Quelles sont les capacités de résilience chez l’enfant ?
L'Orchidée, le Pissenlit et la Tempête du Développement
Face à l'adversité, l'imaginaire collectif oscille souvent entre deux pôles : celui de l'enfant brisé, dont la trajectoire est irrémédiablement déviée par le traumatisme, et celui de l'enfant "invulnérable", qui semble traverser les épreuves sans une égratignure. Ces deux visions, bien que narratives, simplifient à l'extrême une réalité d'une complexité fascinante. La psychologie du développement a longtemps lutté pour dépasser ce dualisme, pour comprendre non pas pourquoi certains enfants se brisent, mais comment tant d'autres parviennent, contre toute attente, à construire un développement fonctionnel, voire florissant, malgré des conditions de départ délétères. C'est dans ce "comment" que réside le concept de résilience.
La résilience n'est pas une armure magique innée, un trait de caractère immuable qui rendrait certains individus insensibles au malheur. Elle est bien plus subtile, plus dynamique. Elle s'apparente moins à un roc qu'à un roseau qui plie sous le vent de la tempête sans rompre, et qui, une fois l'ouragan passé, se redresse, parfois plus fort à l'endroit même de sa flexion. C'est un processus, une danse complexe entre les vulnérabilités individuelles et les ressources environnementales. La recherche contemporaine, s'appuyant sur les neurosciences, la génétique et la psychologie systémique, a commencé à cartographier cette danse. Elle nous révèle que la résilience est une propriété émergente, le produit d'une interaction continue entre des systèmes biologiques, psychologiques, familiaux et communautaires.
Nous expliquerons certains des mécanismes de cette adaptation positive. Nous nous éloignerons de la simple énumération de "bons" et de "mauvais" facteurs pour explorer les processus transactionnels qui permettent à un enfant, non seulement de survivre à un traumatisme, mais d'intégrer cette expérience dans une trajectoire de vie porteuse de sens et de compétences. Nous analyserons les fondations neurobiologiques qui sous-tendent la réponse au stress, les caractéristiques psychologiques qui favorisent un coping adaptatif, le rôle absolument central de l'environnement relationnel et, enfin, l'influence des écosystèmes plus larges comme l'école et la communauté. Car comprendre la résilience, c'est ultimement comprendre comment tisser, autour de chaque enfant, un filet de sécurité si robuste et si souple qu'il puisse transformer les chutes inévitables en opportunités d'apprentissage et de croissance.
A. Conceptualisation de la Résilience : Au-delà du Mythe de l'Invulnérabilité
Le terme "résilience", emprunté à la physique où il décrit la capacité d'un matériau à retrouver sa forme initiale après un choc, peut être trompeur en psychologie. Il ne s'agit pas pour l'enfant de revenir à un état "comme avant", car le traumatisme, par définition, laisse une trace. Il s'agit plutôt d'un processus dynamique qui permet une adaptation positive et le maintien d'un développement compétent malgré une exposition significative à l'adversité.
Les travaux pionniers d'Emmy Werner et Ruth Smith dans leur étude longitudinale sur l'île de Kauai à Hawaï ont été fondateurs. Sur une cohorte d'enfants nés dans la pauvreté et exposés à de multiples facteurs de risque (stress périnatal, instabilité familiale, psychopathologie parentale), ils ont constaté qu'environ un tiers d'entre eux devenaient des adultes compétents, confiants et attentionnés, défiant toutes les prédictions déterministes. Ces enfants n'étaient pas "invulnérables" ; ils avaient souffert, mais ils avaient mobilisé un ensemble de ressources internes et externes pour naviguer leur développement. C'est la mise en lumière de ces "facteurs protecteurs" qui a lancé le champ de recherche sur la résilience.
Ann Masten, une figure de proue dans ce domaine, a qualifié la résilience de "magie ordinaire". Ce terme est essentiel : il démystifie le concept en soulignant que la résilience ne provient pas de processus extraordinaires, mais de l'opération normale et fonctionnelle de systèmes adaptatifs fondamentaux de l'être humain. Ces systèmes incluent, entre autres, le système d'attachement, le système de maîtrise de soi (fonctions exécutives), le système de recherche de sens et le système de régulation émotionnelle. Lorsque ces systèmes sont fonctionnels et soutenus par l'environnement, l'enfant a de fortes chances de faire preuve de résilience. Le traumatisme et l'adversité chronique menacent précisément ces systèmes. La résilience est donc la capacité à maintenir ou à retrouver le fonctionnement de ces systèmes adaptatifs malgré cette menace.
