Les troubles dissociatifs : Comment les comprendre et les traiter ?
L'expérience humaine est ancrée dans un sentiment de continuité et de cohésion de soi. Nous nous percevons comme une entité singulière, naviguant à travers le temps, nos souvenirs formant le fil narratif de notre identité. Pourtant, pour certains individus, ce fil se rompt. La conscience, la mémoire, l'identité et la perception de l'environnement, normalement intégrées, se fragmentent. Cette déconnexion fondamentale est le cœur de la dissociation. Loin d'être un simple mécanisme de défense ou une curiosité clinique, les troubles dissociatifs représentent une adaptation neurobiologique et psychologique profonde à des expériences que l'esprit ne peut assimiler. Ils ne sont pas le fruit d'une imagination fertile ni une construction théâtrale, mais une conséquence souvent dévastatrice de traumatismes extrêmes, une tentative désespérée du système nerveux de survivre à l'insupportable. Cet article se propose d'explorer la complexité de ces troubles, en délaissant les représentations caricaturales pour s'ancrer dans les modèles nosologiques, étiologiques et thérapeutiques les plus récents et les plus robustes de la psychopathologie contemporaine. Nous aborderons leur phénoménologie, les mécanismes neurobiologiques sous-jacents, les défis du diagnostic et les approches de traitement fondées sur des données probantes, dans le but de fournir une compréhension à la fois rigoureuse et humaniste de cette fracture du soi.
A. Le Spectre Dissociatif : De la Normalité à la Pathologie
Le concept de dissociation est souvent mal compris, car il existe sur un continuum. Il ne s'agit pas d'un phénomène binaire, présent ou absent, mais d'une capacité inhérente à l'esprit humain qui peut se manifester sous des formes variées, allant de l'expérience quotidienne banale à la psychopathologie la plus sévère.
À une extrémité du spectre se trouve la dissociation non pathologique. Ces expériences de "déconnexion" brèves et transitoires sont courantes. L'exemple le plus classique est "l'hypnose de l'autoroute", où un conducteur arrive à destination sans se souvenir consciemment des derniers kilomètres parcourus, bien qu'il ait conduit en toute sécurité. D'autres exemples incluent le fait de s'absorber si profondément dans un livre ou un film que l'on perd la notion du temps et de son environnement, ou les états de rêverie diurne. Ces formes de dissociation sont adaptatives : elles permettent de filtrer les stimuli non pertinents et de concentrer l'attention. Elles sont volontaires ou semi-volontaires, de courte durée, et n'entraînent ni détresse ni dysfonctionnement.
La dissociation devient pathologique lorsqu'elle cesse d'être un état transitoire et contrôlable pour devenir un mécanisme de défense chronique, envahissant et involontaire. La transition de la normalité à la pathologie est presque universellement liée à l'exposition à des événements traumatiques. Face à une menace écrasante, où ni le combat ni la fuite ne sont possibles (particulièrement dans les cas de traumatismes interpersonnels chroniques durant l'enfance), la dissociation devient une stratégie de survie. L'esprit se "déconnecte" de l'expérience insupportable pour préserver un semblant de fonctionnement. Le corps peut être présent, mais la conscience s'échappe.
Cette déconnexion, si elle est répétée, peut se cristalliser en schémas rigides. Les informations (pensées, émotions, sensations, souvenirs) liées au traumatisme ne sont pas intégrées dans la conscience autobiographique globale. Elles sont stockées de manière fragmentée, encapsulée, et peuvent faire irruption plus tard sous forme de flashbacks, de symptômes somatiques ou de "parties" dissociées de la personnalité. La dissociation pathologique se caractérise par son caractère involontaire, sa chronicité, et surtout, par la détresse clinique significative et l'altération du fonctionnement social, professionnel ou personnel qu'elle engendre. C'est cette rupture persistante et débilitante dans l'intégration de la conscience qui définit les troubles dissociatifs en tant que catégorie diagnostique.
B. Nosologie et Phénoménologie des Troubles Dissociatifs selon le DSM-5-TR
Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux, dans sa dernière révision (DSM-5-TR), constitue la référence nosographique principale en Amérique du Nord et dans une grande partie du monde. Il identifie plusieurs troubles dissociatifs distincts, chacun avec une phénoménologie spécifique.
