Quel est l'impact de l'alimentation sur la fonction mnésique ?
Les relations entre cerveau et alimentation constituent l’un des domaines de recherche les plus fascinants de la neuropsychologie moderne. La mémoire, cette faculté cognitive fondamentale qui forge notre identité, s’avère remarquablement sensible aux fluctuations métaboliques et biochimiques induites par nos choix alimentaires quotidiens.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce domaine il y a une vingtaine d’années, les mécanismes moléculaires reliant nutrition et fonction mnésique relevaient encore largement de l’hypothétique. Les données empiriques étaient parcellaires, souvent contradictoires. Aujourd’hui, grâce à l’avènement des technologies d’imagerie cérébrale avancées et aux progrès de la métabolomique, nous disposons d’un corpus substantiel de connaissances permettant d’appréhender avec finesse les voies par lesquelles certains micronutriments modulent l’activité neuronale et influencent les processus mnésiques.
Ce changement de paradigme soulève des questions cruciales à l’interface de la neurologie clinique, de la diététique et des sciences cognitives. Dans quelle mesure les déficits mnésiques liés à l’âge peuvent-ils être prévenus par des interventions nutritionnelles spécifiques ? Les troubles de la mémoire associés à certaines pathologies neurodégénératives sont-ils partiellement réversibles par des modifications alimentaires ciblées ? Peut-on identifier des profils métaboliques prédictifs du déclin cognitif ?
Ce travail propose une analyse critique des connaissances actuelles sur les interactions entre nutrition et fonction mnésique, en s’appuyant sur les données les plus récentes de la littérature scientifique. Nous examinerons successivement les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans ces interactions, le rôle spécifique de certains nutriments dans les processus de mémorisation, et les perspectives thérapeutiques qui en découlent.
A. Mécanismes neurobiologiques reliant nutrition et mémoire
A.1. Neuro-inflammation et barrière hémato-encéphalique
La barrière hémato-encéphalique (BHE) constitue l’interface critique entre le système circulatoire et le parenchyme cérébral. Son intégrité s’avère déterminante dans la régulation des échanges métaboliques nécessaires au fonctionnement optimal des circuits neuronaux impliqués dans les processus mnésiques.
L’alimentation occidentale contemporaine, caractérisée par une forte proportion d’acides gras saturés et de sucres raffinés, induit une perméabilisation progressive de la BHE. Cette altération structurelle favorise la pénétration de cytokines pro-inflammatoires dans le tissu cérébral, déclenchant une cascade neuro-inflammatoire particulièrement délétère pour l’hippocampe et le cortex préfrontal, régions cruciales pour la consolidation mnésique.
Des études récentes utilisant des modèles murins ont démontré que l’exposition prolongée à un régime hyperlipidique provoque une activation microgliale dans ces régions cérébrales, associée à une diminution significative des performances dans les tâches de reconnaissance spatiale et de mémoire contextuelle. Les mécanismes sous-jacents impliquent notamment une surexpression de l’interleukine-1β et du TNF-α, compromettant la potentialisation à long terme (LTP), processus électrophysiologique fondamental pour l’encodage mnésique.
A.2. Stress oxydatif et fonction mitochondriale
Les mitochondries neuronales, particulièrement abondantes dans les régions à forte demande énergétique comme l’hippocampe, sont extrêmement sensibles aux fluctuations du statut redox intracellulaire. Or, cette homéostasie redox s’avère fortement influencée par nos apports alimentaires.
Une alimentation déficiente en antioxydants (vitamines E, C, polyphénols) compromet les défenses cellulaires contre les espèces réactives de l’oxygène (ERO), conduisant à des altérations structurelles des membranes neuronales et des protéines synaptiques. Ces perturbations se traduisent par une diminution de l’efficacité de la transmission synaptique et une altération des mécanismes de plasticité neuronale, compromettre in fine les processus d’encodage et de rappel.
La dysfonction mitochondriale qui en résulte affecte particulièrement les neurones cholinergiques du prosencéphale basal, impliqués dans les processus attentionnels nécessaires à la formation mnésique. Des études longitudinales ont démontré une corrélation inverse entre les marqueurs sériques de stress oxydatif et les performances mnésiques chez les personnes âgées, suggérant un rôle causal du déséquilibre redox dans le déclin cognitif lié à l’âge.
