La Maison Du Bilan, Neuropsychologie et psychologie clinique à Paris 9

Comment le cerveau stocke et récupère les souvenirs ?


Après avoir exploré une vingtaine de questions autour du HPI, nous allons aborder un nouveau cycle avec cette fois-ci des considérations sur le fonctionnement de la mémoire et ses troubles.

Comprendre les troubles de la mémoire revient à ausculter la plus intime des bibliothèques : celle du cerveau humain. Observation clinique, imagerie cérébrale de pointe et analyses moléculaires se conjuguent pour dévoiler les mécanismes subtils par lesquels l’information est traitée, encodée, stockée et parfois perdue ou altérée. La mémoire, loin d’être un réceptacle passif, se révèle comme un processus dynamique reposant sur de complexes réseaux neuronaux et biochimiques. Les pannes de ce système, qu’il s’agisse de l’oubli bénin ou de syndromes graves comme l’amnésie, nous confrontent aux limites de notre compréhension et à la fragilité des souvenirs qui tissent notre identité. Nous vous proposons une exploration des mécanismes neurobiologiques sous-jacents au stockage et à la récupération des souvenirs, ainsi qu’aux principales perturbations observées dans les troubles de la mémoire.

A. Anatomie fonctionnelle de la mémoire : Structures cérébrales impliquées

Les premières tentatives de localisation des fonctions mnésiques remontent au XIXe siècle, mais ce n’est qu’avec les progrès de l’imagerie cérébrale et des techniques de neuropsychologie que l’on a pu établir la contribution respective des diverses structures cérébrales. La mémoire n’est pas monolithique. La mémoire déclarative (explicite), comprenant la mémoire épisodique et sémantique, se distingue de la mémoire non déclarative (implicite), qui intègre notamment les habiletés motrices et l’apprentissage conditionné.

  • L’hippocampe, situé au sein du lobe temporal médian, est essentiel à la consolidation des souvenirs épisodiques. Les lésions hippocampiques – classiques dans le syndrome d’amnésie de Korsakoff ou la maladie d’Alzheimer – altèrent la capacité à former de nouveaux souvenirs tout en préservant souvent la mémoire à long terme acquise antérieurement.
  • Le cortex préfrontal joue un rôle régulateur dans la récupération des souvenirs et l’organisation du rappel. Il intervient également dans la distinction entre source réelle et imaginaire d’une information mémorisée (mémoire de la source).
  • L’amygdale, bien que traditionnellement associée aux émotions, module fortement la mémoire émotionnelle en influençant la consolidation mnésique selon la valence affective des événements.
  • Les ganglions de la base et le cervelet sont impliqués dans les mémoires procédurales, essentielles à l’exécution d’activités automatiques acquises par la répétition (par exemple, faire du vélo ou jouer d’un instrument).
  • Les bases cellulaires et moléculaires du souvenir

La question de savoir comment le cerveau transforme une expérience fugace en un souvenir stable est au cœur de la neurobiologie cognitive.

  • La potentialisation à long terme (LTP), découverte dans les années 1970, reste le principal mécanisme synaptique considéré comme responsable de la formation de la mémoire. La LTP correspond à un renforcement durable de la transmission synaptique, en particulier dans l’hippocampe, après un stimulus répété. Ce processus dépend des récepteurs NMDA, sensibles au glutamate, principal neurotransmetteur excitateur.
  • À un niveau moléculaire, la consolidation des souvenirs fait intervenir la synthèse de nouvelles protéines, notamment via l’activation du facteur CREB (cAMP response element-binding protein). Cette cascade aboutit à des modifications structurelles au niveau des synapses, telles que l’augmentation de la densité des épines dendritiques.
  • Les récentes techniques d’optogénétique permettent désormais d’identifier et de manipuler des ensembles neuronaux (engrams) spécifiques à un souvenir donné, confirmant la réalité physique des traces mnésiques et leur localisation précise dans le cerveau.
  • Encodage, stockage, récupération : Les étapes dynamiques de la mémoire

La mémoire suit une trajectoire en trois temps : l’encodage (transformation de l’information sensorielle en trace mnésique), le stockage (maintien de cette trace dans le cerveau) et la récupération (capacité à accéder à l’information lorsque nécessaire).

  • L’encodage dépend fortement de l’attention et du contexte émotionnel de l’expérience. Des études récentes démontrent que l’activation simultanée de l’hippocampe et de certaines régions corticales (principalement le cortex temporal médian) favorise un encodage profond et durable, tout particulièrement pour les événements porteurs de signification affective.
  • Le stockage serait distribué à travers différents réseaux corticaux, l’hippocampe servant d’index reliant les divers éléments constitutifs d’un souvenir (contextes, émotions, détails) repris par des aires corticales spécialisées. La répétition et le sommeil favorisent le transfert des souvenirs de l’hippocampe vers le néocortex, les rendant progressivement indépendants du circuit hippocampique initial.
  • La récupération, loin d’être une simple opération de lecture, implique la réactivation coordonnée des réseaux neuronaux ayant participé à l’encodage initial. Lors de la récupération, l’hippocampe rejoue l’activité neuronale vécue lors de l’expérience passée, facilitant ainsi le rappel conscient.
  • Les troubles de la mémoire : Classification et substrats neurobiologiques

Les pertes de mémoire, ou amnésies, sont multiformes. Elles peuvent résulter de lésions focales, de processus neurodégénératifs ou de perturbations fonctionnelles transitoires.

