La Maison Du Bilan, Neuropsychologie et psychologie clinique à Paris 9

Quel est le rôle de l’intelligence émotionnelle dans les relations interpersonnelles et le succès professionnel ?


Durant une grande partie du XXe siècle, la psychométrie a été dominée par une vision quasi-exclusivement cognitive de l'intelligence. Le quotient intellectuel (QI), mesure de nos capacités logico-mathématiques et verbales, était perçu comme le principal, sinon l'unique, prédicteur de la réussite. Pourtant, une question lancinante demeurait : pourquoi des individus au QI exceptionnel échouent-ils parfois à mener une vie épanouie et productive, tandis que d'autres, aux dons intellectuels plus modestes, prospèrent dans leurs relations et leur carrière ? Cette interrogation fondamentale a ouvert la voie à un changement de paradigme, catalysé par l'émergence d'un concept aussi puissant que déroutant : l'intelligence émotionnelle (IE).

Loin d'être une simple "compétence douce" ou un concept évanescent de la psychologie populaire, l'intelligence émotionnelle représente un champ de recherche scientifique à part entière, doté de modèles théoriques robustes, de soubassements neurobiologiques identifiables et d'une portée prédictive considérable. Cet article se propose de disséquer ce construit psychologique complexe. Nous explorerons ses fondations théoriques, nous plongerons dans les circuits neuronaux qui le sous-tendent, puis nous analyserons, à travers le prisme de la recherche contemporaine, son rôle déterminant dans la dynamique des relations interpersonnelles et comme levier de succès dans la sphère professionnelle. Enfin, nous aborderons la question cruciale de sa plasticité : l'intelligence émotionnelle est-elle un trait figé ou une compétence qui se cultive ?

A. Le Construit de l'Intelligence Émotionnelle : Définitions, Modèles et Controverses

Pour appréhender la portée de l'intelligence émotionnelle, il est impératif de commencer par une définition rigoureuse. Le concept a été formalisé pour la première fois dans le champ académique par Peter Salovey et John D. Mayer en 1990. Leur définition initiale, affinée au fil des ans, constitue encore aujourd'hui la pierre angulaire de la recherche scientifique sur le sujet.

Le Modèle d'Habileté (Ability Model) de Salovey et Mayer

Dans leur acception la plus stricte, ces chercheurs définissent l'intelligence émotionnelle comme une véritable forme d'intelligence, c'est-à-dire un ensemble d'aptitudes cognitives. Il ne s'agit pas de traits de personnalité (comme l'optimisme ou l'amabilité), mais bien de capacités mesurables. Leur modèle, hiérarchique et développemental, se décline en quatre branches interdépendantes :

  • La Perception et l'Expression des Émotions : C'est la capacité la plus fondamentale. Elle consiste à identifier avec précision ses propres émotions et celles des autres. Cela inclut la reconnaissance des émotions dans les expressions faciales, le ton de la voix, les postures corporelles, mais aussi dans des œuvres d'art ou des paysages. Un individu doté de cette compétence sait distinguer une anxiété diffuse d'une peur ciblée, ou une joie authentique d'une politesse feinte.

  • L'Utilisation des Émotions pour Faciliter la Pensée :Cette deuxième branche postule que les émotions ne sont pas des parasites de la cognition, mais des guides précieux. Les émotions peuvent orienter notre attention vers les informations importantes, nous aider à prioriser nos tâches et à adopter différentes perspectives. Par exemple, un état de tristesse peut favoriser une pensée plus analytique et détaillée, tandis qu'un état de bonheur peut stimuler la créativité et la pensée associative. L'IE consiste ici à savoir comment son état émotionnel influence son propre processus cognitif et à utiliser cet état pour optimiser sa pensée.

