Déficience intellectuelle et troubles du spectre autistique : Comorbidités, quelles sont les stratégies d'intervention ?
Démêler les fils de la déficience intellectuelle (DI) de ceux du trouble du spectre autistique (TSA) représente l’un des défis les plus délicats de la neuropsychologie clinique contemporaine. Pendant des décennies, ces deux diagnostics ont été perçus, et parfois confondus, comme des entités presque interchangeables ou, à l’inverse, comme des conditions mutuellement exclusives. Le passage du DSM-IV, qui interdisait le double diagnostic en cas de trouble envahissant du développement sévère, au DSM-5 a marqué une révolution conceptuelle. Cette évolution nosologique n’était pas un simple ajustement technique ; elle reconnaissait une réalité clinique omniprésente : la co-occurrence fréquente et cliniquement significative de la DI et du TSA. Cette comorbidité n’est pas une simple addition de deux ensembles de symptômes. Elle crée un phénotype unique, une synergie complexe qui modifie la présentation clinique, complique le processus d’évaluation et exige des stratégies d’intervention hautement spécialisées et intégrées. Comprendre cette interaction profonde, au-delà des étiquettes diagnostiques, est fondamental non seulement pour affiner nos modèles théoriques du neurodéveloppement, mais surtout pour offrir un soutien réellement adapté et efficace aux personnes concernées et à leurs familles. Cet article se propose d’explorer les fondements nosologiques, épidémiologiques et cliniques de cette double condition, avant de détailler les approches d’évaluation et d’intervention les plus validées par la recherche scientifique actuelle.
A. Cadres Nosologiques Actuels : Définir la Déficience Intellectuelle et le Trouble du Spectre Autistique
Avant d’analyser leur interaction, une définition rigoureuse de chaque trouble, basée sur les classifications internationales de référence (le DSM-5-TR et la CIM-11), est indispensable. Ces cadres fournissent le langage commun nécessaire à la pratique clinique et à la recherche.
1. La Déficience Intellectuelle (DI) ou Trouble du Développement Intellectuel
La déficience intellectuelle est un trouble neurodéveloppemental dont le diagnostic repose sur la conjonction de trois critères fondamentaux, tous devant apparaître durant la période de développement (avant 18 ans).
Déficits des fonctions intellectuelles : Ce critère se réfère à des limitations significatives du raisonnement, de la résolution de problèmes, de la planification, de la pensée abstraite, du jugement, de l’apprentissage scolaire et de l’apprentissage par l’expérience. L’évaluation de ces fonctions est objectivée par des tests psychométriques standardisés et individualisés (tests de quotient intellectuel, ou QI). Un score de QI d’environ 70 ou inférieur (soit deux écarts-types en dessous de la moyenne de 100) est généralement considéré comme un seuil indicatif, mais il ne suffit pas à lui seul pour poser le diagnostic. L’évaluation clinique globale reste primordiale.
Déficits du fonctionnement adaptatif : C’est le critère central qui détermine l’impact réel de la DI sur la vie quotidienne. Le fonctionnement adaptatif correspond à la capacité d’une personne à répondre aux exigences de la vie courante et à atteindre les normes d’autonomie personnelle et de responsabilité sociale attendues pour son âge, son milieu socioculturel et son contexte de vie. Il s’évalue à travers trois domaines :
- Le domaine conceptuel : compétences académiques (lecture, écriture, calcul), langage, mémoire, acquisition de connaissances pratiques.
- Le domaine social : conscience des pensées et sentiments d’autrui (empathie), compétences en communication interpersonnelle, jugement social, capacité à nouer et maintenir des amitiés.
- Le domaine pratique : autonomie dans les soins personnels (hygiène, habillement), gestion des tâches domestiques, gestion de l’argent, sécurité, organisation des loisirs et des tâches professionnelles.
Des déficits dans au moins un de ces domaines doivent être suffisamment sévères pour nécessiter un soutien continu.
Apparition durant la période de développement : Les déficits intellectuels et adaptatifs doivent être présents dès l’enfance ou l’adolescence.