  • Les amnésies antérogrades (incapacité à former de nouveaux souvenirs) caractérisent généralement les lésions hippocampiques, comme chez le patient H.M., dont l’étude a révolutionné la compréhension des bases neuronales de la mémoire dans les années 1950.
  • Les amnésies rétrogrades (perte de souvenirs antérieurs à la lésion) relèvent en partie de l’atteinte des réseaux cortico-hippocampiques et révèlent la temporalité propre au processus de consolidation mnésique.
  • Dans la maladie d’Alzheimer, les dépôts de plaques amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire aboutissent à une destruction progressive des synapses, en particulier dans l’hippocampe et le cortex entorhinal, zones cruciales pour la mémoire épisodique. Les altérations de la plasticité synaptique et la perte neuronale sont corrélées avec la sévérité des troubles mnésiques observés cliniquement.
  • Les troubles frontaux (lésions du cortex préfrontal) causent fréquemment des difficultés dans la récupération des souvenirs, dans la stratégie de rappel ou dans la mémoire de la source, malgré une mémoire de stockage globalement préservée.
  • Les troubles dissociatifs, tels que l’amnésie psychogène, illustrent l’impact des facteurs psychologiques sur l’accessibilité des souvenirs, en l’absence de lésion cérébrale objectivable. Ils suggèrent que la récupération des souvenirs mobilise, en plus des circuits neuronaux, des réseaux impliqués dans l’attention, l’émotion et les processus de contrôle exécutif.
  • La plasticité synaptique et l’oubli : une perspective dynamique

L’oubli n’est pas seulement une défaillance, mais aussi une fonction adaptative du cerveau. Sous l’angle neurobiologique, plusieurs mécanismes expliquent la disparition progressive de certains souvenirs.

  • L’extinction synaptique, inverse de la potentialisation à long terme, correspond à une diminution durable de la force synaptique, favorisant l’affaiblissement des souvenirs non utilisés.
  • La neurogenèse adulte, longtemps considérée comme impossible, a été démontrée dans l’hippocampe. Si elle favorise la plasticité, elle est aussi corrélée à un certain niveau d’oubli, en particulier pour les souvenirs anciens.
  • Les mécanismes de réécriture liés à la reconsolidation impliquent qu’à chaque rappel, un souvenir redevient labile et peut être modifié ou effacé, offrant une certaine malléabilité mais aussi une potentialité d’altération.
  • Interactions pathologiques et mécanismes moléculaires dans les troubles de la mémoire

La compréhension des troubles de la mémoire a bénéficié de l’intégration des connaissances en neurogénétique et en biologie cellulaire.

  • Certaines mutations génétiques, telles que celles affectant la protéine tau ou l’APP (amyloid precursor protein), prédisposent à des formes familiales de maladies neurodégénératives avec troubles mnésiques précoces.
  • D’un point de vue moléculaire, la perturbation de la balance entre neurotransmetteurs (glutamate, acétylcholine, dopamine) affecte la plasticité synaptique indispensable au fonctionnement mnésique. Les déficits en acétylcholine, par exemple, sont impliqués dans la symptomatologie de la maladie d’Alzheimer.
  • L’inflammation cérébrale chronique et le stress oxydatif sont de plus en plus reconnus comme des contributeurs essentiels à la dégradation synaptique et à la survenue des troubles de la mémoire liés au vieillissement ou au traumatisme.
  • Approches thérapeutiques et perspectives de recherche

Alors que les troubles de la mémoire restent une cause majeure de morbidité chez les sujets âgés, les développements récents ouvrent des pistes de traitement novatrices.

  • Les traitements actuels combinent thérapies pharmacologiques agissant sur les neurotransmetteurs (inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, antagonistes du glutamate) et interventions cognitives (stimulation mnésique, entraînement de récupération des souvenirs).
  • Le recours à l’optogénétique et à la stimulation cérébrale profonde permet désormais, dans certains modèles expérimentaux, la réactivation de souvenirs "perdus", ouvrant la voie à des stratégies de récupération ciblée d’ensembles neuronaux particuliers.
  • La compréhension du rôle du sommeil dans la consolidation memnésique suscite de nouvelles interventions thérapeutiques (optimisation du sommeil profond, stimulation auditive nocturne).
  • Enfin, la stimulation cognitive, l’activité physique et la gestion du stress constituent des facteurs protecteurs, susceptibles de ralentir la progression des troubles mnésiques et de préserver la plasticité neuronale.

Conclusion

L’exploration des mécanismes neurobiologiques des troubles de la mémoire révèle la profonde complexité du cerveau humain. La mémoire apparaît comme le fruit d’interactions dynamiques entre réseaux neuronaux, molécules de signalisation, modifications synaptiques et influences contextuelles. Les blessures infligées à ce système, qu’elles soient d’origine structurelle, fonctionnelle ou psychogène, se traduisent par des entités cliniques dont la compréhension dépend désormais d’une vision multidisciplinaire, intégrant neuroscience, psychologie cognitive, biologie moléculaire et gérontologie. Les perspectives de recherche, entre espoirs de réparation et questionnements éthiques, invitent à poursuivre l’exploration de cette "bibliothèque intérieure" qui demeure la clef de notre identité et de notre rapport au temps.

Les sources :

DeKosky, S. T., & Gandy, S. (2021). Alzheimer’s disease: mechanisms and therapeutics. Neuron, 109(7), 931–956. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S089662732100178X

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Kim, J. J., & Diamond, D. M. (2022). The stressed hippocampus, synaptic plasticity and lost memories. Nature Reviews Neuroscience, 23(1), 44–58. https://www.nature.com/articles/s41583-021-00544-5

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