  • La Compréhension des Émotions : Au-delà de la simple identification, cette compétence implique la capacité de comprendre le langage des émotions. Cela inclut la connaissance des causes probables d'une émotion, la manière dont les émotions se combinent (par exemple, comment la surprise et la peur peuvent mener à l'effroi) et comment elles évoluent dans le temps (comment une irritation non gérée peut se transformer en colère). Un individu compétent dans ce domaine peut anticiper les réactions émotionnelles des autres face à une annonce ou une décision.

  • La Gestion des Émotions : C'est le sommet de la hiérarchie. Cette branche concerne la capacité à réguler ses propres émotions et à influencer celles des autres pour atteindre des buts spécifiques. Il ne s'agit pas de réprimer les émotions, mais de les moduler. Cela peut signifier se calmer après une contrariété, se motiver pour une tâche difficile, ou apaiser une personne en colère. La gestion émotionnelle efficace permet de rester ouvert aux émotions, qu'elles soient agréables ou désagréables, et de les intégrer de manière constructive dans sa prise de décision et son comportement.

Ce modèle est mesuré par des tests de performance, comme le Mayer-Salovey-Caruso Emotional Intelligence Test (MSCEIT), où les participants doivent résoudre des problèmes émotionnels et où les réponses sont jugées selon des critères consensuels ou d'experts, à l'instar des tests de QI.

Les Modèles Mixtes : Une Vision Élargie

Parallèlement au modèle d'habileté, d'autres cadres théoriques ont émergé, popularisés notamment par Daniel Goleman. Ces "modèles mixtes" intègrent non seulement des aptitudes cognitives, mais aussi des traits de personnalité, des compétences sociales et des facteurs motivationnels.

Le modèle de Goleman, largement diffusé auprès du grand public et des entreprises, s'articule autour de cinq compétences clés, subdivisées en nombreuses sous-catégories :

  • Conscience de soi (Self-awareness) :Connaissance de ses états internes, de ses préférences, de ses ressources et de ses intuitions.
  • Maîtrise de soi (Self-regulation) : Gestion de ses états internes, de ses impulsions et de ses ressources.
  • Motivation : Tendances émotionnelles qui guident ou facilitent l'atteinte des objectifs.
  • Empathie (Empathy) : Conscience des sentiments, des besoins et des préoccupations des autres.
  • Aptitudes sociales (Social skills) : Capacité à induire des réponses désirables chez les autres.

Un autre modèle mixte influent est celui de Reuven Bar-On, qui définit l'IE comme un "ensemble de compétences et de facilitateurs non cognitifs qui influencent la capacité d'une personne à réussir à faire face aux exigences et aux pressions de l'environnement". Son inventaire, l'EQ-i, mesure des dimensions comme l'estime de soi, l'indépendance, l'assertivité, la tolérance au stress et l'optimisme.

La principale critique adressée aux modèles mixtes par les tenants du modèle d'habileté est leur manque de discrimination conceptuelle. En mélangeant aptitudes cognitives, traits de personnalité (qui relèvent du modèle des Big Five, par exemple) et compétences sociales, ils créeraient un construit "fourre-tout" qui se superpose largement à des concepts psychologiques déjà existants, rendant sa valeur ajoutée plus difficile à établir scientifiquement. Néanmoins, leur popularité en entreprise témoigne de leur pertinence perçue sur le terrain.

B. Les Fondements Neurobiologiques de l'Intelligence Émotionnelle

Loin d'être une abstraction, l'intelligence émotionnelle est ancrée dans l'architecture et le fonctionnement de notre cerveau. La neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) et l'étude de patients présentant des lésions cérébrales ont permis d'identifier un réseau complexe de régions cérébrales qui collaborent pour percevoir, comprendre et réguler les émotions.