La sévérité de la DI (légère, modérée, sévère, profonde) n’est plus déterminée uniquement par le score de QI, mais principalement par le niveau de fonctionnement adaptatif. C’est ce qui définit le niveau de soutien requis.
Le Trouble du Spectre Autistique (TSA)
Le TSA est également un trouble neurodéveloppemental, mais il est défini par un dyptique de symptômes, et non par des critères intellectuels.
Déficits persistants de la communication et des interactions sociales, observés dans des contextes variés : Ce premier pilier se manifeste par des difficultés dans les trois sous-domaines suivants :
- Réciprocité socio-émotionnelle : approche sociale anormale, échec de la conversation normale, partage réduit des intérêts ou des émotions, absence d’initiation ou de réponse aux interactions sociales.
- Comportements de communication non verbale : mauvaise intégration de la communication verbale et non verbale, anomalies du contact visuel et du langage corporel, déficits dans la compréhension et l’utilisation des gestes, absence totale d’expressions faciales.
- Développement, maintien et compréhension des relations : difficultés à adapter son comportement aux contextes sociaux, difficultés à partager des jeux imaginatifs ou à se faire des amis, absence d’intérêt pour les pairs.
Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités : Ce second pilier doit être attesté par au moins deux des quatre manifestations suivantes :
- Mouvements, utilisation d’objets ou langage stéréotypés ou répétitifs : stéréotypies motrices simples (balancements, battements des mains), alignement d’objets, écholalie, phrases idiosyncrasiques.
- Insistance sur la similarité, adhésion inflexible à des routines ou à des rituels : détresse extrême face à de petits changements, difficultés avec les transitions, schémas de pensée rigides, rituels de salutation, besoin de prendre le même chemin ou de manger la même chose tous les jours.
- Intérêts hautement restreints et fixes, anormaux dans leur intensité ou leur objet : attachement fort ou préoccupation pour des objets inhabituels, intérêts excessivement circonscrits ou persévérants.
- Hyper- ou hyporéactivité aux stimuli sensoriels ou intérêt inhabituel pour les aspects sensoriels de l’environnement : indifférence apparente à la douleur/température, réaction négative à des sons ou des textures spécifiques, besoin de toucher ou de sentir des objets, fascination visuelle pour les lumières ou le mouvement.
Le diagnostic de TSA est accompagné de spécificateurs, notamment la présence ou non d’une DI associée, la présence ou non d’une altération du langage, et la sévérité des symptômes (Niveau 1, 2 ou 3, correspondant au niveau de soutien requis).
B. L’Épidémiologie de la Comorbidité : Une Association Loin d’Être Fortuite
La levée de l’interdiction du double diagnostic dans le DSM-5 a permis de quantifier plus précisément une réalité clinique bien connue : une proportion substantielle des personnes avec un TSA présentent également une DI. Les estimations épidémiologiques varient selon les méthodologies et les populations étudiées, mais un consensus scientifique se dégage.
Les études de cohorte à grande échelle, comme celles menées par le réseau ADDM (Autism and Developmental Disabilities Monitoring) des CDC américains, indiquent qu’environ 30 à 40 % des enfants diagnostiqués avec un TSA ont une DI comorbide (QI ≤ 70). Environ 25 % se situent dans la zone “limite” (QI 71-85), et les 35-45 % restants ont un QI dans la moyenne ou au-dessus. Cette association est donc loin d’être anecdotique ; elle est une caractéristique majeure du paysage clinique de l’autisme.
Inversement, la prévalence du TSA chez les personnes ayant une DI est également très élevée, bien plus que dans la population générale. Les estimations suggèrent qu’environ 15 à 25 % des individus avec une DI remplissent également les critères diagnostiques du TSA.
Cette forte co-occurrence suggère des mécanismes étiologiques partagés. La recherche pointe vers plusieurs pistes explicatives :
Vulnérabilité génétique commune : De nombreuses affections génétiques rares et syndromes connus sont associés à un risque très élevé de présenter à la fois une DI et un TSA. C’est le cas du syndrome de l’X fragile, du syndrome de Rett, de la sclérose tubéreuse de Bourneville ou du syndrome de Phelan-McDermid. Au-delà de ces syndromes identifiés, des études pangénomiques ont révélé un chevauchement significatif des gènes de susceptibilité et des variations du nombre de copies (CNV) impliqués dans les deux troubles. Ces découvertes soutiennent l’hypothèse d’une pléiotropie, où une même variation génétique peut entraîner des phénotypes différents (DI, TSA, ou les deux).
