Quel est l'intérêt des approches complémentaires pour la prise en charge de la déficience intellectuelle ?
Au carrefour de la science clinique et de l’espoir parental, le champ de la déficience intellectuelle (DI) constitue un terrain d’une complexité singulière. Loin d’être une entité monolithique, ce trouble du neurodéveloppement recouvre une hétérogénéité de profils étiologiques et cliniques, posant des défis constants aux paradigmes d’intervention. Si les approches psychoéducatives et comportementales, validées par des décennies de recherche, forment le socle de la prise en charge, elles se heurtent parfois à des limites perçues, que ce soit en termes d’efficacité, de disponibilité ou d’adéquation au projet de vie de la personne et de sa famille. C’est dans cette brèche, entre les protocoles établis et l’aspiration à “faire plus”, que s’engouffre l’univers foisonnant des thérapies dites complémentaires et alternatives.
Cet article ne se veut ni un réquisitoire ni une apologie. Il propose une démarche d’évaluation critique, ancrée dans une perspective de psychologie scientifique. Notre objectif est de naviguer au-delà des anecdotes et des affirmations marketing pour interroger la plausibilité théorique, la robustesse méthodologique et la validité empirique des approches complémentaires les plus fréquemment proposées dans le contexte de la déficience intellectuelle. En adoptant une posture de scepticisme constructif, nous chercherons à distinguer ce qui relève de l’innovation prometteuse, du complément potentiellement bénéfique pour la qualité de vie, et de l’allégation non fondée. Car pour le clinicien, comme pour la famille, la question n’est pas tant de rejeter en bloc que de savoir discerner, avec rigueur et bienveillance, comment allouer des ressources précieuses – temps, énergie, finances et espoir – de la manière la plus éthique et la plus judicieuse possible.
A. Le Socle de la Prise en Charge : Paradigmes Conventionnels et Preuves d’Efficacité
Avant d’explorer le paysage des thérapies complémentaires, il est impératif de définir le “gold standard” actuel de la prise en charge de la déficience intellectuelle. Ces approches, dites conventionnelles, reposent sur un corpus de données scientifiques accumulées, démontrant leur efficacité sur des critères objectifs tels que l’acquisition de compétences, la réduction des comportements-problèmes et l’amélioration de l’autonomie fonctionnelle.
- 1. Les Interventions Comportementales et Psychoéducatives
Au cœur de l’intervention précoce et continue se trouvent les principes de l’analyse appliquée du comportement (ABA, Applied Behavior Analysis). Loin de se réduire à une méthode unique, l’ABA est un cadre scientifique qui utilise les principes de l’apprentissage pour enseigner de nouvelles compétences et réduire les comportements interférents. Des stratégies comme l’enseignement par essais distincts (DTT), l’intervention comportementale naturaliste (NBI) ou le soutien au comportement positif (PBS) sont massivement documentées. Leur efficacité réside dans leur caractère systématique, individualisé et intensif, visant à développer la communication, les habiletés sociales, l’autonomie et les pré-requis scolaires. Le PBS, en particulier, adopte une approche holistique en analysant la fonction d’un comportement-problème pour y substituer une compétence fonctionnellement équivalente, améliorant ainsi la qualité de vie de la personne et de son entourage. - 2. Les Approches Développementales et Éducatives
Parallèlement, les programmes d’éducation spécialisée structurée, tels que le programme TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children), bien qu’initialement développé pour l’autisme, sont largement adaptés pour les personnes avec une DI. L’accent est mis sur la structuration de l’environnement physique et temporel, l’utilisation de supports visuels et l’adaptation des tâches pour favoriser la compréhension, la prévisibilité et l’autonomie. Ces approches respectent le fonctionnement cognitif de la personne en modifiant l’environnement plutôt qu’en exigeant une adaptation de l’individu. - 3. Les Thérapies Paramédicales Essentielles
La prise en charge est intrinsèquement pluridisciplinaire.
- L’orthophonie (logopédie) est fondamentale pour développer la communication verbale et non verbale. Elle s’étend de l’articulation et du langage expressif/réceptif à la mise en place de systèmes de communication améliorée et alternative (CAA), comme les pictogrammes (PECS) ou les dispositifs électroniques.
- L’ergothérapie (thérapie occupationnelle) vise à maximiser l’indépendance dans les activités de la vie quotidienne (habillage, alimentation, hygiène), les loisirs et la participation sociale. Elle travaille sur les compétences motrices fines, la planification des tâches et l’intégration sensorielle dans un cadre fonctionnel.