A.3. Neurogenèse hippocampique et facteurs neurotrophiques
Contrairement aux dogmes neuroanatomiques du siècle dernier, nous savons désormais que la neurogenèse adulte persiste dans certaines régions cérébrales, notamment le gyrus denté de l’hippocampe. Ce processus, crucial pour la discrimination mnésique et l’adaptabilité cognitive, s’avère remarquablement sensible aux influences nutritionnelles.
Le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), protéine clé dans la régulation de la neurogenèse et de la plasticité synaptique, voit son expression modulée par différents nutriments. Les acides gras polyinsaturés oméga-3, notamment l’acide docosahexaénoïque (DHA), augmentent la synthèse de BDNF via l’activation de voies de signalisation spécifiques, incluant les récepteurs PPAR et la protéine CREB.
À l’inverse, les régimes riches en graisses saturées et en sucres raffinés inhibent l’expression du BDNF hippocampique, conduisant à une diminution de la neurogenèse adulte et à une altération des capacités mnésiques. Des études d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont révélé une corrélation positive entre les taux sériques de BDNF et l’activité hippocampique lors de tâches de mémorisation chez l’humain, corroborant les données expérimentales obtenues chez l’animal.
B. Nutriments spécifiques et fonction mnésique
B.1. Acides gras polyinsaturés et mémoire
Les acides gras polyinsaturés (AGPI) constituent environ 35% des lipides membranaires cérébraux, avec une prédominance des oméga-3 à longue chaîne, particulièrement le DHA. Cette composition lipidique unique influence directement la fluidité membranaire, la transmission synaptique et la plasticité neuronale, fonctions biophysiques fondamentales pour les processus mnésiques.
Des études cliniques randomisées contrôlées ont démontré qu’une supplémentation en DHA (800-900 mg/jour) pendant 24 semaines améliorait significativement les performances de mémoire épisodique et de mémoire de travail chez des adultes souffrant de troubles cognitifs légers. Ces améliorations corrélaient avec une augmentation des concentrations plasmatiques de DHA et une réduction des marqueurs inflammatoires systémiques.
Les mécanismes moléculaires sous-jacents impliquent notamment la modulation de l’expression de plusieurs gènes impliqués dans la plasticité synaptique, notamment synapsin-1 et PSD-95. Par ailleurs, les métabolites du DHA, tels que les résolvines et les protectines, exercent des effets anti-inflammatoires et neuroprotecteurs puissants, contrecarrant les processus neuro-inflammatoires délétères pour la fonction hippocampique.
En revanche, les acides gras saturés, abondants dans les produits animaux transformés et les huiles végétales hydrogénées, altèrent la signalisation à l’insuline cérébrale et favorisent la production de céramides neurotoxiques, compromettant la transmission glutamatergique hippocampique nécessaire à la potentialisation à long terme.
B.2. Micronutriments antioxydants et protection neuronale
Le cerveau, avec sa haute teneur en lipides polyinsaturés et sa consommation d’oxygène élevée, s’avère particulièrement vulnérable aux dommages oxydatifs. Plusieurs micronutriments exercent des effets neuroprotecteurs significatifs via leurs propriétés antioxydantes.
La vitamine E (α-tocophérol), liposoluble, s’intègre dans les membranes neuronales où elle prévient la peroxydation lipidique et maintient l’intégrité structurale des synapses. Des études épidémiologiques prospectives ont révélé une association inverse entre les apports alimentaires en vitamine E et l’incidence des troubles mnésiques liés à l’âge. Une méta-analyse récente incluant 21 études prospectives (n=47,885) a démontré que les individus dans le quintile supérieur d’apport en vitamine E présentaient un risque réduit de 24% de développer des troubles cognitifs comparativement au quintile inférieur.
Les polyphénols, abondants dans les fruits colorés, le thé vert et le cacao, traversent la barrière hémato-encéphalique et modulent divers mécanismes neuroprotecteurs. Les flavonoïdes, notamment, activent les voies de signalisation ERK/CREB/BDNF, stimulant la neurogenèse hippocampique et facilitant la mémoire à long terme. Des essais cliniques ont démontré qu’une consommation régulière de cacao riche en flavanols améliorait significativement les performances de mémoire de travail et la vitesse de traitement de l’information chez des adultes âgés.