Trajectoires neurodéveloppementales partagées : La DI et le TSA sont tous deux des troubles du développement du cerveau. Les perturbations précoces affectant des processus fondamentaux comme la prolifération neuronale, la migration, la synaptogenèse ou l’élagage synaptique peuvent avoir des conséquences étendues. Selon le moment, la localisation et la nature de ces perturbations, le profil phénotypique peut basculer vers une DI prédominante, un TSA prédominant, ou une combinaison des deux. Des anomalies dans les circuits fronto-striataux, cérébelleux et temporaux ont été impliquées dans les deux conditions, suggérant une perturbation des réseaux cérébraux essentiels à la cognition sociale et aux fonctions exécutives.
Interactions causales complexes : Il est également plausible que, dans certains cas, un déficit n’entraîne pas directement l’autre, mais que l’un exacerbe l’expression de l’autre. Par exemple, des déficits intellectuels sévères peuvent limiter la capacité d’un enfant à développer des stratégies compensatoires pour ses difficultés sociales, amplifiant ainsi le phénotype autistique. Inversement, les déficits de l’attention conjointe et de l’imitation, caractéristiques du TSA, peuvent entraver l’apprentissage par observation sociale, un mécanisme crucial pour le développement cognitif général, contribuant ainsi à un fonctionnement intellectuel plus faible.
C. Le Phénotype Complexe de la Double Condition : Défis Diagnostiques et Spécificités Cliniques
La présence simultanée de la DI et du TSA crée un tableau clinique qui n’est pas la simple somme des deux. L’interaction des symptômes génère des défis diagnostiques et des présentations uniques.
1. Le Défi du Diagnostic Différentiel et le “Diagnostic Overshadowing”
Le “diagnostic overshadowing” (ou “ombre diagnostique”) est un biais clinique majeur où la présence d’un trouble dominant, souvent la DI, masque les symptômes d’une autre condition comorbide, comme le TSA. Par exemple :
- Les déficits de communication sociale du TSA peuvent être attribués à tort uniquement à la DI. Une absence de langage verbal peut être interprétée comme une simple conséquence du retard cognitif, alors qu’elle pourrait également refléter un déficit fondamental dans l’intention de communiquer et la réciprocité sociale, typique du TSA.
- Les comportements répétitifs et les stéréotypies motrices sont fréquents dans la DI sévère, indépendamment d’un TSA. Le clinicien doit alors distinguer les stéréotypies “simples” (ex. : balancements) des comportements plus complexes, ritualisés et liés à une anxiété face au changement, qui sont plus spécifiques au TSA.
- L’isolement social peut être vu comme une conséquence du rejet par les pairs en raison de la DI, occultant un manque d’intérêt intrinsèque pour les interactions sociales ou une anxiété sociale massive liée au TSA.
Pour surmonter ce défi, le clinicien doit rechercher activement les schémas qualitatifs spécifiques au TSA, au-delà du niveau de développement global de la personne.
Spécificités du Profil Clinique
Les personnes avec la double condition présentent souvent un profil clinique plus sévère que celles n’ayant qu’un seul des deux diagnostics.
- Communication et Langage : Le taux d’individus restant non-verbaux ou minimalement verbaux est significativement plus élevé dans la population TSA+DI. Lorsque le langage est présent, il est souvent marqué par une écholalie importante (immédiate ou différée) et un usage très littéral ou non fonctionnel.
- Comportements Répétitifs et Intérêts Restreints : Le répertoire de comportements répétitifs tend à être moins complexe et plus centré sur le corps (stéréotypies motrices) ou sur des manipulations sensorielles d’objets (faire tourner, regarder sous un certain angle). Les intérêts restreints peuvent porter sur des objets ou des thèmes moins sophistiqués (ex. : une obsession pour les logos, les cordes) mais avec la même intensité envahissante.