- La psychomotricité établit des ponts entre les fonctions motrices, cognitives et affectives. Elle intervient sur le schéma corporel, la coordination, l’équilibre et la gestion tonico-émotionnelle, qui sont des prérequis essentiels à de nombreux apprentissages.
4. Les Interventions Pharmacologiques Il n’existe aucun traitement pharmacologique curatif pour la déficience intellectuelle elle-même. Cependant, la pharmacothérapie joue un rôle de soutien crucial dans la gestion des comorbidités psychiatriques et comportementales fréquentes : troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles anxieux, troubles de l’humeur, ou comportements d’agressivité et d’automutilation. L’utilisation de psychotropes doit être rigoureusement encadrée, basée sur un diagnostic précis, et considérée comme un adjuvant aux interventions psychoéducatives, et non comme une solution de première ligne.
Ce socle conventionnel, fondé sur des preuves, constitue la référence à laquelle toute approche complémentaire doit être comparée. Son efficacité n’est pas absolue et les progrès sont souvent lents et graduels, ce qui peut générer une quête légitime d’alternatives.
B. L’Appel des Sirènes : Comprendre l’Attrait des Approches Complémentaires
Le recours croissant aux thérapies complémentaires et alternatives (TCA) dans le champ de la DI n’est pas un phénomène anodin. Il s’ancre dans une psycho-sociologie complexe où se mêlent espoir, désarroi et une critique, parfois justifiée, des systèmes de soins traditionnels. Comprendre ces motivations est un prérequis éthique pour tout clinicien souhaitant accompagner les familles avec pertinence.
- 1. Le Désir d’Action et le Poids de l’Incertitude
Le diagnostic d’une déficience intellectuelle confronte les parents à une trajectoire de vie incertaine pour leur enfant. Face à des pronostics souvent vagues et à des thérapies conventionnelles dont les effets ne sont ni immédiats ni garantis, l’attente passive est psychologiquement intolérable. Les TCA offrent une promesse d’action, un moyen de “tenter quelque chose de plus”. Elles permettent aux parents de reprendre un sentiment de contrôle, de devenir des acteurs proactifs dans la prise en charge, combattant ainsi un sentiment d’impuissance. - 2. L’Insatisfaction face au Système Conventionnel
Les familles peuvent se sentir déçues par la médecine conventionnelle pour plusieurs raisons : de longues listes d’attente pour accéder aux services publics, des prises en charge jugées insuffisantes ou trop parcellaires, une communication parfois déshumanisée ou un manque de coordination entre les différents spécialistes. Les TCA, souvent proposées dans des cadres privés, peuvent sembler plus accessibles, plus personnalisées et offrir une écoute plus attentive, répondant à un besoin fondamental de reconnaissance et de soutien. - 3. L’Heuristique du “Naturel” et la Méfiance envers le “Chimique”
Un puissant biais cognitif favorise ce qui est perçu comme “naturel” (plantes, régimes, manipulations corporelles) au détriment de ce qui est perçu comme “artificiel” ou “chimique” (pharmacologie). Cette heuristique est particulièrement forte lorsqu’il s’agit d’un enfant. Les TCA qui mettent en avant leur caractère “doux”, “non-invasif” et “naturel” bénéficient d’un a priori positif, même en l’absence totale de preuves. La peur des effets secondaires des médicaments, bien que légitime et nécessitant une surveillance, peut ainsi conduire à privilégier des options non validées mais perçues comme plus sûres. - 4. La Puissance du Témoignage et des Communautés en Ligne
À l’ère numérique, les décisions des familles sont fortement influencées par les réseaux sociaux et les forums de parents. Un témoignage anecdotique poignant d’une “amélioration spectaculaire” suite à une thérapie alternative aura souvent un impact émotionnel et persuasif bien plus grand qu’une méta-analyse statistique, jugée froide et abstraite. L’effet de validation sociale au sein de ces communautés (“beaucoup d’autres parents le font, donc ça doit fonctionner”) crée une pression normative et renforce la conviction, indépendamment de la validité scientifique de l’approche. - 5. L’Espoir d’une Récupération ou d’une Guérison
Enfin, et c’est le moteur le plus puissant, certaines TCA entretiennent, explicitement ou implicitement, l’espoir d’une récupération neurologique, voire d’une “guérison”. Alors que le discours scientifique conventionnel parle d’optimisation du potentiel et d’amélioration de la qualité de vie dans le cadre d’une condition chronique, le discours alternatif peut offrir une narration de restauration. Pour une famille en quête d’espoir, cette promesse, même infime, peut être irrésistible.