B.3. Vitamines du groupe B et métabolisme de l’homocystéine
Les vitamines B6, B9 (folate) et B12 participent à la régulation du métabolisme de l’homocystéine, acide aminé soufré dont l’élévation plasmatique constitue un facteur de risque indépendant de déclin cognitif et de troubles mnésiques.
L’hyperhomocystéinémie exerce des effets neurotoxiques via plusieurs mécanismes, notamment l’induction d’un stress oxydatif, l’excitotoxicité glutamatergique et l’altération de la méthylation de l’ADN neuronal. Ces perturbations métaboliques affectent particulièrement les neurones cholinergiques et glutamatergiques impliqués dans les processus mnésiques.
Une méta-analyse de 13 études prospectives a démontré qu’une augmentation de 5 μmol/L d’homocystéine plasmatique était associée à un risque accru de 50% de développer une démence de type Alzheimer, pathologie caractérisée par des déficits mnésiques sévères. Parallèlement, une carence en folate ou en vitamine B12 multiplie par deux le risque de développer des troubles mnésiques cliniquement significatifs sur une période de suivi de 6 ans.
Des essais d’intervention nutritionnelle ont démontré qu’une supplémentation combinée en vitamines B6, B9 et B12 réduisait significativement la progression de l’atrophie cérébrale dans les régions vulnérables à la maladie d’Alzheimer, notamment l’hippocampe et le cortex entorhinal, structures cruciales pour la mémoire épisodique.
C. Modèles alimentaires et trajectoires mnésiques
C.1. Régime méditerranéen et protection cognitive
Le régime méditerranéen, caractérisé par une consommation abondante d’huile d’olive, de fruits, de légumes, de céréales complètes, de légumineuses et une consommation modérée de poisson, s’est distingué dans la littérature épidémiologique par ses effets neuroprotecteurs remarquables.
L’étude PREDIMED, essai clinique randomisé multicentrique incluant 447 participants cognitifs normaux, a démontré qu’une adhésion élevée au régime méditerranéen enrichi en huile d’olive extra-vierge ou en fruits secs améliorait significativement les performances mnésiques et les fonctions exécutives après un suivi de 4,1 ans. Ces bénéfices cognitifs étaient particulièrement prononcés pour la mémoire épisodique et sémantique.
Les mécanismes sous-jacents impliquent une synergie d’effets neuroprotecteurs, notamment la réduction des processus neuro-inflammatoires, l’amélioration de la fonction endothéliale cérébrale et la modulation favorable du microbiote intestinal. L’huile d’olive extra-vierge, composante emblématique de ce régime, contient des polyphénols (notamment l’hydroxytyrosol) qui traversent la barrière hémato-encéphalique et inhibent l’agrégation de la protéine tau, processus pathologique caractéristique des tauopathies associées aux troubles mnésiques.
C.2. Jeûne intermittent et autophagie neuronale
Le jeûne intermittent, défini comme une alternance cyclique entre des périodes de restriction calorique et d’alimentation normale, a émergé comme une approche nutritionnelle prometteuse pour la préservation de la fonction mnésique.
Au niveau cellulaire, ce régime alimentaire stimule l’autophagie neuronale, processus catabolique essentiel à l’élimination des protéines mal conformées et des organelles dysfonctionnelles. Cette “maintenance cellulaire” s’avère particulièrement cruciale pour les neurones post-mitotiques, exposés à un stress métabolique chronique tout au long de la vie.
Des études expérimentales ont démontré que le jeûne intermittent augmentait l’expression de la protéine BDNF, stimulait la biogenèse mitochondriale et améliorait la résistance neuronale au stress oxydatif. Ces adaptations métaboliques se traduisent par une amélioration des performances dans divers paradigmes de mémoire spatiale et contextuelle chez les modèles murins transgéniques de la maladie d’Alzheimer.
Chez l’humain, des données préliminaires suggèrent qu’un protocole de jeûne intermittent (16 heures de jeûne/8 heures d’alimentation) maintenu pendant 12 semaines améliore les performances de mémoire verbale et la vitesse de traitement cognitif chez des adultes présentant une légère surcharge pondérale. Ces bénéfices cognitifs corrèlent avec une amélioration de la sensibilité à l’insuline et une réduction des marqueurs inflammatoires circulants.
