Quels sont les différents types de maladies neuro-dégénératives ?
Dans les services de neurologie des hôpitaux universitaires, un tableau se dessine inexorablement : celui du vieillissement démographique occidental et son cortège de pathologies cérébrales. J’ai encore en mémoire ce patient de 67 ans, ingénieur à la retraite, qui traçait méthodiquement sur un carnet les mots qu’il oubliait, comme pour cartographier la progression de sa maladie d’Alzheimer débutante. Ces journaux intimes de la dégénérescence constituent peut-être les témoignages les plus poignants de ce que représente la perte progressive des fonctions neurologiques.
Les maladies neurodégénénératives représentent un ensemble hétérogène de pathologies caractérisées par la mort progressive et irréversible de populations neuronales spécifiques. Leur prévalence croissante dans nos sociétés vieillissantes en fait un défi majeur de santé publique, tant sur le plan médical qu’économique. Malgré des décennies de recherche, les mécanismes physiopathologiques sous-jacents demeurent insuffisamment élucidés, limitant le développement de traitements véritablement modificateurs de la maladie.
Cette revue propose une cartographie des principales catégories de maladies neurodégénératives, en s’appuyant sur les classifications contemporaines qui intègrent les avancées récentes en génétique, en imagerie et en analyses biomarqueurs.
A. Les synucléinopathies
Les synucléinopathies constituent un groupe de maladies neurodégénératives caractérisées par l’agrégation anormale d’alpha-synucléine, une protéine présynaptique principalement exprimée dans les terminaisons nerveuses du système nerveux central.
La maladie de Parkinson, prototype de cette catégorie, se manifeste par une triade symptomatique classique associant rigidité, akinésie et tremblement de repos. La dégénérescence des neurones dopaminergiques dans la substance noire pars compacta conduit à une dénervation dopaminergique striatale progressive. Les corps de Lewy, inclusions intracytoplasmiques contenant de l’alpha-synucléine pathologique, constituent la signature neuropathologique de cette affection.
L’atrophie multisystématisée (AMS), anciennement connue sous les appellations de syndrome de Shy-Drager, dégénérescence striatonigrique ou atrophie olivopontocérébelleuse, représente une forme plus agressive de synucléinopathie. Elle se caractérise par une combinaison variable de syndromes parkinsonien, cérébelleux et dysautonomique, avec une survie médiane n’excédant pas 9 ans après le diagnostic.
La démence à corps de Lewy, quant à elle, associe des fluctuations cognitives à des hallucinations visuelles détaillées et un syndrome parkinsonien. La distribution corticale des inclusions d’alpha-synucléine explique la prévalence élevée des symptômes neuropsychiatriques, avec une sensibilité particulière aux neuroleptiques classiques.
B. Les tauopathies
Les tauopathies regroupent des affections caractérisées par l’accumulation intracellulaire de la protéine tau hyperphosphorylée, un élément du cytosquelette neuronal impliqué dans la stabilisation des microtubules.
La maladie d’Alzheimer, bien qu’étant une pathologie mixte impliquant également l’amyloïde bêta, peut être considérée comme une tauopathie secondaire. La progression spatio-temporelle des dégénérescences neurofibrillaires, décrite par Braak et Braak, suit un parcours stéréotypé débutant dans le cortex entorhinal et l’hippocampe, expliquant les troubles mnésiques inauguraux.
La paralysie supranucléaire progressive (PSP) se distingue par une atteinte précoce des noyaux gris centraux, du tronc cérébral et du cervelet. Cliniquement, elle se manifeste par un syndrome parkinsonien axial avec instabilité posturale, ophtalmoparésie supranucléaire et troubles cognitifs frontaux. La protéine tau pathologique présente un profil de phosphorylation et d’agrégation spécifique, avec prédominance des isoformes à 4 répétitions.
La dégénérescence cortico-basale (DCB) représente une tauopathie sporadique caractérisée par un syndrome asymétrique associant rigidité, apraxie, dystonie et myoclonies d’action. Les analyses post-mortem révèlent des inclusions astrocytaires pathognomoniques (plaques astrocytaires) et des neurones ballonnés.
La démence frontotemporale liée à la protéine tau (FTLD-tau) englobe plusieurs entités, dont la maladie de Pick. Caractérisée par des corps de Pick argentophiles dans les neurones du cortex frontal et temporal, elle se traduit cliniquement par des modifications comportementales précoces et des troubles du langage.