Le Trouble Dissociatif de l'Identité (TDI)
Le TDI est le trouble le plus sévère et le plus complexe du spectre. Il se caractérise par une fragmentation de l'identité plutôt que par une prolifération de personnalités. Le critère diagnostique A définit le trouble par la présence de deux ou plusieurs états de personnalité distincts (ou une expérience de possession), qui peuvent être décrits dans certaines cultures comme une expérience de possession. Ces états, souvent appelés "alters" ou "parties", présentent des discontinuités marquées dans le sens de soi et le contrôle de ses propres actions. Chaque état peut avoir son propre nom, son âge, son sexe, ses souvenirs, ses comportements et ses schémas de pensée. Les transitions entre les états de personnalité (le "switching") peuvent être subtiles ou manifestes et sont souvent déclenchées par des stresseurs psychosociaux.
Le critère B est l'amnésie dissociative. Il s'agit de lacunes récurrentes dans le rappel d'événements quotidiens, d'informations personnelles importantes et/ou d'événements traumatiques, qui sont incompatibles avec un oubli ordinaire. Les patients rapportent souvent des "pertes de temps" (des heures, voire des jours, dont ils n'ont aucun souvenir), découvrent des objets qu'ils ne se souviennent pas d'avoir achetés, ou sont interpellés par des personnes qui semblent les connaître intimement alors qu'ils ne les reconnaissent pas.
Il est crucial de noter que, contrairement à l'imagerie populaire, de nombreux individus avec un TDI présentent une symptomatologie "latente" ou "discrète". Ils ont appris à cacher leur fragmentation interne pour paraître "normaux", ce qui contribue aux difficultés diagnostiques.
L'Amnésie Dissociative
Ce trouble est défini par une incapacité à se souvenir d'informations autobiographiques importantes, généralement de nature traumatique ou stressante, qui dépasse l'oubli ordinaire. L'amnésie n'est pas due aux effets physiologiques d'une substance, d'un trouble neurologique ou d'une autre affection médicale. Elle peut se manifester sous plusieurs formes :
- Amnésie localisée : La plus courante, elle concerne l'incapacité à se souvenir d'événements survenus pendant une période de temps spécifique (généralement autour de l'événement traumatique).
- Amnésie sélective : L'individu peut se souvenir de certains, mais pas de tous, les événements survenus pendant une période de temps.
- Amnésie généralisée : Rare, elle englobe une perte de mémoire de toute l'histoire de vie de l'individu.
- Amnésie systématisée : La perte de mémoire concerne des catégories spécifiques d'informations (par exemple, tous les souvenirs liés à une personne en particulier).
Un spécificateur important est "avec fugue dissociative", où l'individu, en proie à une amnésie de son identité, s'éloigne de son domicile ou de son lieu de travail de manière soudaine et inattendue, et peut même adopter une nouvelle identité.
Le Trouble de Dépersonnalisation/Déréalisation
Ce trouble se caractérise par des expériences persistantes ou récurrentes de dépersonnalisation, de déréalisation, ou des deux.
- La dépersonnalisation est une expérience de détachement ou de sentiment d'être un observateur extérieur de ses propres processus mentaux, de son corps ou de ses actions. Le patient peut se sentir comme un robot, décrire une anesthésie émotionnelle ou physique, ou avoir un sentiment d'irréalité de soi.
- La déréalisation est une expérience de détachement ou d'irréalité par rapport à son environnement. Le monde extérieur peut sembler onirique, brumeux, sans vie, artificiel ou visuellement déformé.
Un critère diagnostique essentiel est que, pendant ces expériences, le contact avec la réalité reste intact. L'individu sait que ses perceptions sont anormales, ce qui distingue ce trouble des troubles psychotiques. Cette conscience de la bizarrerie de l'expérience est souvent une source de grande angoisse.
4. Trouble Dissociatif Spécifié Autre (TADSA) et Non Spécifié (TADS)
Ces catégories sont utilisées pour les présentations cliniquement significatives qui ne répondent pas pleinement aux critères des autres troubles dissociatifs. Le TADSA est utilisé lorsque le clinicien peut spécifier la raison pour laquelle les critères ne sont pas remplis (par exemple, des syndromes dissociatifs chroniques et complexes après un endoctrinement coercitif prolongé, ou des perturbations de l'identité dues à des influences culturelles ou religieuses aiguës). Le TADS est utilisé dans des situations (comme aux urgences) où il n'y a pas assez d'informations pour poser un diagnostic plus spécifique.