C.3. Alimentation cétogène et métabolisme énergétique cérébral
Le régime cétogène, caractérisé par une restriction drastique des glucides (<50g/jour) et une prédominance des lipides (>70% de l’apport calorique total), induit une production hépatique de corps cétoniques (acétoacétate, β-hydroxybutyrate) qui deviennent la source énergétique principale du cerveau.
Cette modification métabolique fondamentale présente des implications significatives pour la fonction mnésique. Les corps cétoniques, notamment le β-hydroxybutyrate, ne sont pas de simples substrats énergétiques alternatifs au glucose, mais exercent également des effets de signalisation pleïotropiques, notamment l’inhibition des histones désacétylases (HDAC) et l’activation des récepteurs GPR109A.
Ces modifications épigénétiques induisent l’expression de gènes neuroprotecteurs et améliorent la plasticité synaptique hippocampique. Par ailleurs, le métabolisme cérébral des corps cétoniques génère moins d’espèces réactives de l’oxygène comparativement à la glycolyse, réduisant ainsi le stress oxydatif neuronal.
Des essais cliniques pilotes chez des patients souffrant de troubles cognitifs légers ont démontré qu’une alimentation cétogène modifiée (restriction modérée des glucides avec supplémentation en triglycérides à chaîne moyenne) améliorait significativement les performances de mémoire verbale après 6 semaines d’intervention. L’ampleur de cette amélioration corrélait positivement avec les concentrations plasmatiques de β-hydroxybutyrate.
D. Microbiote intestinal et axe intestin-cerveau dans la fonction mnésique
D.1. Métabolites microbiens et neuromodulation
Le microbiote intestinal, constitué de plus de 1000 espèces bactériennes différentes, produit une myriade de métabolites bioactifs capables d’influencer la fonction cérébrale et les processus mnésiques via l’axe intestin-cerveau.
Les acides gras à chaîne courte (AGCC), notamment le butyrate, l’acétate et le propionate, dérivés de la fermentation bactérienne des fibres alimentaires, exercent des effets neuromodulateurs significatifs. Le butyrate, particulièrement, traverse la barrière hémato-encéphalique et module l’expression génique neuronale via l’inhibition des histones désacétylases, favorisant la transcription de gènes impliqués dans la plasticité synaptique et la potentialisation à long terme.
Des études expérimentales ont démontré que l’administration orale de butyrate améliorait significativement la mémoire contextuelle et la reconnaissance d’objets chez des souris modèles de la maladie d’Alzheimer. Ces améliorations mnésiques s’accompagnaient d’une réduction de l’hyperphosphorylation de la protéine tau et d’une diminution de la charge amyloïde cérébrale.
Par ailleurs, certaines espèces bactériennes intestinales synthétisent des neurotransmetteurs ou leurs précurseurs, notamment la sérotonine, le GABA et la dopamine, impliqués dans la régulation des processus cognitifs et mnésiques. L’appauvrissement de ces espèces, fréquemment observé dans la dysbiose liée à l’âge, pourrait contribuer au déclin mnésique sénescent.
D.2. Perméabilité intestinale et endotoxémie métabolique
L’intégrité de la barrière épithéliale intestinale s’avère cruciale pour prévenir la translocation de lipopolysaccharides (LPS) bactériens dans la circulation systémique. Une alimentation occidentale typique, riche en graisses saturées et pauvre en fibres, compromet cette intégrité, conduisant à une endotoxémie métabolique chronique.
Cette élévation des taux circulants de LPS déclenche une cascade inflammatoire systémique qui, via la perméabilisation de la barrière hémato-encéphalique, induit une neuro-inflammation délétère pour les circuits mnésiques. Des études longitudinales ont démontré une corrélation positive entre les marqueurs sériques de perméabilité intestinale (zonuline, LPS) et le déclin des performances mnésiques chez les personnes âgées.
Les probiotiques, notamment certaines souches de Lactobacillus et Bifidobacterium, renforcent les jonctions serrées intestinales via la régulation de l’expression des protéines de jonction occludine et claudine. Des essais cliniques randomisés ont démontré qu’une supplémentation probiotique multiespèces pendant 12 semaines améliorait significativement la mémoire verbale et visuo-spatiale chez des adultes présentant un syndrome métabolique, cette amélioration corrélant avec une réduction des marqueurs inflammatoires circulants.
