusion
Les troubles des conduites alimentaires chez les adolescents ne sont ni une phase, ni un choix. Ils sont l'expression douloureuse d'une souffrance psychique profonde, à l'intersection d'une vulnérabilité innée et d'un environnement qui, trop souvent, valorise l'apparence au détriment du bien-être. La complexité de leur étiologie, impliquant des facteurs génétiques, neurobiologiques, psychologiques, familiaux et socioculturels, exige de nous une réponse tout aussi complexe et intégrée.
Le progrès clinique des dernières décennies est porteur d'espoir. Nous disposons aujourd'hui de stratégies d'intervention, comme la thérapie familiale (FBT) et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC-E), dont l'efficacité est solidement démontrée. Le succès de ces approches repose sur un triptyque essentiel : un dépistage précoce, une prise en charge multidisciplinaire spécialisée et l'implication active de la famille, particulièrement pour les plus jeunes. Cependant, les défis demeurent immenses. L'accès aux soins spécialisés reste inégal, les listes d'attente s'allongent et la stigmatisation entrave encore trop souvent la demande d'aide.
La recherche future devra continuer à élucider les mécanismes neurobiologiques pour développer des traitements plus ciblés, affiner les stratégies de prévention à grande échelle et mieux comprendre les présentations spécifiques des TCA chez les garçons et les minorités de genre. Mais au-delà de la science et de la clinique, la lutte contre les troubles alimentaires est une responsabilité collective. Elle nous appelle à remettre en question les idéaux corporels toxiques que nous perpétuons, à promouvoir dans nos écoles et nos foyers une culture de l'acceptation de soi et de la diversité corporelle, et à enseigner à nos adolescents que leur valeur réside non pas dans le reflet d'un miroir, mais dans la richesse de leur monde intérieur. C'est en agissant sur tous ces fronts que nous pourrons espérer voir reculer ce fléau qui vole leur jeunesse à tant d'adolescents.
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