Il est crucial de distinguer plusieurs concepts. Les facteurs de risque sont les conditions qui augmentent la probabilité d'une issue négative (p. ex., pauvreté, abus, maladie mentale parentale). Les facteurs protecteurs sont des attributs de l'individu ou de son environnement qui modèrent l'effet des facteurs de risque. Ils agissent comme un bouclier. Par exemple, une relation d'attachement sécurisante (facteur protecteur) peut atténuer l'impact du stress lié à la précarité économique (facteur de risque) sur le développement de l'enfant. Enfin, les facteurs promoteurs (ou actifs de développement) sont des éléments qui favorisent un développement positif pour tous les enfants, qu'ils soient exposés à un risque ou non (p. ex., des écoles de qualité, un bon système de santé).
La résilience est donc évaluée par l'observation de deux conditions : 1) une exposition avérée à une menace ou une adversité significative, et 2) l'atteinte de résultats développementaux positifs ou normatifs, malgré cette exposition. Ces résultats peuvent inclure la réussite scolaire, le maintien de relations sociales saines, l'absence de psychopathologie et un bien-être subjectif. La trajectoire n'est jamais linéaire ; elle peut impliquer des périodes de détresse et de difficultés suivies de phases de récupération et de croissance (croissance post-traumatique).
B. Les Substrats Neurobiologiques de la Résilience
La capacité d'un enfant à surmonter un traumatisme n'est pas qu'une question de volonté ou de caractère ; elle est profondément ancrée dans sa biologie et le développement de son système nerveux. La compréhension des mécanismes neurobiologiques offre une fenêtre sur la manière dont l'adversité s'inscrit dans le corps et comment les facteurs de protection peuvent littéralement remodeler le cerveau.
Au cœur de la réponse au traumatisme se trouve le système de réponse au stress, principalement l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS). Face à une menace, cet axe déclenche la libération de cortisol, l'hormone du stress. Une activation aiguë et de courte durée est adaptative : elle mobilise l'énergie nécessaire pour faire face au danger. Cependant, un traumatisme sévère ou une adversité chronique peuvent dérégler ce système, conduisant à une hyper- ou hypo-activation chronique. Cette dérégulation a des effets toxiques sur le cerveau en développement, en particulier sur des structures clés comme l'hippocampe (impliqué dans la mémoire et l'apprentissage) et le cortex préfrontal (siège des fonctions exécutives).
La résilience, d'un point de vue neurobiologique, est associée à une régulation efficace de cet axe HHS. Un enfant résilient est capable de monter une réponse au stress appropriée face à un défi, mais aussi de la terminer rapidement une fois la menace passée, revenant à un état de base. Cette capacité de régulation n'est pas innée ; elle est co-construite. Les soins attentifs et sensibles d'un donneur de soins (caregiver) dans la petite enfance calibrent le système de stress du nourrisson. Le contact physique apaisant, la réponse prévisible aux pleurs et la mise en place d'un environnement sécurisant aident à tamponner la réactivité au stress et à construire des circuits neuronaux de régulation robustes.
L'épigénétique offre un mécanisme fascinant pour comprendre l'interaction entre les gènes et l'environnement. Nos gènes ne sont pas notre destin. Les expériences, en particulier précoces, peuvent modifier l'expression des gènes sans changer la séquence d'ADN elle-même, notamment par des processus comme la méthylation de l'ADN. Des études ont montré que l'adversité précoce peut entraîner des modifications épigénétiques sur des gènes liés au récepteur des glucocorticoïdes (qui aide à réguler la réponse au cortisol). Ces "marques" peuvent rendre l'individu plus vulnérable au stress tout au long de sa vie. Inversement, des expériences positives et des interventions thérapeutiques peuvent potentiellement inverser ou compenser certaines de ces marques épigénétiques, promouvant ainsi la résilience au niveau moléculaire.
Enfin, la neuroplasticité – la capacité du cerveau à se réorganiser en fonction de l'expérience – est une épée à double tranchant. Le traumatisme peut sculpter des circuits de peur et d'hypervigilance (notamment via l'amygdale). Cependant, cette même plasticité est la base de la récupération. Des environnements enrichissants, des relations de soutien et des interventions thérapeutiques peuvent favoriser la création de nouvelles connexions synaptiques et le renforcement des circuits liés à la régulation émotionnelle, à la prise de décision et à l'empathie, principalement dans le cortex préfrontal. La résilience est donc, en partie, la victoire de la plasticité adaptative sur la plasticité mal-adaptative induite par le traumatisme.