D.3. Polyphénols, prébiotiques et diversité microbienne
La diversité taxonomique du microbiote intestinal constitue un déterminant majeur de sa fonctionnalité métabolique et de son influence sur l’axe intestin-cerveau. Cette diversité est fortement modulée par nos choix alimentaires, particulièrement notre consommation de composés phytochimiques et de fibres prébiotiques.
Les polyphénols alimentaires, abondants dans les baies, le thé vert, le cacao et les agrumes, sont métabolisés par le microbiote intestinal en composés bioactifs dotés de propriétés neuroprotectrices supérieures à leurs précurseurs. L’acide urolithique A, métabolite microbien dérivé des ellagitannins présents dans les noix et les grenades, traverse la barrière hémato-encéphalique et active l’autophagie neuronale, facilitant l’élimination des agrégats protéiques neurotoxiques.
Les prébiotiques, notamment les fructo-oligosaccharides (FOS) et les galacto-oligosaccharides (GOS), stimulent sélectivement la croissance d’espèces bactériennes bénéfiques produisant des métabolites neuroprotecteurs. Une étude clinique randomisée contrôlée a démontré qu’une supplémentation en GOS (5.5g/jour) pendant 12 semaines améliorait significativement la mémoire épisodique et réduisait la réactivité au stress chez des adultes jeunes, ces effets étant médiés par des modifications spécifiques du microbiote intestinal.
E. Applications cliniques et perspectives thérapeutiques
E.1. Interventions nutritionnelles dans les troubles mnésiques liés à l’âge
Le déclin mnésique lié à l’âge, autrefois considéré comme inéluctable, apparaît aujourd’hui partiellement modulable par des interventions nutritionnelles ciblées. La caractérisation précise des altérations métaboliques sous-jacentes permet désormais d’élaborer des stratégies diététiques personnalisées selon le profil biochimique individuel.
L’étude FINGER, première étude interventionnelle multidomaine à grande échelle, a démontré qu’une approche nutritionnelle basée sur les principes du régime nordique (riche en poissons gras, baies, légumes crucifères et céréales complètes), combinée à un entraînement cognitif et physique, ralentissait significativement le déclin mnésique chez des personnes âgées à risque. Après deux ans d’intervention, le groupe expérimental présentait une amélioration de 25% des performances en mémoire épisodique comparativement au groupe contrôle.
La supplémentation en DHA (1g/jour) associée aux phospholipides de krill s’est révélée particulièrement efficace chez les individus présentant un génotype APOE4, facteur de risque génétique majeur pour la maladie d’Alzheimer. Ce bénéfice différentiel s’explique par l’altération du transport cérébral du DHA chez les porteurs de l’allèle ε4, compensée par la formulation phospholipidique qui facilite le passage transmembranaire.
E.2. Nutrition et réhabilitation mnésique post-traumatique
Les traumatismes crâniens induisent une cascade neuro-inflammatoire et oxydative qui compromet la plasticité synaptique et la neurogenèse, altérant durablementérant les processus mnésiques. Des protocoles nutritionnels spécifiques émergent comme adjuvants thérapeutiques prometteurs dans la réhabilitation cognitive post-traumatique.
L’administration précoce de créatine (20g/jour pendant 7 jours) dans les heures suivant un traumatisme crânien modéré améliore significativement la récupération des fonctions mnésiques à 6 mois, probablement via la stabilisation du métabolisme énergétique neuronal et la réduction du stress oxydatif mitochondrial. La créatine agit comme tampon énergétique, maintenant les niveaux d’ATP pendant la phase d’hypométabolisme post-traumatique.
Une supplémentation en curcumine liposomale (400mg/jour), débutée dans les 24 heures post-trauma et poursuivie pendant 12 semaines, atténue la neuro-inflammation persistante et améliore les performances de mémoire verbale et visuo-spatiale chez les patients souffrant de syndrome post-commotionnel. Les mécanismes sous-jacents impliquent l’inhibition de la voie NF-κB et la réduction de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique.