  • Le Circuit de la Perception Émotionnelle : L'Amygdale et l'Insula L'amygdale, une structure en forme d'amande située dans le lobe temporal, est le centre d'alerte émotionnelle du cerveau. Elle est particulièrement réactive aux signaux de menace ou de pertinence émotionnelle, déclenchant des réponses physiologiques rapides (augmentation du rythme cardiaque, sudation) avant même une prise de conscience complète. Elle est cruciale pour la perception de la peur et de la colère chez autrui. L'insula, ou cortex insulaire, joue un rôle clé dans l'intéroception, c'est-à-dire la perception des états internes du corps. Elle intègre les signaux physiologiques (viscéraux, musculaires) pour générer le "ressenti" subjectif d'une émotion. Une insula active est essentielle à la conscience de soi émotionnelle, la première branche du modèle de Salovey et Mayer.

  • Le Circuit de la Régulation et de la Compréhension : Le Cortex Préfrontal Si l'amygdale est l'accélérateur émotionnel, le cortex préfrontal (CPF) en est le frein et le régulateur. Plusieurs sous-régions sont impliquées :

    • Le Cortex Préfrontal Ventromédian (CPFvm) :Cette région est fondamentale pour intégrer les informations émotionnelles dans la prise de décision. Des lésions dans cette zone (comme dans le cas célèbre de Phineas Gage) entraînent des choix désastreux sur le plan personnel et social, malgré des capacités cognitives intactes. Le CPFvm évalue la valeur émotionnelle des options et module l'activité de l'amygdale, permettant une réponse adaptée plutôt qu'impulsive.
    • Le Cortex Orbitofrontal (COF) : Situé juste au-dessus des orbites, il est impliqué dans l'apprentissage des contingences émotionnelles et sociales. Il nous aide à comprendre quelles actions mènent à des récompenses ou des punitions sociales, et à adapter notre comportement en conséquence. Il est donc central pour la gestion des relations sociales.
    • Le Cortex Préfrontal Dorsolatéral (CPDL) : Bien que traditionnellement associé aux fonctions exécutives "froides" (planification, mémoire de travail), le CPDL participe à la régulation émotionnelle volontaire, par exemple lorsqu'on utilise des stratégies cognitives comme la réévaluation (réinterpréter une situation pour en changer l'impact émotionnel).
  • Le Circuit de l'Empathie : Le Cortex Cingulaire Antérieur et les Neurones Miroirs L'empathie, la capacité à comprendre et à partager les émotions d'autrui, repose sur des mécanismes neuronaux spécifiques.

    • Le Cortex Cingulaire Antérieur (CCA) : Cette région est impliquée dans la composante affective de l'empathie. Il s'active de manière similaire lorsque nous ressentons une douleur et lorsque nous voyons quelqu'un d'autre souffrir. Il est le pont entre notre propre expérience émotionnelle et celle des autres.
    • Les Neurones Miroirs : Découverts initialement dans le cortex prémoteur des singes, ces neurones s'activent à la fois lorsqu'un individu exécute une action et lorsqu'il observe un autre individu exécuter la même action. On postule qu'un système miroir similaire chez l'humain sous-tend notre capacité à simuler intérieurement les états mentaux et émotionnels des autres, facilitant une compréhension intuitive et non verbale de leurs intentions et de leurs sentiments.

Ce réseau neuronal n'est pas statique. Sa connectivité et son efficacité peuvent être modulées par l'expérience, l'apprentissage et l'entraînement, un phénomène connu sous le nom de neuroplasticité. C'est ce qui fonde biologiquement la possibilité de développer son intelligence émotionnelle.

C. L'Intelligence Émotionnelle comme Prédicteur de la Qualité des Relations Interpersonnelles

Les humains sont des êtres fondamentalement sociaux. La qualité de nos liens avec autrui est l'un des déterminants les plus puissants de notre bien-être psychologique et de notre santé physique. La recherche a démontré de manière consistente que l'intelligence émotionnelle est un ingrédient essentiel à la formation et au maintien de relations interpersonnelles saines et satisfaisantes.