C. Les Attributs Individuels et Compétences Psychologiques
Si l'environnement joue un rôle prépondérant, certaines caractéristiques propres à l'enfant peuvent influencer sa trajectoire résiliente. Il ne s'agit pas de traits fixes, mais de compétences et de dispositions qui peuvent elles-mêmes être développées et renforcées.
- Les Fonctions Exécutives et la Régulation Cognitive : Les fonctions exécutives sont un ensemble de processus cognitifs de haut niveau gérés par le cortex préfrontal, qui incluent la mémoire de travail, le contrôle inhibiteur (la capacité à supprimer des pensées ou des actions non pertinentes) et la flexibilité cognitive (la capacité à changer de perspective ou à s'adapter à de nouvelles règles). Ces compétences sont fondamentales pour la résilience. Un enfant doté de bonnes fonctions exécutives peut mieux planifier des stratégies de résolution de problèmes, inhiber des réactions émotionnelles impulsives, et s'adapter de manière flexible aux changements de circonstances imposés par l'adversité. Il peut, par exemple, se concentrer sur ses devoirs malgré un environnement familial chaotique, ou trouver des solutions alternatives lorsqu'un plan échoue.
- La Régulation Émotionnelle et le Coping : La capacité à comprendre, exprimer et moduler ses propres émotions est une pierre angulaire de la santé mentale. Le traumatisme submerge souvent les capacités de régulation de l'enfant. Les enfants résilients ne sont pas ceux qui ne ressentent pas d'émotions négatives, mais ceux qui développent des stratégies de coping adaptatives pour les gérer. Le coping peut être centré sur le problème (tenter de changer la situation stressante) ou centré sur l'émotion (tenter de réguler la détresse émotionnelle). La flexibilité dans l'utilisation de ces stratégies est clé. Un enfant peut apprendre à chercher du réconfort (coping centré sur l'émotion) lorsqu'il ne peut rien changer à la situation (p. ex., une maladie parentale), mais à demander de l'aide à un enseignant (coping centré sur le problème) pour faire face à du harcèlement.
- Le Sentiment d'Auto-Efficacité et le Locus de Contrôle Interne : Développé par Albert Bandura, le sentiment d'auto-efficience (self-efficacy) est la croyance en sa propre capacité à organiser et exécuter les actions requises pour atteindre un objectif. Un enfant avec un fort sentiment d'auto-efficience aborde les défis comme des problèmes à résoudre plutôt que comme des menaces à éviter. Il est plus persévérant face aux obstacles. Ce sentiment est étroitement lié au locus de contrôle interne, la croyance qu'on a une certaine maîtrise sur les événements de sa vie, par opposition à un locus externe où l'on se sent à la merci des forces extérieures. Le traumatisme peut anéantir ce sentiment de contrôle. Un facteur protecteur majeur est la capacité de l'enfant, aidé par son entourage, à identifier les domaines où il peut encore exercer un contrôle, même minimes, ce qui restaure progressivement son sentiment d'agentivité.
- La Recherche de Sens et l'Optimisme : Les enfants résilients parviennent souvent, avec le temps, à construire un récit cohérent de leur expérience traumatique. Il ne s'agit pas de minimiser la douleur, mais de l'intégrer dans une histoire de vie plus large, parfois en y trouvant un sens ou un apprentissage. Cette capacité à "donner du sens" est un puissant protecteur contre le désespoir. L'optimisme, non pas comme une vision naïve du monde, mais comme une attente générale que les choses peuvent s'améliorer et que ses propres actions peuvent y contribuer, est également un corrélat important de la résilience. Cela inclut souvent une vision de l'avenir, des objectifs et des rêves qui agissent comme un moteur pour surmonter les difficultés présentes.
D. Le Creuset Relationnel : Attachement et Environnement Familial
La recherche est quasi unanime sur ce point : le facteur protecteur le plus puissant et le plus constant pour un enfant confronté à l'adversité est la présence d'au moins une relation stable, attentionnée et soutenante avec un adulte. Cet adulte, le plus souvent un parent, agit comme un "tampon" (buffer) contre les effets toxiques du stress.