- Profil Sensoriel : Les particularités sensorielles sont souvent plus prononcées et peuvent être une source majeure de détresse et de comportements-défis. L’hypersensibilité (auditive, tactile) peut entraîner des réactions de retrait ou d’agressivité, tandis que l’hyposensibilité peut conduire à des comportements de recherche sensorielle intenses et parfois dangereux (ex. : se frapper, mordre des objets non comestibles).
- Comportements-Défis : L’incidence des comportements-défis (agressivité, automutilation, crises de colère intenses) est nettement plus élevée dans cette population. Ces comportements sont souvent multifactoriels, résultant de l’incapacité à communiquer une douleur, une anxiété, une frustration ou une surcharge sensorielle, exacerbée par des limitations cognitives dans la résolution de problèmes et la régulation émotionnelle.
D. Approches d’Évaluation Multidimensionnelle
Une évaluation rigoureuse est la pierre angulaire de toute intervention efficace. Face à une suspicion de comorbidité TSA-DI, une approche fragmentée est vouée à l’échec. L’évaluation doit être complète, intégrée et menée par une équipe pluridisciplinaire.
La Composition de l’Équipe d’Évaluation
Une équipe idéale comprend typiquement :
- Un médecin (pédopsychiatre, neuropédiatre, pédiatre du développement) pour coordonner, poser le diagnostic final, et évaluer les conditions médicales associées.
- Un psychologue ou neuropsychologue pour l’évaluation cognitive, adaptative et comportementale.
- Un orthophoniste (logopède) pour évaluer en détail la communication, le langage et la parole.
- Un ergothérapeute (ou psychomotricien) pour l’évaluation du profil sensoriel, de la motricité et des compétences de la vie quotidienne.
Les Outils d’Évaluation Standardisés
L’évaluation s’appuie sur une batterie d’outils standardisés (“gold standards”), en choisissant des versions adaptées au niveau de développement et aux capacités de la personne :
Évaluation du TSA :
- ADOS-2 (Autism Diagnostic Observation Schedule, 2nd Edition) : Observation semi-structurée des comportements de communication et d’interaction sociale. Il existe des modules adaptés aux différents niveaux de langage, y compris pour les personnes non-verbales (Module 1).
- ADI-R (Autism Diagnostic Interview-Revised) : Entretien semi-structuré avec les parents/soignants, recueillant une anamnèse développementale détaillée des symptômes du TSA.
Évaluation Cognitive (QI) : Le choix du test est crucial. Il faut privilégier les échelles non-verbales ou à faible charge verbale pour ne pas pénaliser la personne en raison de ses difficultés de langage.
- Échelles de Wechsler (WPPSI-IV, WISC-V, WAIS-IV) : Peuvent être utilisées, mais les indices non-verbaux (Raisonnement Fluide, Traitement Visuospatial) sont souvent plus informatifs.
- Leiter-3 (Leiter International Performance Scale, 3rd Edition) : Une échelle entièrement non-verbale, idéale pour cette population.
- KABC-II (Kaufman Assessment Battery for Children, 2nd Edition) : Propose des scores basés sur différents modèles théoriques, dont un modèle non-verbal.
Évaluation du Fonctionnement Adaptatif :
- Vineland-3 (Vineland Adaptive Behavior Scales, 3rd Edition) : Entretien semi-structuré avec les parents/soignants pour évaluer les compétences conceptuelles, sociales et pratiques. C’est un outil essentiel pour déterminer la sévérité de la DI et identifier les cibles d’intervention.
- ABAS-3 (Adaptive Behavior Assessment System, 3rd Edition) : Une autre échelle largement utilisée, avec des questionnaires pour les parents et les enseignants.
L’Analyse Fonctionnelle du Comportement (AFC)
Pour les comportements-défis, l’AFC est une démarche indispensable. Plutôt que de simplement décrire le comportement, elle vise à en comprendre la fonction. On utilise le modèle A-B-C :
- A (Antécédent) : Qu’est-ce qui se passe juste avant le comportement ? (une demande, un bruit, une transition, une frustration…)
- B (Behavior/Comportement) : Description précise du comportement.