C. Étiologie et Modèles Neurobiologiques
La compréhension des troubles dissociatifs a été transformée par l'intégration des modèles psychologiques et des découvertes neuroscientifiques. L'étiologie est aujourd'hui considérée comme multifactorielle, mais avec un consensus écrasant sur le rôle central du trauma.
1. Le Modèle Post-Traumatique et la Théorie de l'Attachement
Le modèle post-traumatique est le cadre explicatif dominant. Selon ce modèle, les troubles dissociatifs, en particulier le TDI, sont une conséquence directe de traumatismes graves, chroniques et interpersonnels survenus durant l'enfance (typiquement avant l'âge de 6-9 ans), une période critique pour le développement de l'identité et l'intégration de la personnalité. L'abus physique, sexuel ou émotionnel sévère, la négligence, ou le fait d'être témoin de violences extrêmes, en particulier lorsqu'ils sont perpétrés par des figures d'attachement, créent une situation intolérable.
La théorie de l'attachement est ici fondamentale. Un enfant a un besoin inné de se tourner vers sa figure de soin pour la sécurité. Lorsque cette même figure est la source de la terreur, l'enfant est pris dans un paradoxe insoluble : la personne qui devrait le protéger est celle qui le met en danger. Ce "trauma de l'attachement" ou "attachement désorganisé" est considéré comme un précurseur majeur des troubles dissociatifs. La dissociation devient alors la seule échappatoire possible, un moyen de compartimenter l'expérience terrifiante pour préserver le lien d'attachement nécessaire à la survie.
2. La Théorie de la Dissociation Structurelle de la Personnalité
Développée par Onno van der Hart, Ellert Nijenhuis et Kathy Steele, cette théorie offre un modèle heuristique puissant pour comprendre la phénoménologie dissociative. Elle postule que le trauma empêche l'intégration normale des systèmes comportementaux innés (la vie quotidienne, la défense, l'attachement, etc.) en une personnalité unifiée. La personnalité se divise alors structurellement.
- La Partie Apparemment Normale (PAN) : Cette partie de la personnalité est orientée vers la gestion de la vie quotidienne (travail, relations sociales, parentalité). La PAN est souvent amnésique ou phobique des souvenirs traumatiques pour pouvoir fonctionner.
- Les Parties Émotionnelles (PE) : Ces parties sont bloquées dans le moment du trauma. Elles détiennent les souvenirs, les émotions (terreur, rage, honte), les sensations physiques et les réponses de défense (combat, fuite, figement) liés aux événements traumatiques. Les PE sont des systèmes psychobiologiques figés dans le temps, qui peuvent s'activer et envahir la conscience de la PAN, provoquant des symptômes post-traumatiques comme les flashbacks ou les intrusions somatiques.
Selon ce modèle :
- Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) simple représente une dissociation structurelle primaire (une PAN et une PE).
- Le TSPT complexe, le trouble de la personnalité borderline et certains autres troubles sont liés à une dissociation structurelle secondaire (une PAN et plusieurs PE plus complexes).
- Le TDI est l'expression d'une dissociation structurelle tertiaire, avec plusieurs PAN (chacune gérant différents aspects de la vie) et plusieurs PE. Cette complexité maximale reflète la sévérité et la précocité des traumatismes subis.
Corrélats Neurobiologiques
Les progrès de la neuro-imagerie ont permis de visualiser les signatures cérébrales de la dissociation. Les recherches pointent vers un dysfonctionnement de circuits neuronaux clés impliqués dans la conscience, la mémoire, la régulation émotionnelle et la perception de soi.
- Système Limbique et Régulation Émotionnelle : On observe une hyperactivité de l'amygdale (le centre de la peur) et une hypoactivité de l'hippocampe (crucial pour la contextualisation et l'encodage des souvenirs autobiographiques). Cette configuration favorise l'encodage de souvenirs traumatiques implicites (sensoriels, émotionnels) au détriment de la mémoire explicite (narrative), ce qui explique les flashbacks et l'amnésie.
- Cortex Préfrontal : Le cortex préfrontal médian (CPFm), impliqué dans l'autoréflexion et la régulation émotionnelle "de haut en bas", montre une activité réduite. Ce déficit de contrôle exécutif peut expliquer l'incapacité à inhiber les intrusions des PE et à réguler les émotions accablantes.
- Circuits de la Conscience de Soi : Des régions comme l'insula (perception intéroceptive), le précunéus et le carrefour temporo-pariétal, qui sont essentielles à l'intégration des informations corporelles et à la conscience de soi, présentent des schémas d'activation anormaux. Ces altérations sont directement liées aux symptômes de dépersonnalisation et de déréalisation.