Communication et Connexion Sociale

Une communication efficace va bien au-delà de la simple transmission d'informations. Elle repose sur la capacité à décoder les signaux non verbaux (expressions faciales, ton de la voix, langage corporel), qui véhiculent la majeure partie du contenu émotionnel d'un message. Les individus avec une IE élevée, particulièrement dans la branche de la perception émotionnelle, sont plus à même de "lire" l'atmosphère d'une pièce ou l'état affectif de leur interlocuteur. Cette compétence leur permet d'ajuster leur propre communication en temps réel, de montrer de l'empathie et de valider les sentiments de l'autre, créant ainsi un sentiment de connexion et de sécurité psychologique. À l'inverse, un déficit dans ce domaine peut mener à des malentendus, des maladresses et un sentiment d'incompréhension mutuelle.

Empathie, Prise de Perspective et Comportements Prosociaux

L'empathie, composante centrale de l'IE, est le lubrifiant des interactions sociales. Elle ne se limite pas à ressentir ce que l'autre ressent (empathie affective), mais inclut également la capacité à comprendre son point de vue (empathie cognitive ou prise de perspective). Les études montrent que les personnes ayant des scores d'IE élevés sont plus susceptibles d'adopter des comportements prosociaux, tels que l'aide, le soutien et la coopération. Dans les relations intimes, l'empathie est corrélée à une plus grande satisfaction relationnelle, car elle permet aux partenaires de se sentir compris, soutenus et valorisés, particulièrement en période de stress ou de conflit.

Gestion des Conflits

Aucune relation n'est exempte de désaccords. Ce qui distingue les relations fonctionnelles des relations dysfonctionnelles n'est pas l'absence de conflit, mais la manière dont il est géré. L'intelligence émotionnelle, et plus spécifiquement la branche de la gestion émotionnelle, joue ici un rôle crucial. La capacité à réguler sa propre réactivité émotionnelle (colère, frustration, anxiété) pendant une discussion tendue empêche l'escalade destructrice. Elle permet de rester constructif, d'écouter le point de vue de l'autre même s'il est difficile à entendre, et de rechercher des solutions mutuellement acceptables plutôt que de chercher à "gagner" le débat. Des recherches ont montré que les couples où les deux partenaires ont une IE élevée rapportent une résolution de conflit plus constructive et une meilleure stabilité maritale à long terme.

Formation du Capital Social

Au-delà des relations dyadiques, l'IE influence la capacité d'un individu à s'intégrer dans des réseaux sociaux plus larges et à construire un "capital social" solide. La capacité à comprendre les dynamiques de groupe, à naviguer dans des hiérarchies sociales complexes et à influencer positivement les autres sont des compétences sociales directement liées à l'IE. Les individus émotionnellement intelligents sont souvent perçus comme plus sympathiques, plus fiables et plus charismatiques, ce qui facilite la création d'amitiés et d'alliances solides.

D. Le Rôle Central de l'Intelligence Émotionnelle dans la Sphère Professionnelle

Si l'impact de l'IE sur la vie privée est avéré, son rôle dans le succès professionnel a fait l'objet d'un intérêt encore plus grand, notamment de la part des organisations. Alors que le QI reste un bon prédicteur de la capacité à acquérir des connaissances techniques et à gérer la complexité (le "ticket d'entrée" pour de nombreux postes), l'IE apparaît de plus en plus comme le facteur discriminant pour la performance exceptionnelle, le leadership et le bien-être au travail.

Leadership et Management

L'ère du commandement et du contrôle autoritaire est révolue. Le leadership moderne, particulièrement le "leadership transformationnel", repose sur la capacité à inspirer, motiver et développer ses équipes. Les leaders émotionnellement intelligents excellent dans ce domaine pour plusieurs raisons :