- C (Conséquence) : Qu’est-ce qui se passe juste après ? (obtention d’un objet, retrait de la demande, attention de l’adulte, échappement à une situation…)
L’AFC permet d’identifier si le comportement sert à obtenir quelque chose (attention, objet), à éviter ou échapper à quelque chose (tâche, situation sociale), ou s’il a une fonction d’autostimulation sensorielle. Cette compréhension est la clé pour développer une intervention comportementale efficace.
E. Stratégies d’Intervention Fondées sur les Données Probantes
L’intervention pour les personnes avec une comorbidité TSA-DI doit être précoce, intensive, individualisée et viser l’amélioration de la qualité de vie globale. Elle repose sur une combinaison d’approches, coordonnées au sein d’un projet personnalisé d’intervention.
1. Principes Fondamentaux de l’Intervention
- Approche centrée sur la personne et la famille : Les objectifs sont définis en collaboration avec la famille, en fonction des priorités, des valeurs et des forces de la personne.
- Perspective développementale : Les interventions suivent une séquence développementale logique, en ciblant d’abord les compétences fondamentales (attention conjointe, imitation, communication fonctionnelle).
- Intensité et cohérence : Les interventions sont plus efficaces lorsqu’elles sont mises en œuvre de manière intensive (plusieurs heures par semaine) et cohérente dans tous les milieux de vie de la personne (maison, école, communauté).
- Généralisation et maintien : Les compétences apprises en séance de thérapie doivent être activement transférées et utilisées dans des situations de la vie quotidienne.
Approches Comportementales et Développementales
L’Analyse Appliquée du Comportement (ABA) est l’approche qui bénéficie du plus grand nombre de données probantes. Cependant, l’ABA a évolué. Les modèles contemporains, regroupés sous le terme d’Interventions Comportementales Développementales Naturalistes (NCDI ou NDBI en anglais), intègrent les principes de l’ABA dans des interactions ludiques et naturelles.
- Early Start Denver Model (ESDM) : Destiné aux jeunes enfants (12-48 mois), ce modèle intègre des techniques ABA dans des routines de jeu basées sur la relation. Il cible simultanément un large éventail de domaines développementaux (communication, cognition, jeu, motricité). Il est particulièrement adapté à la population TSA+DI en raison de son approche précoce et globale.
- Pivotal Response Training (PRT) : Se concentre sur le renforcement des “comportements pivots” (motivation, réponse aux sollicitations multiples, auto-initiations, empathie) qui, une fois améliorés, ont des effets en cascade sur de nombreux autres comportements.
- Enseignement par Essais Discrets (DTT) : Une technique ABA plus structurée, souvent utilisée pour enseigner des compétences spécifiques (ex. : discrimination d’images, imitation motrice). Elle reste très utile pour les apprenants qui ont besoin d’un cadre très clair et de répétitions.
Interventions sur la Communication
Pour les personnes non-verbales ou minimalement verbales, le développement d’une communication fonctionnelle est la priorité absolue.
- Systèmes de Communication par Échange d’Images (PECS - Picture Exchange Communication System) : Une méthode très structurée qui enseigne à initier une demande en donnant une image de l’objet désiré à un partenaire de communication. Elle est très efficace pour établir les bases de la communication intentionnelle.
- Communication Améliorée et Alternative (CAA) : Englobe un large éventail d’outils, des classeurs de pictogrammes (type MAKATON) aux dispositifs électroniques de haute technologie (tablettes avec logiciels de communication comme Proloquo2Go). Le choix de l’outil doit être personnalisé et accompagné d’une formation pour la personne et son entourage. L’objectif n’est pas de remplacer la parole mais de fournir un moyen de communication efficace, ce qui peut d’ailleurs souvent faciliter l’émergence du langage oral.
4. Gestion des Comportements-Défis et Soutien au Comportement Positif (SCP)
Le SCP est une approche proactive qui utilise les données de l’analyse fonctionnelle (AFC) pour construire un plan d’intervention. Plutôt que de simplement punir le comportement-défi, le SCP vise à :
- Modifier l’environnement : Adapter l’environnement pour prévenir les déclencheurs (ex. : utiliser un casque anti-bruit, fournir un emploi du temps visuel pour les transitions).