- Connectivité Cérébrale : Des études sur la connectivité fonctionnelle montrent une communication altérée entre les réseaux cérébraux, notamment une déconnexion entre les régions frontales et limbiques, ce qui entrave l'intégration de la cognition et de l'émotion.
Ces découvertes valident l'idée que la dissociation n'est pas une "simulation", mais un état psychobiologique distinct, une altération mesurable du fonctionnement cérébral en réponse à un stress extrême.
D. L'Évaluation Diagnostique : Un Défi Clinique
Le diagnostic des troubles dissociatifs, et en particulier du TDI, reste l'un des plus grands défis de la psychiatrie clinique. Plusieurs facteurs contribuent à cette difficulté :
- Haute Comorbidité : Les troubles dissociatifs sont rarement isolés. Ils s'accompagnent fréquemment de TSPT complexe, de troubles de la personnalité (notamment borderline), de troubles dépressifs majeurs, de troubles anxieux, de troubles du comportement alimentaire et de troubles liés à l'usage de substances. La symptomatologie dissociative peut être masquée par ces autres diagnostics plus "visibles".
- Manque de Formation des Cliniciens : De nombreux professionnels de la santé mentale ne reçoivent pas une formation adéquate sur l'évaluation et le traitement de la dissociation complexe. La nature souvent subtile et secrète des symptômes peut les amener à passer à côté du diagnostic.
- Honte et Dissimulation du Patient : Les patients, craignant d'être jugés "fous" ou ne comprenant pas eux-mêmes leurs symptômes, peuvent cacher activement leur expérience dissociative. L'amnésie inter-identités dans le TDI signifie également que la partie qui consulte peut ne pas être consciente de l'existence des autres parties.
- Controverse Historique : Bien que solidement ancré dans la littérature scientifique actuelle, le TDI a fait l'objet de controverses, certains l'ayant considéré comme un trouble iatrogène (créé par le thérapeute). Cette controverse a rendu certains cliniciens hésitants à poser le diagnostic, malgré les preuves accablantes de sa validité.
Une évaluation rigoureuse est donc essentielle. Elle doit être menée avec patience et expertise. L'utilisation d'outils d'évaluation structurés est fortement recommandée pour compléter l'entretien clinique :
- L'Entretien Clinique Structuré pour les Troubles Dissociatifs (SCID-D) est considéré comme l'étalon-or. Il s'agit d'un entretien semi-structuré mené par un clinicien qui explore systématiquement les cinq domaines principaux de la symptomatologie dissociative (amnésie, dépersonnalisation, déréalisation, confusion identitaire, altération identitaire).
- L'Échelle des Expériences Dissociatives (DES) est un questionnaire d'auto-évaluation simple qui peut servir d'outil de dépistage. Un score élevé ne confirme pas un diagnostic mais indique la nécessité d'une évaluation plus approfondie.
- L'Inventaire Multidimensionnel de la Dissociation (MID) est un questionnaire plus complet qui aide le clinicien à comprendre la complexité de la phénoménologie dissociative du patient et à guider le traitement.
Le diagnostic différentiel est également crucial. Il faut écarter le trouble psychotique (dans la dissociation, le contact avec la réalité est généralement préservé), le trouble factice ou la simulation (qui sont rares et présentent des incohérences cliniques), et distinguer la fragmentation de l'identité du TDI de l'instabilité identitaire du trouble de la personnalité borderline.
E. Approches Thérapeutiques Fondées sur des Données Probantes
Le traitement des troubles dissociatifs est un processus à long terme, exigeant et spécialisé. Il n'existe pas de solution pharmacologique spécifique, bien que des médicaments puissent être utilisés pour gérer les symptômes comorbides (dépression, anxiété). Le traitement de choix est la psychothérapie, structurée selon un modèle phasique largement consensuel, recommandé par les lignes directrices de l'International Society for the Study of Trauma and Dissociation (ISST-D).
Phase 1 : Stabilisation, Sécurité et Renforcement des Compétences
Cette phase initiale est la plus longue et la plus fondamentale. Tenter de travailler sur les souvenirs traumatiques sans une stabilisation adéquate est non seulement inefficace, mais potentiellement dangereux, car cela peut entraîner une décompensation sévère. Les objectifs de cette phase sont multiples :
- Établir une Alliance Thérapeutique Solide : La sécurité dans la relation thérapeutique est primordiale. Le thérapeute doit être fiable, prévisible, respectueux et compétent en matière de trauma.