C. Les maladies à répétition de trinucléotides
Ce groupe distinct de maladies neurodégénératives résulte d’expansions anormales de répétitions de trinucléotides dans des gènes spécifiques.
La maladie de Huntington, prototype de cette catégorie, est causée par une expansion de trinucléotides CAG dans le gène HTT codant pour la huntingtine. Cette mutation confère un gain de fonction toxique à la protéine, entraînant une dégénérescence préférentielle du striatum. La triade symptomatique associe mouvements choréiques, troubles psychiatriques et déclin cognitif.
L’ataxie de Friedreich, maladie autosomique récessive, résulte d’une expansion GAA dans le gène FXN codant pour la frataxine, une protéine mitochondriale. Le déficit en frataxine perturbe le métabolisme du fer intramitochondrial et la fonction des complexes de la chaîne respiratoire, provoquant une dégénérescence des cordons postérieurs de la moelle épinière et du noyau dentelé du cervelet.
Les ataxies spinocérébelleuses (SCA) constituent un groupe hétérogène de maladies autosomiques dominantes, certaines étant causées par des expansions CAG. La neurodégénérescence affecte principalement le cervelet et ses connexions, entraînant un syndrome cérébelleux progressif avec diverses manifestations systémiques selon le sous-type.
La maladie de Kennedy (amyotrophie bulbo-spinale) est liée à l’X et causée par une expansion de répétitions CAG dans le gène du récepteur aux androgènes. Elle se manifeste par une faiblesse musculaire proximale, une atrophie et des fasciculations, associées à une atteinte bulbaire progressive et à des signes d’insensibilité aux androgènes.
D. Les maladies à prions
Les maladies à prions représentent un paradigme unique de neurodégénérescence, impliquant la conversion d’une protéine cellulaire normale (PrPc) en une isoforme pathologique (PrPsc) capable d’induire sa propre réplication par un mécanisme d’auto-assemblage.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, forme la plus fréquente, se manifeste par un syndrome démentiel rapidement progressif associé à des myoclonies et une activité périodique caractéristique à l’électroencéphalogramme. L’évolution est invariablement fatale, avec une survie médiane d’environ 6 mois.
Les formes génétiques comprennent la maladie de Creutzfeldt-Jakob familiale, l’insomnie fatale familiale et le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker. Elles résultent de mutations du gène PRNP codant pour la protéine prion.
Les formes acquises incluent le kuru (lié au cannibalisme rituel), la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène (greffes de dure-mère, hormone de croissance extractive) et la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (liée à l’encéphalopathie spongiforme bovine). Ces formes illustrent le caractère transmissible unique de ces pathologies.
E. Les maladies du motoneurone
Ces affections se caractérisent par la dégénérescence progressive des motoneurones centraux et/ou périphériques.
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) constitue la forme la plus fréquente. Elle associe des signes d’atteinte du motoneurone central (syndrome pyramidal) et du motoneurone périphérique (fasciculations, amyotrophie). Les formes familiales (10% des cas) ont permis d’identifier plusieurs gènes causaux, notamment SOD1, C9ORF72, TARDBP (TDP-43) et FUS, orientant vers des mécanismes physiopathologiques impliquant le stress oxydatif, le dysfonctionnement mitochondrial et des anomalies du métabolisme des ARN.
L’atrophie musculaire spinale (AMS) résulte de mutations du gène SMN1. La sévérité clinique est inversement corrélée au nombre de copies du gène paralogue SMN2. Les formes infantiles graves (type I ou maladie de Werdnig-Hoffmann) se distinguent des formes de l’enfant (type II) ou de l’adulte jeune (type III ou maladie de Kugelberg-Welander).
La sclérose latérale primitive, rare, affecte exclusivement le motoneurone central. Elle évolue plus lentement que la SLA et se manifeste par un syndrome tétrapyramidal progressif avec dysarthrie spastique.
F. Les maladies mitochondriales avec manifestations neurodégénératives
Les cytopathies mitochondriales constituent un groupe hétérogène d’affections résultant de mutations de l’ADN mitochondrial ou de gènes nucléaires codant pour des protéines mitochondriales.
Le syndrome MERRF (Myoclonic Epilepsy with Ragged Red Fibers) est caractérisé par une épilepsie myoclonique, une ataxie cérébelleuse et une myopathie avec fibres rouges déchiquetées à la biopsie musculaire. Il résulte principalement de la mutation A8344G dans le gène MT-TK.