Le rôle du clinicien n’est pas de juger ces motivations, mais de les accueillir et de les comprendre pour établir une alliance thérapeutique solide, fondée sur la confiance, qui permettra ensuite d’engager un dialogue critique et informé sur les options disponibles.
C. Évaluation Critique des Principales Approches Complémentaires
Nous allons maintenant examiner quelques-unes des catégories de thérapies complémentaires les plus populaires, en évaluant leur rationnel théorique et, surtout, l’état actuel des données probantes issues de la recherche scientifique.
1. Interventions Nutritionnelles et Régimes d’Éviction
- Rationnel théorique : L’hypothèse la plus connue est celle de “l’intestin poreux” (leaky gut) et des peptides opioïdes. Selon cette théorie, une perméabilité intestinale anormale permettrait le passage dans le sang de peptides issus d’une digestion incomplète du gluten (céréales) et de la caséine (produits laitiers). Ces peptides, structurellement similaires aux opiacés, traverseraient la barrière hémato-encéphalique et perturberaient le fonctionnement cérébral, causant des symptômes comportementaux et cognitifs. D’autres approches se concentrent sur la supplémentation en vitamines, minéraux (magnésium, zinc) ou acides gras (oméga-3), postulant que des carences ou des déséquilibres biochimiques sous-tendent certains aspects de la DI.
- Analyse des preuves :
- Régime sans gluten et sans caséine (SGSC) : Bien que très populaire, notamment dans le spectre de l’autisme, les preuves de son efficacité dans la DI sont extrêmement faibles, voire inexistantes. Les études contrôlées randomisées (ECR), considérées comme le plus haut standard de preuve, n’ont pas réussi à démontrer de bénéfices significatifs sur les symptômes centraux de la DI ou de l’autisme. Les quelques études positives sont souvent de faible qualité méthodologique (petits échantillons, absence de groupe contrôle, absence de mise en aveugle). De plus, ces régimes sont contraignants, coûteux et peuvent entraîner des carences nutritionnelles (calcium, vitamine D) s’ils ne sont pas rigoureusement supervisés par un professionnel de la nutrition.
- Supplémentation en oméga-3 : Les acides gras oméga-3 sont essentiels au développement et au fonctionnement du cerveau. L’idée de supplémenter est donc théoriquement plausible. Cependant, les méta-analyses et revues systématiques récentes sur le sujet dans les troubles du neurodéveloppement (TND) livrent des résultats mitigés et non concluants. Si quelques études isolées suggèrent de modestes effets sur des aspects comme l’hyperactivité ou l’humeur, il n’y a pas de preuve solide d’un impact sur les fonctions cognitives fondamentales ou les compétences adaptatives dans la population avec DI. Les effets observés sont souvent faibles et inconstants.
- Conclusion clinique : En l’état actuel des connaissances, il n’y a pas de justification scientifique pour recommander un régime SGSC de manière systématique. Une telle démarche ne devrait être envisagée qu’en cas d’allergie ou d’intolérance (maladie cœliaque) médicalement diagnostiquée. Concernant la supplémentation, une alimentation équilibrée reste la meilleure recommandation. Une supplémentation ciblée peut être discutée avec un médecin en cas de carence avérée, mais ne doit pas être présentée comme un traitement de la DI.
2. Interventions Sensorimotrices et Corporelles
- Rationnel théorique : Ces approches postulent que des difficultés dans le traitement des informations sensorielles (tactiles, vestibulaires, proprioceptives) sont à la base de nombreux problèmes comportementaux, moteurs et d’apprentissage. En fournissant des stimulations sensorielles contrôlées et structurées, on chercherait à “réorganiser” le système nerveux central pour qu’il traite l’information de manière plus adaptative.
- Analyse des preuves :
- Thérapie d’intégration sensorielle (TIS) : Proposée par l’ergothérapeute A. Jean Ayres, la TIS utilise des équipements spécifiques (balançoires, trampolines, bacs à textures) dans un cadre ludique. Si de nombreux cliniciens et parents rapportent des bénéfices anecdotiques (meilleure régulation, diminution de l’hypersensibilité), les preuves scientifiques robustes de son efficacité sur les objectifs fonctionnels à long terme restent controversées. Les revues systématiques pointent des faiblesses méthodologiques importantes dans la plupart des études (difficulté de la mise en aveugle, absence de protocoles standardisés). Il est difficile de distinguer les effets spécifiques de la TIS des effets non spécifiques liés à une relation thérapeutique positive et à une activité physique ludique. Néanmoins, une approche d’intégration sensorielle, intégrée dans un plan d’ergothérapie global et axée sur des objectifs fonctionnels clairs (ex: tolérer le brossage de dents, rester assis), peut avoir sa place.