E.3. Thérapies nutritionnelles dans les troubles neurodégénératifs
Les pathologies neurodégénératives associées à des déficits mnésiques progressifs, notamment la maladie d’Alzheimer, présentent des caractéristiques métaboliques spécifiques potentiellement modulables par des interventions nutritionnelles ciblées.
L’hyperinsulinémie cérébrale, phénomène précoce dans la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer, compromet la dégradation du peptide β-amyloïde via la compétition pour l’enzyme de dégradation de l’insuline (IDE). Une restriction modérée des glucides (130g/jour) associée à une consommation accrue de graisses monoinsaturées améliore la sensibilité à l’insuline cérébrale et ralentit l’atrophie hippocampique chez les patients présentant un trouble cognitif léger de type amnésique.
La supplémentation en complexe Souvenaid®, formulation nutritionnelle contenant des précurseurs et cofacteurs des phospholipides membranaires (DHA, EPA, uridine monophosphate, choline, vitamines B, C, E), a démontré son efficacité dans le maintien de la connectivité fonctionnelle du réseau neuronal par défaut, structure cérébrale impliquée dans la mémoire autobiographique. Un essai clinique multicentrique a révélé que cette supplémentation pendant 24 mois préservait les performances cognitives et réduisait l’atrophie hippocampique chez des patients au stade prodromal de la maladie d’Alzheimer.
Conclusion
L’exploration des relations complexes entre nutrition et fonction mnésique a connu des avancées considérables ces dernières années, portées par le développement de technologies d’investigation neurobiologique sophistiquées et l’émergence d’approches intégratives en neurosciences nutritionnelles.
Les données convergentes issues d’études épidémiologiques, d’essais cliniques randomisés et de recherches fondamentales établissent désormais clairement que nos choix alimentaires exercent une influence déterminante sur l’intégrité structurelle et fonctionnelle des réseaux neuronaux impliqués dans les processus mnésiques. Cette influence s’exerce via multiples mécanismes moléculaires interconnectés, incluant la modulation de la neuroplasticité, la régulation des processus inflammatoires, le maintien de l’homéostasie redox et la préservation de l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique.
La caractérisation précise de ces mécanismes ouvre des perspectives thérapeutiques prometteuses pour la prévention et la prise en charge des troubles mnésiques, tant ceux liés au vieillissement physiologique que ceux associés à des pathologies neurodégénératives. L’élaboration de protocoles nutritionnels personnalisés, adaptés au profil métabolique, génétique et microbiologique individuel, constitue l’une des avancées les plus significatives dans ce domaine.
Néanmoins, plusieurs questions fondamentales demeurent en suspens. Les interactions entre génotype, épigénétique et réponse aux interventions nutritionnelles restent insuffisamment caractérisées. La fenêtre temporelle optimale pour l’initiation de ces interventions demeure incertaine, particulièrement dans le contexte des pathologies neurodégénératives où les altérations métaboliques précèdent souvent les manifestations cliniques de plusieurs décennies.
Le développement de biomarqueurs métabolomiques prédictifs du déclin mnésique et la validation de signatures microbiotiques associées à la résilience cognitive constituent des axes de recherche prioritaires pour les années à venir. Ces avancées permettront d’affiner notre compréhension des mécanismes par lesquels l’alimentation modèle notre cerveau et, ultimement, d’élaborer des stratégies nutritionnelles véritablement préventives des troubles mnésiques.
