Quels sont les outils et méthodes pour faciliter l'expression et améliorer la communication ?
Le cerveau humain, cette masse de tissu gélatineux d’environ 1,4 kilogramme, est sans conteste la structure la plus complexe de l’univers connu. Pendant des millénaires, il fut une boîte noire, le siège insaisissable de la conscience, de la pensée et de l’âme, accessible uniquement par l’introspection ou l’observation de ses défaillances tragiques. La philosophie et la psychologie ont longtemps cartographié les contours de l’esprit, mais les mécanismes physiques sous-jacents demeuraient hors de portée. Aujourd’hui, cette frontière recule. Nous vivons une époque paradigmatique où les outils de la biologie moléculaire, de la physique, de l’ingénierie et de l’informatique convergent pour nous permettre de sonder, de visualiser et même de manipuler les circuits neuronaux avec une précision autrefois inimaginable.
L’étude des neurosciences n’est plus un simple exercice académique visant à satisfaire notre curiosité intellectuelle. Elle est devenue une quête fondamentale qui redéfinit notre compréhension de la santé et de la maladie, qui remet en question des concepts philosophiques ancestraux comme le libre arbitre et qui façonne déjà les technologies de demain. Comprendre le cerveau, c’est entreprendre le voyage le plus intime qui soit : celui qui mène à la source de nos joies, de nos peines, de nos souvenirs et de notre identité même. Cet article propose d’explorer l’ampleur et la profondeur de cette révolution scientifique, en examinant les avancées technologiques qui la propulsent, les découvertes récentes qui bouleversent notre connaissance des pathologies neurologiques et psychiatriques, et les profondes implications éthiques et sociétales qui en découlent. Loin de fournir des réponses définitives, nous chercherons à éclairer la complexité des questions que soulève cette exploration de notre propre machinerie interne.
A. Les Révolutions Méthodologiques : De la Corrélation à la Causalité
Le progrès en neurosciences est intrinsèquement lié à l’évolution de ses outils d’investigation. Si les premières cartographies fonctionnelles du cerveau reposaient sur l’étude de patients cérébrolésés, une approche certes informative mais limitée, les dernières décennies ont vu l’émergence d’un arsenal technologique sophistiqué permettant d’observer le cerveau vivant et agissant à différentes échelles spatio-temporelles.
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est sans doute la technique la plus connue du grand public. En mesurant les variations du signal BOLD (Blood-Oxygen-Level Dependent), elle offre une cartographie des régions cérébrales dont l’activité métabolique augmente lors de l’exécution d’une tâche cognitive ou émotionnelle. L’IRMf a permis de localiser avec une précision spatiale millimétrique les substrats neuronaux de fonctions aussi diverses que le langage, la mémoire de travail, la perception des visages ou l’empathie. Cependant, sa faible résolution temporelle (de l’ordre de la seconde) et sa nature corrélationnelle ne permettent pas de conclure à une relation de cause à effet. Une région peut s’activer sans être indispensable à la fonction étudiée. Pour pallier cette limite, les neuroscientifiques se sont tournés vers des méthodes permettant une manipulation directe et contrôlée de l’activité neuronale.
C’est ici qu’intervient l’optogénétique, une véritable révolution technique. Cette approche combine l’ingénierie génétique et l’optique pour rendre des populations de neurones spécifiques sensibles à la lumière. En insérant le gène d’une protéine photosensible (comme la channelrhodopsine, issue d’une algue) dans le génome de neurones ciblés (par exemple, les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale), les chercheurs peuvent ensuite, via une fibre optique implantée, activer ou inhiber ces neurones avec une précision de l’ordre de la milliseconde. Cette méthode a transformé la recherche fondamentale, notamment sur les modèles animaux. Elle permet de passer de la question « Quelle région s’active pendant ce comportement ? » à « L’activation de cette population neuronale spécifique est-elle suffisante et/ou nécessaire pour déclencher ce comportement ? ». Les expériences optogénétiques ont ainsi permis de démontrer le rôle causal de certains circuits dans l’anxiété, la récompense, l’agressivité ou la formation de souvenirs.