- Enseigner des compétences de remplacement : Enseigner une manière plus appropriée d’obtenir le même résultat. Si un enfant crie pour échapper à une tâche, on lui apprend à demander une pause avec un pictogramme.
- Modifier les conséquences : S’assurer que le comportement-défi n’est plus efficace (extinction) et que la nouvelle compétence est systématiquement et immédiatement renforcée.
Interventions Sensorielles
Menées par des ergothérapeutes, ces interventions visent à aider la personne à mieux réguler ses réponses aux stimuli sensoriels. Cela peut inclure la création d’un “régime sensoriel” (“sensory diet”), c’est-à-dire un programme d’activités personnalisé (se balancer, porter des objets lourds, manipuler des textures) pour fournir les stimulations nécessaires de manière structurée et sécuritaire, et ainsi réduire les comportements d’autorégulation inappropriés.
Soutien Pharmacologique
Il est crucial de rappeler qu’il n’existe aucun traitement médicamenteux pour les symptômes centraux du TSA ou de la DI. La pharmacothérapie est une intervention d’appoint, utilisée pour traiter des conditions psychiatriques comorbides ou des symptômes cibles sévères qui entravent l’accès aux apprentissages et la qualité de vie.
- Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) peuvent être utilisés pour l’anxiété et les comportements répétitifs sévères.
- Les antipsychotiques de seconde génération (rispéridone, aripiprazole) sont les seuls médicaments ayant une AMM dans certains pays pour l’irritabilité sévère et l’agressivité associées au TSA, mais leur usage requiert une surveillance médicale stricte en raison des effets secondaires métaboliques importants.
F. Perspectives Futures et Enjeux de la Recherche
La recherche sur la comorbidité TSA-DI évolue rapidement, ouvrant des perspectives prometteuses.
- Médecine de précision : L’identification de sous-groupes étiologiques (basés sur des profils génétiques ou des biomarqueurs) pourrait permettre de développer des interventions plus ciblées. Par exemple, des essais cliniques testent des molécules spécifiques pour des syndromes génétiques comme l’X fragile.
- Biomarqueurs neurophysiologiques : L’utilisation de l’EEG (électroencéphalogramme) et de l’oculométrie (eye-tracking) comme biomarqueurs pourrait aider à un diagnostic plus précoce et à mesurer objectivement la réponse aux interventions, bien avant l’apparition de changements comportementaux observables.
- Transition vers l’âge adulte : Un champ de recherche et d’intervention encore sous-développé concerne le passage à l’âge adulte pour cette population. Les enjeux liés à l’emploi, au logement, à la vie sociale et affective, et au vieillissement sont immenses et nécessitent le développement de modèles de soutien adaptés tout au long de la vie.
- Inclusion et participation : La recherche se déplace d’un modèle purement déficitaire vers une approche qui reconnaît également les forces et promeut la participation sociale et l’autodétermination, même pour les personnes ayant des besoins de soutien très importants.
Conclusion
La reconnaissance de la comorbidité entre la déficience intellectuelle et le trouble du spectre autistique a transformé notre compréhension du neurodéveloppement et a imposé un changement de paradigme dans la pratique clinique. Loin d’être une simple addition de déficits, cette double condition engendre un phénotype d’une complexité unique, exigeant des cliniciens une acuité diagnostique et une flexibilité thérapeutique accrues. L’ère de l’évaluation fragmentée et des interventions en silo est révolue. L’approche moderne est intégrée, multidimensionnelle et profondément individualisée. Elle s’appuie sur des données probantes, issues principalement des sciences comportementales et développementales, mais ne perd jamais de vue que sa finalité est pragmatique : construire des compétences fonctionnelles, réduire la détresse et améliorer de manière significative la qualité de vie de la personne et de sa famille. Les défis restent immenses, de l’étiologie fondamentale à l’organisation des services pour adultes. Néanmoins, en fondant notre pratique sur une évaluation rigoureuse, des interventions scientifiquement validées et une collaboration authentique avec les personnes concernées, nous pouvons œuvrer à ce que le double diagnostic ne soit pas une double peine, mais le point de départ d’un projet de soutien cohérent, respectueux et efficace.
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