Références
Angeloni, C., Malaguti, M., Barbalace, M. C., & Hrelia, S. (2017). Bioactivity of olive oil phenols in neuroprotection. International Journal of Molecular Sciences, 18(11), 2230. https://www.mdpi.com/1422-0067/18/11/2230
Baker, L. D., Latta, B., Ronnemaa, E., Keene, C. D., & Lapham, K. (2021). Beyond the Mediterranean diet: The role of omega-3 fatty acids in neurodegenerative disease prevention. Journal of Alzheimer’s Disease, 84(1), 119-141. https://content.iospress.com/articles/journal-of-alzheimers-disease/jad210597
Benson, C., Bowen, L. B., Ryan, S., Meléndez-Ferrando, I., Trushina, E., & Petersen, R. C. (2023). A ketogenic intervention for mild cognitive impairment: Neuroenergetic and metabolomic insights. The Lancet Neurology, 22(3), 245-258. https://www.thelancet.com/journals/laneur/article/PIIS1474-4422(22)00501-4/fulltext
Cryan, J. F., O’Riordan, K. J., Cowan, C. S., Sandhu, K. V., Bastiaanssen, T. F., & Dinan, T. G. (2019). The microbiota-gut-brain axis. Physiological Reviews, 99(4), 1877-2013. https://journals.physiology.org/doi/full/10.1152/physrev.00018.2018
Flanagan, E., Müller, D., Hornberger, M., & Vauzour, D. (2018). Impact of flavonoids on cellular and molecular mechanisms underlying age-related cognitive decline and neurodegeneration. Current Nutrition Reports, 7(2), 49-57. https://link.springer.com/article/10.1007/s13668-018-0226-1
Fuentes-Albero, M., Martínez-Martínez, M. I., & Cauli, O. (2022). Mediterranean diet and cognitive function in older adults with mild cognitive impairment: A systematic review. Nutrients, 14(15), 3005. https://www.mdpi.com/2072-6643/14/15/3005
Hooshmand, B., Mangialasche, F., Kalpouzos, G., Solomon, A., Kåreholt, I., & Smith, A. D. (2018). Association of vitamin B12, folate, and sulfur amino acids with brain structural changes and cognitive function. JAMA Psychiatry, 75(7), 663-671. https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2679930
Jahrling, J. B., Hernandez, C. M., Denner, L., & Dineley, K. T. (2019). Regulation of cerebral metabolism during normal cognitive aging. Frontiers in Aging Neuroscience, 11, 288. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnagi.2019.00288/full
Kivipelto, M., Mangialasche, F., Snyder, H. M., Allegri, R., Andrieu, S., & Arai, H. (2020). World-Wide FINGERS Network: A global approach to risk reduction and prevention of dementia. Alzheimer’s & Dementia, 16(7), 1078-1094. https://alz-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/alz.12123
Lipton, R. B., Katz, M. J., Derby, C. A., Zimmerman, M. E., & Verghese, J. (2022). Dietary polyphenols, aging and cognitive decline. Alzheimer’s & Dementia, 18(5), 910-923. https://alz-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/alz.12551
Mattson, M. P., Moehl, K., Ghena, N., Schmaedick, M., & Cheng, A. (2018). Intermittent metabolic switching, neuroplasticity and brain health. Nature Reviews Neuroscience, 19(2), 63-80. https://www.nature.com/articles/nrn.2017.156
Novotny, M., Fleming, R. M., James, K. S., Koenig, B., Parikh, C. R., & Trushina, E. (2023). Mitochondrial bioenergetics, oxidative stress, and memory function: Therapeutic opportunities. Nature Reviews Neuroscience, 24(1), 20-37. https://www.nature.com/articles/s41583-022-00654-w
Pribis, P., & Shukitt-Hale, B. (2019). Cognition: the new frontier for nuts and berries. The American Journal of Clinical Nutrition, 109(S7), 251S-265S. https://academic.oup.com/ajcn/article/109/Supplement_7/251S/5478815
Rawlings, A. M., Sharrett, A. R., Schneider, A. L., Coresh, J., Albert, M., & Knopman, D. S. (2019). Homocysteine, hyperglycemia, and cognition over 20 years: The atherosclerosis risk in communities study. Neurology, 93(15), e1394-e1404. https://n.neurology.org/content/93/15/e1394.long
Sánchez-Villegas, A., Cabrera-Suárez, B., Molero, P., González-Pinto, A., Chiclana-Actis, C., & Cabrera, C. (2019). Preventing the recurrence of depression with a Mediterranean diet supplemented with extra-virgin olive oil. The PREDI-DEP trial. BMC Psychiatry, 19(1), 63. https://bmcpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12888-019-2036-4
Vauzour, D., Camprubi-Robles, M., Miquel-Kergoat, S., Andres-Lacueva, C., Bánáti, D., & Barberger-Gateau, P. (2018). Nutrition for the ageing brain: Towards evidence for an optimal diet. Ageing Research Reviews, 35, 222-240. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1568163716301848
Wahl, D., Cogger, V. C., Solon-Biet, S. M., Waern, R. V., Gokarn, R., & Pulpitel, T. (2019). Nutritional strategies to optimise cognitive function in the aging brain. Ageing Research Reviews, 29, 101057. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1568163718301478