Parallèlement, le développement de la microscopie à deux photons permet aujourd’hui d’imager l’activité de centaines, voire de milliers de neurones individuels simultanément chez un animal éveillé et se comportant librement. Couplée à des indicateurs calciques génétiquement codés (comme le GCaMP, qui devient fluorescent lorsque la concentration intracellulaire de calcium augmente, un proxy de l’activité neuronale), cette technique offre une fenêtre sans précédent sur la dynamique des assemblées de neurones. On peut littéralement voir les “engrammes” de la mémoire s’activer lorsqu’un animal se remémore une information, ou observer comment les codes neuronaux dans le cortex visuel changent en fonction de l’attention.
Enfin, l’explosion de la génomique et des techniques de séquençage à l’échelle de la cellule unique (single-cell RNA-seq) a ouvert un nouveau champ d’investigation : la neurogénomique. Il est désormais possible de dresser un catalogue complet des types de cellules présents dans le cerveau, non plus seulement sur la base de leur morphologie ou de leur fonction, mais sur leur profil d’expression génique unique. Cette taxonomie moléculaire révèle une diversité cellulaire bien plus grande qu’on ne l’imaginait, permettant d’identifier des sous-types de neurones ou de cellules gliales spécifiquement vulnérables dans certaines pathologies. Ces avancées méthodologiques ne sont pas de simples améliorations incrémentales ; elles constituent des sauts qualitatifs qui modifient la nature même des questions que nous pouvons poser sur le cerveau.
B. Repenser les Pathologies Neurologiques et Psychiatriques
L’impact le plus tangible de la recherche en neurosciences concerne la compréhension et le traitement des troubles qui affectent le système nerveux central. Pendant des décennies, notre approche des maladies neurologiques et psychiatriques était largement descriptive et syndromique. Grâce aux nouvelles technologies, nous passons progressivement d’une classification basée sur les symptômes à une compréhension basée sur les mécanismes physiopathologiques.
Le cas de la maladie d’Alzheimer est paradigmatique de cette évolution. La théorie dominante, dite de la “cascade amyloïde”, postulait que l’accumulation de plaques de peptide bêta-amyloïde à l’extérieur des neurones était l’événement initiateur de la maladie, entraînant secondairement la formation d’enchevêtrements de protéine Tau hyperphosphorylée à l’intérieur des neurones et, in fine, la mort cellulaire. Cette hypothèse a guidé la quasi-totalité de la recherche pharmacologique depuis 30 ans. Or, l’échec répété de plus d’une centaine d’essais cliniques visant à éliminer les plaques amyloïdes a forcé la communauté scientifique à reconsidérer ce modèle linéaire. Les recherches récentes, s’appuyant sur la neuro-imagerie TEP (Tomographie par Émission de Positons) qui peut visualiser les plaques amyloïdes et les agrégats de Tau chez les patients vivants, ainsi que sur des études génétiques et cellulaires, ont révélé un tableau beaucoup plus complexe. On comprend désormais que la neuro-inflammation joue un rôle central et précoce. Les cellules microgliales, les macrophages résidents du cerveau, semblent adopter un état pro-inflammatoire chronique qui, au lieu de protéger le cerveau, exacerbe les dommages neuronaux. De plus, des dysfonctionnements vasculaires, des perturbations du métabolisme énergétique et des défaillances du système de “nettoyage” cérébral (le système glymphatique, particulièrement actif pendant le sommeil) apparaissent comme des contributeurs majeurs. L’étiologie de la maladie d’Alzheimer est désormais vue comme une interaction complexe entre des facteurs de prédisposition génétique (comme l’allèle APOE4), des processus pathologiques multiples (amyloïde, Tau, inflammation) et des facteurs de risque liés au mode de vie. Cette vision holistique ouvre la voie à des stratégies thérapeutiques combinatoires et personnalisées, ciblant différents mécanismes en fonction du stade de la maladie et du profil du patient.