Le syndrome MELAS (Mitochondrial Encephalomyopathy, Lactic Acidosis, and Stroke-like episodes) associe encéphalopathie, acidose lactique et épisodes similaires aux accidents vasculaires cérébraux. La mutation A3243G dans le gène MT-TL1 est la plus fréquente.
La neuropathie optique héréditaire de Leber, causée par des mutations de l’ADN mitochondrial affectant des sous-unités du complexe I de la chaîne respiratoire, provoque une perte de vision centrale bilatérale subaigu due à la dégénérescence des cellules ganglionnaires rétiniennes.
G. Les leucodystrophies de l’adulte
Ces maladies rares affectent principalement la substance blanche du système nerveux central par des mécanismes démyélinisants ou dysmyélinisants.
La leucoencéphalopathie métachromatique résulte d’un déficit en arylsulfatase A, entraînant l’accumulation de sulfatides dans les oligodendrocytes et les cellules de Schwann. Les formes tardives se manifestent par des troubles psychiatriques et cognitifs progressifs, associés à une polyneuropathie.
La maladie de Krabbe (leucodystrophie à cellules globoïdes) est causée par un déficit en galactocérébrosidase, provoquant une accumulation de psychosine toxique pour les oligodendrocytes. Les formes de l’adulte, rares, se manifestent par une paraparésie spastique progressive et une neuropathie périphérique.
L’adrénoleucodystrophie liée à l’X, due à des mutations du gène ABCD1 codant pour un transporteur peroxisomal des acides gras à très longue chaîne, peut se présenter à l’âge adulte sous forme d’adrénomyéloneuropathie avec paraparésie spastique progressive et insuffisance surrénalienne.
La maladie d’Alexander, causée par des mutations du gène GFAP codant pour la protéine gliale fibrillaire acide, peut se manifester tardivement par une paraparésie spastique, une ataxie bulbaire et une démence.
H. Les démences vasculaires
Bien que n’étant pas intrinsèquement neurodégénératives, les démences vasculaires méritent d’être mentionnées en raison de leur prévalence élevée et de leurs mécanismes parfois intriqués avec les processus neurodégénératifs primaires.
La démence par infarctus multiples résulte de l’accumulation d’infarctus cérébraux de tailles variables. Le tableau clinique, souvent hétérogène, dépend de la localisation des lésions, avec une évolution typiquement “en marches d’escalier”.
La maladie des petits vaisseaux (leucoaraïose) se caractérise par des lésions diffuses de la substance blanche périventriculaire et profonde, visualisées en hypersignal T2 à l’IRM. Elle se manifeste cliniquement par un syndrome dysexécutif, des troubles de la marche et une incontinence urinaire.
L’angiopathie amyloïde cérébrale, caractérisée par des dépôts d’amyloïde dans la paroi des vaisseaux corticaux et leptoméningés, peut entraîner des hémorragies lobaires récidivantes et contribuer au déclin cognitif.
CADASIL (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leukoencephalopathy), causée par des mutations du gène NOTCH3, représente la forme héréditaire la plus fréquente de maladie des petits vaisseaux, associant migraines avec aura, accidents ischémiques récurrents et démence précoce.
Conclusion
Cette revue des principales maladies neurodégénératives illustre la complexité et l’hétérogénéité de ces affections. Les avancées récentes en génétique moléculaire, en neuroimagerie et en analyse des biomarqueurs ont considérablement amélioré notre compréhension de leurs mécanismes physiopathologiques. Cependant, plusieurs questions fondamentales demeurent non résolues : pourquoi certaines populations neuronales sont-elles spécifiquement vulnérables dans chaque maladie ? Comment les protéines mal conformées se propagent-elles à travers le système nerveux ? Quels sont les mécanismes déclenchant l’initiation du processus pathologique ?
Les perspectives thérapeutiques reposent désormais sur des approches ciblant spécifiquement les mécanismes moléculaires sous-jacents : immunothérapie dirigée contre les agrégats protéiques, thérapies antisens pour moduler l’expression de gènes pathogènes, ou encore thérapies de remplacement enzymatique. L’identification de biomarqueurs précoces permettant un diagnostic présymptomatique ouvre la voie à des interventions préventives chez les individus à risque. Néanmoins, la complexité des mécanismes pathogéniques et la nature multifactorielle de ces maladies suggèrent qu’une approche thérapeutique combinatoire sera probablement nécessaire pour obtenir des bénéfices cliniquement significatifs.
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