- Musicothérapie : La musique est un puissant vecteur de communication, d’émotion et de structuration temporelle. La musicothérapie, menée par un professionnel qualifié, utilise des éléments musicaux (rythme, mélodie, harmonie) dans un processus visant à atteindre des objectifs non-musicaux. Les recherches, y compris des revues Cochrane, suggèrent des bénéfices prometteurs. La musicothérapie peut améliorer les compétences de communication sociale (initiation, tour de rôle), la régulation émotionnelle, la motricité et l’engagement. Contrairement à d’autres TCA, son mécanisme d’action est plus transparent : elle offre un canal de communication non verbal, motive l’interaction et peut faciliter la synchronisation motrice. Elle est considérée comme un complément de plus en plus légitime aux thérapies conventionnelles.
- Thérapie avec le cheval (équithérapie) : Cette approche utilise le mouvement tridimensionnel du cheval au pas pour stimuler les systèmes vestibulaire, proprioceptif et tactile. Le rationnel est à la fois moteur (amélioration de la posture, du tonus, de l’équilibre) et psycho-affectif (relation avec l’animal, confiance en soi). Plusieurs études, y compris des ECR, ont montré des bénéfices significatifs sur la motricité globale, le contrôle postural et certaines compétences sociales. Bien que les échantillons soient souvent de taille modeste, les données sont plus encourageantes que pour de nombreuses autres TCA. Elle est considérée comme une intervention complémentaire de grande valeur, en particulier pour les personnes présentant des atteintes motrices associées.
3. Approches Neuro-technologiques
- Rationnel théorique : Ces méthodes visent à modifier directement l’activité électrique du cerveau.
- Analyse des preuves :
- Neurofeedback : Le neurofeedback consiste à entraîner un individu à autoréguler ses ondes cérébrales, visualisées en temps réel sur un écran. L’objectif est de “renforcer” les patterns d’ondes associés à la concentration et au calme, et d’“inhiber” ceux associés à l’inattention ou à l’anxiété. Le rationnel est séduisant, car il suggère une action directe sur le substrat neuronal. Cependant, malgré des décennies d’existence, son efficacité dans la DI reste non prouvée. Les méta-analyses, notamment dans le TDAH (un domaine bien plus étudié), concluent que les améliorations observées sont probablement dues à des effets placebo et non spécifiques (temps passé avec un thérapeute, attente de résultat). Les études dans la population DI sont rares, de très faible qualité, et ne permettent de tirer aucune conclusion favorable. C’est une approche coûteuse et chronophage dont le rapport coût-bénéfice est actuellement très défavorable.
D. L’Écueil de la Preuve : Défis Méthodologiques et Responsabilité Éthique
L’évaluation des TCA dans la DI se heurte à des obstacles épistémologiques et méthodologiques considérables, qui expliquent en partie la persistance de pratiques non validées.
1. Les Défis de la Recherche
- L’effet placebo : C’est le défi majeur. L’amélioration observée peut être due non pas à l’ingrédient actif de la thérapie, mais à l’attente positive du patient et de ses parents, à l’attention accrue portée à l’enfant, et à la relation thérapeutique elle-même. Concevoir un placebo crédible pour une intervention comme la musicothérapie ou l’équithérapie est extrêmement complexe.
- L’hétérogénéité de la population : La déficience intellectuelle n’est pas une maladie unique. Elle varie en sévérité (légère à profonde), en étiologie (génétique, périnatale, etc.) et en comorbidités associées. Une thérapie qui pourrait avoir un effet marginal sur un sous-groupe spécifique sera “noyée” dans une étude portant sur un échantillon hétérogène.
- La standardisation des interventions : Beaucoup de TCA ne suivent pas de protocole standardisé. L’intervention peut varier considérablement d’un praticien à l’autre, rendant la réplication et la généralisation des résultats presque impossibles.
- Biais de publication : Les études montrant un résultat positif ont plus de chances d’être publiées que celles montrant une absence d’effet (le “file drawer problem”), ce qui biaise la littérature disponible et donne une fausse impression d’efficacité.