- Psychoéducation : Aider le patient à comprendre la dissociation comme une stratégie de survie et non comme un signe de "folie". Normaliser les symptômes et fournir un cadre (comme la théorie de la dissociation structurelle) peut être immensément soulageant.
- Gestion des Symptômes et Régulation Affective : Enseigner des compétences concrètes pour gérer les émotions intenses, les intrusions traumatiques et les pulsions autodestructrices. Cela inclut des techniques de "grounding" (ancrage dans le présent par les cinq sens), des exercices de pleine conscience, et des stratégies pour améliorer la tolérance à la détresse (inspirées de la thérapie comportementale dialectique - TCD).
- Travail avec les Parties Dissociées (dans le TDI) : L'objectif n'est pas d'éliminer les alters, mais de favoriser la communication interne, la coopération et la co-conscience. Le thérapeute aide le système à fonctionner de manière plus collaborative, en négociant des accords entre les parties pour assurer la sécurité et le fonctionnement quotidien.
Phase 2 : Confrontation, Traitement et Intégration des Souvenirs Traumatiques
Une fois que le patient dispose de compétences de régulation suffisantes et d'un sentiment de sécurité interne et externe, le travail sur les souvenirs traumatiques peut commencer. Ce travail doit être mené de manière titrée et prudente, en respectant le rythme du patient. L'objectif n'est pas de revivre le trauma de manière incontrôlée, mais de le métaboliser et de l'intégrer dans la narration autobiographique.
- Approches Thérapeutiques : Plusieurs modalités se sont avérées efficaces :
- L'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) : Adapté pour les traumatismes complexes, l'EMDR aide à traiter les souvenirs bloqués en utilisant des stimulations bilatérales, permettant de réduire leur charge émotionnelle et de les intégrer.
- Les Thérapies Sensorimotrices et Somatiques : Ces approches (comme la Somatic Experiencing®) se concentrent sur le traitement des souvenirs traumatiques encapsulés dans le corps, en aidant le patient à compléter les réponses de défense qui ont été figées.
- La Thérapie des États du Moi : Cette approche travaille directement avec les différentes parties dissociées pour traiter les traumatismes qu'elles détiennent.
Le but de cette phase est la "réalisation" : la reconnaissance que l'événement traumatique appartient au passé et n'est plus en train de se produire.
Phase 3 : Intégration et Réhabilitation Post-Traumatique
Cette dernière phase se concentre sur la consolidation des gains et la construction d'une vie au-delà du trauma.
- Intégration de la Personnalité : Dans le cas du TDI, l'intégration ne signifie pas nécessairement la "fusion" de toutes les parties en une seule identité. Pour de nombreux patients, l'objectif est une "résolution" où les différentes parties coexistent harmonieusement, partagent les souvenirs et travaillent ensemble sous une identité unifiée. La décision appartient au patient.
- Deuil : Faire le deuil des années perdues, des opportunités manquées et de l'enfance qui n'a pas eu lieu est une étape essentielle du rétablissement.
- Développement d'un Soi Unifié : Le patient apprend à vivre dans le présent, à développer des relations saines, à s'engager dans des activités professionnelles et sociales satisfaisantes, et à trouver un nouveau sens à sa vie.
Ce processus thérapeutique est un voyage long et ardu, mais il offre la possibilité d'une véritable guérison, permettant à l'individu de passer de la simple survie à une vie pleinement vécue.
Conclusion
Les troubles dissociatifs, enracinés dans les traumatismes les plus profonds que l'être humain puisse subir, représentent une altération complexe et significative du soi. Loin des clichés sensationnalistes, ils sont le témoignage de la capacité de l'esprit à se fracturer pour survivre. La compréhension scientifique actuelle, étayée par la neurobiologie et des modèles psychologiques robustes comme la théorie de la dissociation structurelle, nous permet de dépasser les controverses passées pour reconnaître ces troubles comme des conditions psychiatriques valides et traitables. Le chemin vers la guérison est exigeant, nécessitant des cliniciens hautement qualifiés et des approches thérapeutiques phasiques, patientes et centrées sur la sécurité. Reconnaître, diagnostiquer et traiter adéquatement la dissociation n'est pas seulement un impératif clinique ; c'est un impératif éthique qui consiste à rendre leur histoire, leur cohérence et, finalement, leur vie, aux survivants qui ont été contraints de se déconnecter d'eux-mêmes pour rester en vie.
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