La théorie de l'attachement, formulée par John Bowlby et validée empiriquement par Mary Ainsworth, fournit le cadre théorique le plus robuste pour comprendre ce phénomène. Un attachement sécurisant se développe lorsque le donneur de soins répond de manière sensible, cohérente et prévisible aux besoins du nourrisson. L'enfant apprend alors qu'il peut compter sur l'adulte pour obtenir du réconfort en cas de détresse. Cet adulte devient une "base de sécurité" à partir de laquelle l'enfant peut explorer le monde, et un "havre de paix" vers lequel il peut revenir en cas de peur ou de danger.
Comment cet attachement sécurisant promeut-il la résilience ?
- Co-régulation puis auto-régulation : Dans la petite enfance, le parent "co-régule" les états émotionnels et physiologiques de l'enfant. En le calmant, il aide son système nerveux à revenir à l'équilibre. Progressivement, l'enfant internalise ces stratégies et développe ses propres capacités d'auto-régulation. Face à un traumatisme, un enfant sécure est plus à même de chercher de l'aide et d'accepter le réconfort, ce qui active ce processus de co-régulation et prévient la dérégulation chronique.
- Modèles internes opérants (MIO) : L'expérience de l'attachement forme des schémas mentaux sur soi-même, les autres et le monde. Un enfant sécure développe un MIO de lui-même comme étant digne d'amour, et des autres comme étant fiables et aidants. Face à l'adversité, ce modèle le protège du sentiment d'être fondamentalement défectueux ou seul au monde. Il est plus susceptible de faire confiance et de nouer des relations de soutien en dehors de la famille.
- Exploration et compétence : La base de sécurité permet à l'enfant d'explorer son environnement, de prendre des risques calculés et de développer des compétences. Cette maîtrise de son environnement renforce son sentiment d'auto-efficience, un facteur de résilience clé comme nous l'avons vu.
Au-delà de la dyade parent-enfant, le climat familialglobal est essentiel. Les familles qui favorisent la résilience sont souvent celles qui maintiennent des routines et des rituels prévisibles. Ces structures offrent un sentiment de stabilité et de normalité dans un monde qui peut sembler chaotique. Une communication ouverte, une cohésion familiale forte (un sentiment d'appartenance et de soutien mutuel) et des systèmes de croyances partagés qui donnent un sens aux épreuves sont également des protecteurs puissants. Enfin, un style parental dit "démocratique" ou "autoritatif" (combinant un niveau élevé de chaleur et de soutien avec un niveau élevé d'attentes et de structure) est constamment associé à de meilleurs résultats pour les enfants.
Il est important de noter que la santé mentale des parents est elle-même un facteur crucial. Un parent souffrant de dépression, d'anxiété ou de son propre traumatisme non résolu peut avoir des difficultés à fournir les soins sensibles nécessaires, même avec les meilleures intentions. Soutenir les parents est donc l'une des manières les plus efficaces de soutenir la résilience des enfants.
E. L'Écosystème Élargi : L'Influence de l'École, des Pairs et de la Communauté
La résilience ne se tisse pas uniquement dans le huis clos familial. Le modèle écologique du développement humain d'Urie Bronfenbrenner nous rappelle que l'enfant est au centre de systèmes imbriqués qui interagissent les uns avec les autres. L'école, les amis et la communauté au sens large constituent des écosystèmes vitaux qui peuvent soit amplifier les risques, soit offrir des opportunités de protection et de croissance.
- L'École comme Espace Protecteur : Pour un enfant vivant dans un environnement familial chaotique ou abusif, l'école peut représenter bien plus qu'un lieu d'apprentissage académique. Elle peut être un havre de prévisibilité, de structure et de sécurité. Un climat scolaire positif, caractérisé par des attentes claires, un sentiment de sécurité physique et émotionnelle, et des relations respectueuses entre élèves et enseignants, est un facteur promoteur majeur. Au sein de l'école, les enseignants peuvent jouer un rôle déterminant. Un enseignant attentionné, qui croit aux capacités de l'enfant et lui accorde une attention positive, peut devenir une figure d'attachement secondaire significative. Pour certains enfants, cet adulte extérieur à la famille est la bouée de sauvetage qui leur permet de maintenir une vision positive d'eux-mêmes et de l'avenir. Les programmes scolaires qui intègrent l'apprentissage socio-émotionnel (Social and Emotional Learning - SEL), enseignant explicitement des compétences comme la conscience de soi, la gestion des émotions et la prise de décision responsable, contribuent également à bâtir les fondations de la résilience.