2. La Responsabilité Éthique du Clinicien et du Chercheur Face à ce flou, la communauté clinique et scientifique a une triple responsabilité éthique.
- Le principe de primum non nocere (d’abord, ne pas nuire) : La première considération doit être la sécurité. Une TCA n’est pas “neutre” si elle entraîne des risques directs (ex: carences d’un régime restrictif, manipulations physiques dangereuses) ou indirects.
- Le coût d’opportunité : Le temps, l’argent et l’énergie investis dans une thérapie inefficace sont des ressources qui ne sont pas allouées à des interventions dont l’efficacité est, elle, démontrée. C’est peut-être le préjudice le plus important : la dilution des efforts et le risque d’abandonner une prise en charge validée au profit d’une promesse illusoire.
- La gestion de l’espoir : Proposer ou cautionner une thérapie non prouvée peut créer de faux espoirs chez les familles. Lorsque ces espoirs sont déçus, le contrecoup peut être dévastateur, menant au découragement, à la culpabilité et à une méfiance généralisée envers tout le corps médical.
E. Vers une Intégration Raisonnée : Dialogue, Discernement et Décision Partagée
Une posture de rejet dogmatique de toute approche non conventionnelle serait aussi contre-productive qu’une acceptation acritique. La voie la plus constructive réside dans une approche d’intégration raisonnée, guidée par le dialogue et le discernement.
- 1. Établir une Alliance Thérapeutique
Le rôle du clinicien n’est pas d’interdire, mais d’informer. La première étape est d’ouvrir un espace de discussion sécurisant où les parents peuvent parler librement des TCA qui les intéressent, sans crainte d’être jugés. Il s’agit de comprendre leurs motivations, leurs espoirs et leurs sources d’information. - 2. Une Grille d’Analyse Partagée
Le clinicien peut aider la famille à évaluer une TCA potentielle en posant une série de questions critiques :
- Quelle est la plausibilité du mécanisme d’action ? Est-ce que cela semble cohérent avec ce que nous savons de la biologie et de la psychologie ? Ou cela repose-t-il sur des concepts vagues et non vérifiables (“énergie”, “blocages”) ?
- Quelles sont les preuves ? S’agit-il de témoignages anecdotiques ou d’études contrôlées publiées dans des revues scientifiques sérieuses ? Existe-t-il des revues systématiques ou des méta-analyses sur le sujet ?
- Quels sont les risques et les contraintes ? L’approche est-elle sûre ? Quel est son coût financier ? Quel est l’investissement en temps et en énergie requis ? Est-elle compatible avec les autres thérapies en cours ?
- Quels sont les objectifs visés et comment seront-ils mesurés ? L’objectif est-il clair, réaliste et mesurable (ex: “améliorer le contact visuel de 2 à 5 secondes”) ou vague (“harmoniser les énergies”) ?
3. Distinguer les Objectifs : Traitement vs. Bien-être Il est crucial de faire la distinction entre une thérapie qui prétend traiter les symptômes fondamentaux de la DI et une activité qui vise à améliorer la qualité de vie, le bien-être ou le plaisir. Une activité comme le yoga adapté, la natation ou même la musicothérapie peut être parfaitement justifiée pour ses bienfaits sur la détente, le plaisir et la participation sociale, sans pour autant prétendre “guérir” la DI. Présentées sous cet angle, ces activités complémentaires peuvent être intégrées de manière saine et bénéfique au projet de vie de la personne, en complément – et non en remplacement – des interventions éducatives et thérapeutiques fondamentales.
Cette approche de décision partagée et informée permet de préserver l’alliance avec la famille, de respecter son autonomie tout en la guidant vers des choix qui maximisent les bénéfices potentiels et minimisent les risques et les faux espoirs.
Conclusion
Le paysage des thérapies pour la déficience intellectuelle est un écosystème complexe où la science rigoureuse côtoie des propositions aux fondements empiriques fragiles. L’attrait pour les approches complémentaires est une réalité sociologique et psychologique compréhensible, nourrie par le désir ardent des familles d’offrir le meilleur à leur enfant. L’analyse critique des données actuelles nous conduit à une conclusion nuancée. Une minorité d’approches, comme la musicothérapie ou la thérapie avec le cheval, démontrent un potentiel tangible comme adjuvants pour améliorer des compétences spécifiques ou la qualité de vie, et méritent une place dans un plan de soins intégré. Cependant, une majorité d’autres, notamment de nombreux régimes alimentaires et des neuro-technologies comme le neurofeedback, reposent sur des bases théoriques spéculatives et manquent cruellement de preuves scientifiques robustes pour justifier leur coût et l’investissement qu’elles requièrent.