En psychiatrie, le trouble dépressif majeur illustre un changement de paradigme similaire. Le modèle simpliste du “déséquilibre chimique”, centré sur un déficit en sérotonine, a été largement dépassé. Bien que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) restent des traitements de première ligne, leur efficacité est limitée et leur délai d’action long. Les neurosciences modernes conçoivent la dépression non pas comme un déficit d’un seul neurotransmetteur, mais comme un trouble de la connectivité et de la plasticité au sein de réseaux cérébraux spécifiques. Des études en IRMf ont mis en évidence une hyperactivité du “réseau du mode par défaut” (DMN), un ensemble de régions impliquées dans l’introspection et la pensée auto-référentielle, ce qui pourrait correspondre au phénomène de rumination mentale caractéristique de la dépression. Parallèlement, on observe une hypoactivité de circuits fronto-striataux impliqués dans la motivation et la récompense. Le stress chronique, un facteur de risque majeur, induit une atrophie dendritique et une perte de synapses dans des régions clés comme l’hippocampe et le cortex préfrontal, tandis que l’amygdale, centre de la peur, devient hyper-réactive. Cette nouvelle compréhension a conduit au développement de traitements à action rapide, comme la kétamine. Administrée à faible dose, cette substance agit sur le système glutamatergique (le principal système excitateur du cerveau) et semble induire une augmentation rapide de la synaptogenèse, restaurant en quelques heures une plasticité neuronale déficiente. La recherche se concentre désormais sur le développement de molécules qui reproduiraient ces effets pro-plastiques sans les effets secondaires psychodysleptiques de la kétamine. Ce passage d’une vision “chimique” à une vision “synaptique et en réseau” de la dépression transforme radicalement les perspectives thérapeutiques.
C. Le Cerveau Plastique : Apprentissage, Mémoire et Réhabilitation
L’une des découvertes les plus fondamentales et les plus porteuses d’espoir des neurosciences modernes est sans doute la confirmation et l’élucidation des mécanismes de la neuroplasticité. L’idée que le cerveau adulte est une structure figée a été définitivement abandonnée. Nous savons aujourd’hui que le cerveau se reconfigure en permanence en réponse à l’expérience, à l’apprentissage et même aux lésions. Cette plasticité s’exprime à toutes les échelles : du renforcement ou de l’affaiblissement des connexions synaptiques individuelles (un processus connu sous le nom de potentialisation à long terme, PLT, et de dépression à long terme, DLT) à la réorganisation à grande échelle des cartes corticales.
La recherche sur la mémoire a fait des progrès spectaculaires dans l’identification du substrat physique des souvenirs, le fameux “engramme” postulé par Richard Semon au début du XXe siècle. Grâce à des techniques combinant l’optogénétique et l’étiquetage génétique de neurones actifs, des équipes ont réussi à identifier, dans l’hippocampe et d’autres structures, les assemblées de neurones spécifiques qui codent pour un souvenir particulier chez la souris. Plus remarquable encore, ils ont démontré qu’en réactivant artificiellement ces neurones par la lumière, il est possible de déclencher le rappel du souvenir associé. Inversement, en inhibant ces mêmes cellules, on peut empêcher l’animal de se souvenir. Ces expériences, bien que menées sur des modèles animaux, prouvent de manière causale que les souvenirs ont une base physique identifiable et manipulable.
Ces découvertes ont des implications profondes pour le traitement de troubles comme le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), où l’objectif pourrait être d’affaiblir sélectivement les engrammes de souvenirs traumatiques. De plus, la compréhension du rôle crucial du sommeil dans la consolidation de la mémoire a été affinée. Pendant le sommeil lent profond, l’hippocampe semble “rejouer” les séquences d’activité neuronale de la journée, transférant ainsi les informations importantes vers le néocortex pour un stockage à long terme. Cette réactivation nocturne est essentielle à l’apprentissage et à la résolution de problèmes.
Le concept de neuroplasticité est également au cœur des stratégies de réhabilitation neurologique. Après un accident vasculaire cérébral (AVC) qui détruit une partie du cortex moteur, par exemple, le cerveau n’est pas impuissant. Les régions corticales adjacentes à la lésion, et même les régions homologues dans l’hémisphère controlatéral, peuvent se réorganiser pour prendre en charge une partie des fonctions perdues. Les thérapies modernes visent à guider et à amplifier ce processus de récupération spontanée. La thérapie par contrainte induite, qui consiste à immobiliser le membre sain pour forcer l’utilisation du membre affecté, est un excellent exemple de thérapie comportementale qui exploite la plasticité dépendante de l’usage.