  • Empathie et Climat de Travail : Un leader empathique est capable de comprendre les besoins, les motivations et les préoccupations de ses collaborateurs. Il crée un climat de sécurité psychologique où les membres de l'équipe osent prendre des risques, exprimer leurs idées et reconnaître leurs erreurs sans crainte de représailles. Ce climat est un terreau fertile pour l'innovation et l'engagement.
  • Gestion des Relations : Le leader IE est un expert de la gestion des dynamiques de groupe. Il sait désamorcer les conflits, donner des feedbacks constructifs (même lorsqu'ils sont négatifs) et fédérer l'équipe autour d'une vision commune.
  • Conscience et Maîtrise de Soi : Un leader qui se connaît bien et sait gérer ses propres émotions (notamment sous pression) inspire confiance et stabilité. Il ne réagit pas de manière impulsive, reste calme dans la crise et prend des décisions plus réfléchies. Son optimisme réaliste et sa résilience sont contagieux. De nombreuses méta-analyses ont confirmé la corrélation positive et significative entre l'intelligence émotionnelle des leaders et des indicateurs clés comme la satisfaction de leurs employés, l'engagement de l'équipe et la performance globale de l'unité.

Performance au Travail

L'influence de l'IE sur la performance individuelle n'est pas uniforme et dépend fortement de la nature du poste. Son impact est particulièrement prononcé dans les métiers où les interactions humaines sont au cœur de l'activité. C'est le cas par exemple :

  • Des métiers de la vente et du service client : La capacité à créer un lien de confiance, à comprendre les besoins implicites du client et à gérer les frustrations est directement liée à la performance commerciale et à la fidélisation.
  • Des professions de la santé : L'empathie et la communication d'un médecin ou d'une infirmière (la "compétence de chevet") influencent non seulement la satisfaction du patient, mais aussi son adhésion au traitement et, in fine, ses résultats cliniques.
  • Du travail en équipe : Dans les environnements de travail collaboratifs, l'IE des membres de l'équipe prédit la cohésion du groupe, la qualité de la communication et l'efficacité dans la résolution de problèmes collectifs.

Gestion du Stress et Prévention du Burnout

Le monde du travail moderne est une source majeure de stress. L'intelligence émotionnelle, en particulier la compétence de régulation, agit comme un puissant tampon contre les effets délétères du stress chronique. Les individus avec une IE élevée sont plus à même d'identifier les sources de leur stress, d'utiliser des stratégies de coping adaptatives (comme la résolution de problèmes ou la recherche de soutien social) plutôt que mésadaptées (comme l'évitement ou la rumination). Ils sont également plus résilients face aux échecs et aux revers. En conséquence, de multiples études ont montré qu'un niveau élevé d'IE est associé à des niveaux plus faibles de stress perçu et à un risque réduit de développer un syndrome d'épuisement professionnel (burnout).

E. Peut-on Développer son Intelligence Émotionnelle ? Approches et Preuves

La question de la malléabilité de l'IE est d'une importance capitale. Si l'IE était un trait aussi stable que la couleur des yeux, l'intérêt pour elle serait purement descriptif. Heureusement, le consensus scientifique, soutenu par les principes de neuroplasticité, indique que l'intelligence émotionnelle, comprise comme un ensemble d'habiletés, peut être développée et améliorée tout au long de la vie.

Preuves de la Malléabilité

Plusieurs types d'études soutiennent cette thèse. Des études longitudinales montrent que l'IE tend à augmenter avec l'âge et l'expérience de vie. Plus directement, de nombreuses études d'intervention ont évalué l'efficacité de programmes de formation à l'IE, que ce soit en milieu scolaire, clinique ou organisationnel. Les méta-analyses de ces études concluent que des formations bien conçues peuvent produire des améliorations significatives et durables des compétences émotionnelles, avec des effets positifs sur le bien-être, les relations sociales et la performance au travail.

Méthodes et Stratégies de Développement

Le développement de l'IE n'est pas une solution miracle, mais un processus qui requiert de l'intentionnalité, de la pratique et du feedback. Parmi les approches les plus validées, on trouve :

  • La Pleine Conscience (Mindfulness) : La pratique de la méditation de pleine conscience entraîne l'attention à se porter sur le moment présent, sans jugement. C'est un entraînement direct à la conscience de soi. Elle permet d'observer ses pensées et ses émotions à mesure qu'elles émergent, sans être immédiatement emporté par elles. Cette "pause" entre le stimulus et la réponse est l'espace où la régulation émotionnelle devient possible. La recherche en neurosciences a montré que la pratique régulière de la pleine conscience peut modifier la structure et le fonctionnement du cerveau, en renforçant les connexions entre le cortex préfrontal et l'amygdale.