La responsabilité du professionnel n’est donc pas de brandir l’étendard d’une science dogmatique, mais d’incarner une science humaniste. Cela implique d’accueillir l’espoir des familles, de le canaliser vers des interventions dont l’efficacité est solidement étayée, et d’offrir les outils critiques pour évaluer les alternatives. Le dialogue, la transparence sur l’état des connaissances, la distinction claire entre ce qui relève du traitement et ce qui relève du bien-être, et une focalisation constante sur des objectifs fonctionnels et mesurables sont les piliers d’une pratique éthique. En définitive, le véritable progrès ne réside pas dans la quête d’une solution miracle, mais dans l’intégration intelligente et critique de toutes les ressources disponibles pour construire, pas à pas, un parcours de vie digne, autonome et épanouissant pour chaque personne porteuse d’une déficience intellectuelle.
Les sources :
Bölte, S., Zirn, S., & Poustka, F. (2011). [The effects of a gluten- and casein-free diet in children with autism. A systematic review]. Praxis der Kinderpsychologie und Kinderpsychiatrie, 60(7), 565–577. https://doi.org/10.13109/prkk.2011.60.7.565
Brondino, N., Fusar-Poli, L., Rocchetti, M., Provenzani, U., Barale, F., & Politi, P. (2015). Complementary and Alternative Therapies for Autism Spectrum Disorder. Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine, 2015, 872691. https://doi.org/10.1155/2015/872691
Geretsegger, M., Elefant, C., Mössler, K. A., & Gold, C. (2014). Music therapy for people with autism spectrum disorder. Cochrane Database of Systematic Reviews, 2014(6), CD004381. https://doi.org/10.1002/14651858.CD004381.pub3
Kouo, J. L., & Velez, G. (2021). Use of Complementary and Alternative Medicine in Children with Neurodevelopmental Disorders. Current Developmental Disorders Reports, 8(3), 137–146. https://doi.org/10.1007/s40474-021-00233-0
Lofthouse, N., Arnold, L. E., Hersch, S., Hurt, E., & DeNiro, C. (2012). A review of complementary and alternative treatments for ADHD. Journal of Attention Disorders, 16(5 Suppl), 5S–6S. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4501229/ (Note: Bien que sur le TDAH, cette revue est souvent citée pour les TND en général sur des approches comme le neurofeedback et les oméga-3).
Pi-Fígols, M. (2022). Exploring families’ choices and experiences of complementary and alternative medicine for their children with intellectual disability. Journal of Intellectual Disabilities, 26(4), 868–881. https://doi.org/10.1177/17446295211025531
Siri, K., & Lyons, G. (2014). Cutting-Edge Therapies for Autism, 2014-2015. Skyhorse Publishing. (Note: Livre de synthèse par des cliniciens, utile pour comprendre la popularité et les rationnels des TCA, même si ce n’est pas un article de recherche primaire).
Sterman, M. B., & Egner, T. (2006). Foundation and practice of neurofeedback for the treatment of epilepsy. Applied Psychophysiology and Biofeedback, 31(1), 21–35. https://doi.org/10.1007/s10484-006-9002-x
Tsang, T. W., & Fung, K. M. (2009). A review of the neurobiological effects of omega-3 fatty acids in aggressively-behaving psychiatric patients. Journal of the American Academy of Psychiatry and the Law, 37(3), 389–401. https://jaapl.org/content/jaapl/37/3/389.full.pdf
Virués-Ortega, J., Julio, F. M., & Pastor-Barriuso, R. (2013). The TEACCH program for children and adults with autism: a meta-analysis of intervention studies. Clinical Psychology Review, 33(8), 940–953. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2013.07.005
Weitlauf, A. S., McPheeters, M. L., Peters, B., Sathe, N., Travis, R., Aiello, R., Williamson, E., Veenstra-VanderWeele, J., & Warren, Z. (2014). Therapies for Children With Autism Spectrum Disorder: Behavioral Interventions Update. Agency for Healthcare Research and Quality (US). Report No.: 14-EHC036-EF. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK247190/
Zadnikar, M., & Kastrin, A. (2011). Effects of hippotherapy and therapeutic horseback riding on postural control or balance in children with cerebral palsy: a meta-analysis. Developmental Medicine and Child Neurology, 53(8), 684–691. https://doi.org/10.1111/j.1469-8749.2011.03951.x