Plus récemment, les interfaces cerveau-machine (ICM) ont émergé comme un outil puissant. Chez des patients paralysés, des électrodes implantées dans le cortex moteur peuvent enregistrer l’intention de mouvement. Ces signaux neuronaux sont ensuite décodés par un ordinateur pour contrôler un bras robotique ou un exosquelette. Fait fascinant, ce processus en boucle fermée semble lui-même promouvoir la plasticité. En voyant le membre artificiel bouger en réponse à leur propre activité cérébrale, les patients renforcent les circuits neuronaux restants, ce qui peut parfois conduire à une récupération partielle de la fonction motrice naturelle. La recherche explore maintenant des techniques de stimulation cérébrale non invasive (comme la stimulation magnétique transcrânienne, SMT) pour moduler l’excitabilité corticale et “amorcer” le cerveau pour qu’il réponde mieux à la rééducation physique.
D. Conscience, Décision et le Cerveau Social
Au-delà des applications cliniques, les neurosciences cognitives s’attaquent aux questions les plus fondamentales sur la nature de l’expérience humaine, des questions autrefois réservées à la philosophie.
Le processus de prise de décision, longtemps modélisé par les économistes comme un calcul rationnel des coûts et des bénéfices, est apparu sous un jour nouveau. Des chercheurs comme Antonio Damasio ont démontré le rôle indispensable des émotions dans la prise de décision adaptative. Son “hypothèse des marqueurs somatiques” postule que nos expériences passées associent certaines situations à des états corporels (émotionnels) positifs ou négatifs. Lors d’une décision, ces “marqueurs somatiques” sont réactivés, souvent de manière non consciente, et servent de guide intuitif pour nous orienter vers les options avantageuses et nous détourner des choix risqués. L’imagerie cérébrale a identifié un circuit clé impliquant le cortex préfrontal ventromédian et l’amygdale, dont le dialogue est crucial pour intégrer les signaux émotionnels dans le raisonnement délibératif. Comprendre ces mécanismes permet d’éclairer les biais cognitifs qui affectent nos choix quotidiens, mais aussi les déficits décisionnels observés dans la toxicomanie ou les troubles de la personnalité.
Le mystère de la conscience subjective reste sans doute le plus grand défi des neurosciences. Bien qu’aucune théorie ne fasse consensus, plusieurs cadres théoriques scientifiques tentent de l’aborder. La théorie de l’espace de travail neuronal global (Global Neuronal Workspace, GNW), proposée par Stanislas Dehaene, postule que l’expérience consciente émerge lorsqu’une information, traitée par des processeurs cérébraux spécialisés et non conscients, accède à un “espace de travail” centralisé, un réseau distribué de neurones à longues projections, principalement dans les régions préfrontales et pariétales. Une fois dans cet espace de travail, l’information est “diffusée” à l’ensemble du cerveau, devenant ainsi disponible pour le rapport verbal, la mémoire épisodique et le contrôle volontaire. Cette théorie permet d’expliquer la différence neuronale entre un stimulus perçu de manière subliminale (qui active uniquement les aires sensorielles primaires) et un stimulus perçu consciemment (qui provoque une ignition tardive et à grande échelle de ce réseau fronto-pariétal).
Enfin, le champ de la “neuroscience sociale” explore les bases neurales de nos interactions. La découverte (initialement chez le singe, puis indirectement chez l’homme) des “neurones miroirs” – des neurones qui s’activent aussi bien lorsque l’individu exécute une action que lorsqu’il observe quelqu’un d’autre exécuter la même action – a suscité un immense intérêt. Bien que leur rôle exact soit encore débattu, on pense qu’ils pourraient contribuer à la compréhension des intentions d’autrui et à l’empathie. Au-delà des neurones miroirs, un réseau plus large, souvent appelé “réseau de la mentalisation” ou de la “Théorie de l’Esprit” (incluant le cortex préfrontal médian, la jonction temporo-pariétale et le précunéus), est systématiquement activé lorsque nous tentons d’inférer les croyances, les désirs et les intentions des autres. Les dysfonctionnements de ce réseau sont étudiés comme une piste pour comprendre les déficits sociaux caractéristiques de troubles comme l’autisme. Ces recherches nous montrent que notre cerveau est fondamentalement câblé pour être social, pour se connecter et se synchroniser avec l’esprit des autres.
E. Neuro-éthique, Droit et Société : Les Nouveaux Territoires
À mesure que les neurosciences acquièrent la capacité non seulement d’observer mais aussi d’intervenir sur le cerveau, elles soulèvent des questions éthiques, légales et sociétales d’une acuité sans précédent. Le domaine de la neuro-éthique a émergé pour anticiper et encadrer ces nouveaux défis.