- Le Pouvoir des Relations avec les Pairs : Les amitiés offrent un contexte unique pour le développement de compétences sociales, la validation de soi et le soutien émotionnel. Avoir au moins un ami proche et de confiance peut agir comme un puissant tampon contre les effets du stress, du harcèlement ou de l'isolement. Les pairs offrent une perspective différente de celle des adultes et un sentiment d'appartenance crucial, en particulier à l'adolescence. Les relations positives avec les pairs peuvent compenser, dans une certaine mesure, un manque de soutien familial. Inversement, le rejet par les pairs ou l'association avec des groupes déviants constituent des facteurs de risque importants. La promotion des compétences pro-sociales chez les enfants est donc une voie d'intervention indirecte mais efficace pour renforcer leur résilience.
- Les Ressources Communautaires et Sociétales : La résilience d'un enfant dépend aussi de la résilience de la communauté dans laquelle il grandit. Une communauté dotée de ressources offre de multiples opportunités de protection. Cela inclut : L'accès à des services de qualité : soins de santé mentale et physique, services sociaux, crèches et garderies de haute qualité. Les opportunités d'engagement : centres communautaires, clubs sportifs, activités artistiques et culturelles, organisations religieuses ou spirituelles. Ces activités permettent à l'enfant de développer des compétences, de se sentir valorisé, et de tisser des liens avec d'autres adultes et pairs bienveillants en dehors de l'école et de la famille. La sécurité et la cohésion sociale : grandir dans un quartier sûr, où les voisins se connaissent et s'entraident (ce qu'on appelle l'efficacité collective), réduit l'exposition au stress chronique et augmente le sentiment de sécurité. Les normes culturelles et sociétales : Les cultures qui valorisent la persévérance, qui offrent des récits de résilience inspirants et qui luttent contre la stigmatisation des problèmes de santé mentale créent un contexte plus favorable à la guérison et à l'adaptation.
F. Le Modèle Transactionnel : Une Symphonie d'Influences en Interaction
La présentation des facteurs de résilience de manière catégorielle (biologique, individuel, familial, etc.) est une nécessité didactique, mais elle risque de masquer la réalité la plus importante : ces facteurs n'agissent pas de manière isolée et additive. Ils sont en interaction constante et dynamique dans un modèle transactionnel. La résilience émerge de cette interaction continue entre l'individu et ses environnements successifs au fil du temps.
Ce modèle, proposé notamment par Arnold Sameroff, s'oppose à une vision linéaire de cause à effet. L'enfant n'est pas un récepteur passif des influences environnementales ; il est un agent actif qui influence son environnement en retour. Un exemple classique est celui du tempérament. Un nourrisson au tempérament "facile" (calme, régulier, souriant) est plus susceptible de susciter des réponses chaleureuses et sensibles de la part de ses parents, même si ceux-ci sont fatigués ou stressés. Cette réponse parentale positive renforce le sentiment de sécurité de l'enfant, qui en retour sourit davantage, créant une spirale vertueuse. À l'inverse, un nourrisson au tempérament "difficile" (irritable, imprévisible) peut mettre à rude épreuve la patience de ses parents, qui risquent de devenir plus distants ou directifs. Cette réponse peut exacerber l'irritabilité de l'enfant, créant une spirale négative.
Le traumatisme s'insère dans ces boucles transactionnelles. L'adversité peut modifier le comportement de l'enfant (p. ex., le rendre plus agressif ou retiré), ce qui modifie la manière dont son entourage (parents, enseignants, pairs) réagit à lui. Ces réactions peuvent soit aggraver le problème, soit, si elles sont informées et bienveillantes, initier une nouvelle trajectoire de guérison.
Ce modèle a des implications profondes. Il signifie qu'il n'y a pas de "gène de la résilience" ou de "trait de résilience" unique. Il y a des trajectoires résilientes. Il met également en lumière l'importance du timing. Une intervention protectrice peut avoir un impact démultiplié si elle survient à une période sensible du développement (p. ex., soutenir les parents dans la première année de vie de l'enfant).