  • Les Approches Cognitivo-Comportementales (TCC) : Les techniques issues des TCC sont très efficaces pour développer la gestion émotionnelle. Elles reposent sur le principe que ce ne sont pas les événements eux-mêmes qui causent nos réactions émotionnelles, mais nos interprétations de ces événements. Des techniques comme la restructuration cognitive (identifier, contester et remplacer les pensées irrationnelles ou automatiques) et l'exposition progressive (se confronter graduellement à des situations redoutées) sont des outils puissants pour moduler les réponses émotionnelles.

  • Le Journal Émotionnel : Tenir un journal où l'on décrit régulièrement des situations vécues, les émotions ressenties, les pensées associées et les comportements qui en ont découlé est un exercice simple mais profond. Il favorise la conscience de soi et la compréhension des déclencheurs émotionnels, première étape indispensable à tout changement.

  • La Recherche de Feedback : Pour développer la perception des émotions d'autrui et les compétences sociales, il est essentiel de solliciter des retours. Dans un contexte professionnel, les outils de feedback à 360 degrés, où l'on reçoit des évaluations anonymes de ses supérieurs, pairs et subordonnés, peuvent être extrêmement éclairants. Dans la vie personnelle, demander à des proches de confiance comment ils perçoivent nos réactions peut fournir des informations précieuses.

Critiques et Limites

Il convient de rester nuancé. L'efficacité des programmes de développement de l'IE dépend de leur qualité (durée, contenu, suivi) et de la motivation des participants. De plus, si les aptitudes peuvent s'entraîner, les composantes de l'IE qui relèvent de traits de personnalité (dans les modèles mixtes) sont, par définition, plus stables. Enfin, le développement de l'IE n'est pas une panacée et ne remplace pas l'expertise technique, l'intelligence cognitive ou l'intégrité morale. Une IE élevée peut même, dans de rares cas, être utilisée à des fins de manipulation. La compétence doit donc être guidée par une éthique solide.

Conclusion

L'intelligence émotionnelle, loin de l'image parfois simpliste véhiculée par les médias, est un construit psychologique robuste, validé par des décennies de recherche. Ancrée dans des réseaux neuronaux identifiables, elle représente la capacité à traiter l'information émotionnelle avec précision et efficacité. Cet article a démontré que cet ensemble de compétences n'est pas un luxe, mais une nécessité fondamentale pour naviguer dans la complexité de l'existence humaine.

Elle est le ciment qui solidifie nos relations interpersonnelles, en permettant une communication authentique, une empathie profonde et une gestion constructive des inévitables conflits. Dans la sphère professionnelle, elle transcende le rôle de simple "compétence douce" pour devenir un prédicteur clé du leadership transformationnel, de la performance dans les métiers à forte composante humaine et un rempart contre le stress et l'épuisement.

Peut-être plus important encore, l'intelligence émotionnelle n'est pas une destinée figée. La neuroplasticité de notre cerveau nous offre la capacité de la cultiver, par la pratique délibérée et l'introspection. Dans un monde de plus en plus façonné par l'intelligence artificielle et l'automatisation, ce sont précisément ces capacités humaines – comprendre, se connecter, inspirer et réguler – qui définiront notre valeur ajoutée unique. L'intelligence cognitive ouvre des portes, mais c'est souvent l'intelligence émotionnelle qui nous permet de franchir le seuil et de prospérer de l'autre côté. La recherche future continuera sans aucun doute d'affiner notre compréhension de ce domaine fascinant, mais son importance capitale, tant pour l'individu que pour la société, est d'ores et déjà une certitude.

Les sources :

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