L’une des premières préoccupations est celle de l’amélioration cognitive (“neuroenhancement”). L’utilisation de psychostimulants comme le méthylphénidate (Ritaline) ou le modafinil par des individus sains (étudiants, professionnels) pour améliorer leur concentration ou leur mémoire est un phénomène bien réel. Demain, des techniques de stimulation cérébrale non invasive (tDCS, tACS) pourraient devenir des produits de consommation courante. Cela soulève des questions d’équité (tout le monde aura-t-il accès à ces technologies ?), de coercition (pourra-t-on être pénalisé si l’on refuse d’améliorer ses capacités cognitives dans un environnement compétitif ?) et d’authenticité (un succès obtenu grâce à une stimulation cérébrale a-t-il la même valeur ?).
Un autre enjeu majeur est celui de la vie privée mentale, ou “privacy cognitive”. Avec le développement d’interfaces cerveau-machine de plus en plus sophistiquées, y compris à des fins non médicales (jeux vidéo, contrôle d’appareils), la quantité de données neuronales collectées va exploser. Ces données sont potentiellement les plus intimes qui soient, car elles peuvent révéler des états mentaux, des préférences, des prédispositions ou des émotions qu’un individu ne souhaite pas partager. La capacité des algorithmes d’apprentissage automatique à “décoder” l’activité cérébrale progresse rapidement. Qui possédera ces données ? Comment seront-elles protégées ? Pourrait-on utiliser le “neuro-marketing” pour tester l’efficacité d’une publicité directement sur le cerveau des consommateurs, ou un “neuro-interrogatoire” pour évaluer la véracité des dires d’un suspect ? La nécessité de définir de nouveaux droits, comme le droit à la liberté cognitive ou le droit à la vie privée mentale, devient pressante.
Enfin, l’interface entre les neurosciences et le droit (“neurolaw”) est un domaine en pleine expansion et particulièrement sensible. Des avocats tentent déjà d’utiliser des preuves neuroscientifiques (scans cérébraux, données génétiques) pour influencer les décisions des tribunaux, par exemple pour arguer d’une responsabilité diminuée (“mon cerveau me l’a fait faire”) ou pour évaluer le risque de récidive d’un criminel. Si ces outils peuvent potentiellement apporter un éclairage sur le comportement humain, leur utilisation est semée d’embûches. Il existe un risque majeur de mésinterprétation : une corrélation entre une anomalie cérébrale et un comportement au niveau d’un groupe ne dit rien de certain sur la causalité chez un individu donné. La tentation d’un déterminisme biologique simpliste, qui nierait le libre arbitre et la responsabilité personnelle, est grande. Il est crucial que les scientifiques, les juristes et les philosophes travaillent de concert pour établir des normes claires sur l’admissibilité et l’interprétation de ces preuves, afin d’éviter une justice “cérébrale” qui serait à la fois scientifiquement erronée et éthiquement dangereuse.
Conclusion
La recherche en neurosciences a cessé d’être un domaine confiné aux laboratoires pour devenir une force motrice de transformation médicale, technologique et sociétale. En passant d’une science descriptive à une science interventionniste, elle a commencé à déchiffrer le code neuronal qui sous-tend la perception, l’action, la cognition et l’émotion. Les implications sont vertigineuses. Pour des millions de personnes souffrant de maladies neurologiques et psychiatriques, elle offre l’espoir tangible de nouveaux traitements fondés sur une compréhension mécanistique fine de leur pathologie. Pour la société dans son ensemble, elle promet des innovations allant de la réhabilitation améliorée aux interfaces homme-machine de nouvelle génération.
Cependant, ce pouvoir croissant s’accompagne d’une responsabilité immense. En sondant les fondements biologiques de l’esprit, nous touchons à ce qui définit notre humanité. Les questions de libre arbitre, de responsabilité, d’identité et de vie privée ne sont plus seulement des abstractions philosophiques, mais des problèmes concrets posés par les avancées technologiques. La voie à suivre exige non seulement une rigueur scientifique sans faille, mais aussi un dialogue ouvert et continu entre les chercheurs, les cliniciens, les éthiciens, les législateur et le public. L’exploration de cette ultime frontière qu’est le cerveau humain n’est pas seulement une quête de connaissance ; c’est un projet qui nous oblige à redéfinir collectivement ce que signifie être humain à l’ère de la neuroscience. Le voyage ne fait que commencer.
Les sources :
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