Enfin, ce modèle explique le concept de cascades développementales. Un succès ou un échec dans un domaine du développement peut se propager à d'autres domaines. Par exemple, une relation d'attachement sécurisante (domaine relationnel) favorise le développement de la régulation émotionnelle (domaine individuel), ce qui permet à l'enfant de mieux s'entendre avec ses pairs à l'école (domaine social), ce qui améliore son bien-être et sa réussite scolaire (domaine académique). Un traumatisme peut initier une cascade négative, mais l'introduction d'un facteur protecteur (un tuteur, un thérapeute, un club de sport) peut en initier une nouvelle, positive, capable de réorienter la trajectoire globale. La promotion de la résilience consiste donc à identifier les points de levier stratégiques dans ce système complexe pour initier et soutenir ces cascades positives.
Conclusion : Cultiver les Systèmes, Pas Seulement les Individus
L'exploration des facteurs protecteurs et promoteurs nous éloigne définitivement de l'idée d'un enfant intrinsèquement "fort" ou "faible". Elle nous conduit vers une compréhension écologique et systémique de la résilience. La capacité d'un enfant à surmonter un traumatisme n'est pas tant une mesure de sa force intérieure isolée qu'un témoignage de la qualité et de la robustesse des systèmes de protection qui l'entourent. La "magie ordinaire" d'Ann Masten réside précisément là : dans le fonctionnement ordinaire mais vital des relations d'attachement, des routines familiales, des salles de classe bienveillantes et des communautés solidaires.
Cette perspective déplace radicalement notre focus. Plutôt que de se demander "Comment réparer cet enfant brisé ?", la question devient "Comment renforcer les systèmes adaptatifs de cet enfant et de son environnement pour qu'il puisse se réparer et grandir ?". La responsabilité n'incombe plus uniquement à l'enfant, sommé de "s'en sortir", mais elle est partagée collectivement. Elle incombe aux parents, mais aussi aux décideurs politiques qui financent les services de santé mentale, aux urbanistes qui conçoivent des quartiers sûrs, aux directeurs d'école qui instaurent un climat de bienveillance, et à chaque citoyen qui choisit de tendre la main.
La recherche sur la résilience est porteuse d'un message d'espoir profond. Elle nous montre que même face aux pires adversités, le développement humain possède une capacité d'auto-redressement remarquable, à condition que les ingrédients fondamentaux soient présents. Notre tâche, en tant que scientifiques, cliniciens, éducateurs et membres de la société, n'est pas de créer des enfants invulnérables, mais de nous assurer que chaque enfant ait accès à la relation, à la ressource ou à l'opportunité qui fera pencher la balance, transformant une trajectoire de risque en une promesse de résilience.
Les Sources :
Masten, A. S. (2018). Resilience theory and research on children and families: Past, present, and promise. Journal of Family Theory & Review, 10(1), 12–31. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jftr.12255
Masten, A. S., & Cicchetti, D. (2016). Developmental cascades. Development and Psychopathology, 28(3), 691–695. https://www.cambridge.org/core/journals/development-and-psychopathology/article/developmental-cascades/B1E0288E6760F9D8364F7E6B65D2111E
Poole, J. C., Dobson, K. S., & Pusch, D. (2017). Childhood adversity and adult depression: The protective role of psychological resilience. Child Abuse & Neglect, 64, 89–100. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S014521341630386X
Sameroff, A. (2009). The transactional model of development: How children and contexts shape each other. American Psychological Association. https://psycnet.apa.org/record/2009-10521-000
Shonkoff, J. P., Garner, A. S., The Committee on Psychosocial Aspects of Child and Family Health, Committee on Early Childhood, Adoption, and Dependent Care, & Section on Developmental and Behavioral Pediatrics. (2012). The lifelong effects of early childhood adversity and toxic stress. Pediatrics, 129(1), e232–e246. https://publications.aap.org/pediatrics/article/129/1/e232/31895/The-Lifelong-Effects-of-Early-Childhood-Adversity
Thompson, R. A. (2014). Stress and child development. The Future of Children, 24(1), 41–59. https://www.jstor.org/stable/23723385
Ungar, M. (2015). Working with children and youth with complex needs: 20 skills to build resilience. Routledge. https://www.routledge.com/Working-with-Children-and-Youth-with-Complex-Needs-20-Skills-to-Build/Ungar/p/book/9781138792039
Werner, E. E. (2005). Resilience and recovery: Findings from the Kauai Longitudinal Study. Research, Policy, and Practice in Children's Mental Health, 19(1), 11–14. https://www.researchgate.net/publication/292679261_Resilience_and_Recovery_Findings_from_the_Kauai_Longitudinal_Study
