La Maison Du Bilan, Neuropsychologie et psychologie clinique à Paris 9

Éducation inclusive : quels sont les défis et les réussites ?


L’enceinte de l’école n’est pas un simple lieu de transmission de savoirs. C’est un microcosme social, un laboratoire où se forgent les premières représentations de l’altérité, de la norme et de la différence. Depuis des décennies, le discours sur l’éducation a évolué, passant d’un modèle ségrégatif, où les élèves à « besoins spécifiques » étaient orientés vers des structures spécialisées, à un modèle intégratif, qui visait à les insérer dans le système ordinaire. Aujourd’hui, un nouveau paradigme s’impose, du moins en théorie : celui de l’inclusion. Ce glissement sémantique est loin d’être anodin. Il ne s’agit plus d’adapter l’enfant au système, mais de transformer le système pour qu’il puisse accueillir et valoriser la singularité de chaque enfant.

Pourtant, entre l’idéal philosophique et éthique de l’inclusion et sa mise en œuvre concrète, un fossé se creuse, rempli de défis systémiques, pédagogiques et humains. Cet article se propose de dépasser les déclarations de principe pour plonger au cœur de la réalité clinique et pédagogique de l’école inclusive. Nous n’allons pas seulement débattre de concepts, mais analyser la complexité du terrain à travers des études de cas composites, inspirées de situations réelles. En examinant les trajectoires d’élèves aux profils variés – trouble du spectre de l’autisme, troubles des apprentissages, ou encore double exceptionnalité – nous chercherons à identifier non seulement les obstacles qui entravent le processus inclusif, mais surtout les leviers et les stratégies qui transforment un défi potentiel en une réussite tangible. L’objectif est de fournir une analyse psychologique et systémique fine, destinée à éclairer les praticiens, les chercheurs et les décideurs sur les conditions réelles du succès de l’une des plus grandes ambitions de l’éducation contemporaine.

A. Fondements conceptuels et neuropsychologiques de l’inclusion scolaire

Avant d’explorer les dynamiques de terrain, une clarification terminologique et théorique s’impose. La transition de l’intégration vers l’inclusion représente un changement de paradigme fondamental. L’intégration postule que l’élève en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers doit faire l’effort de s’adapter à un environnement scolaire standardisé, avec des aides compensatoires pour combler ses « déficits ». L’inclusion, à l’inverse, repose sur le principe que la diversité est la norme. Le système éducatif lui-même doit être intrinsèquement flexible, accessible et différencié pour répondre d’emblée à la pluralité des profils d’apprenants. Ce modèle s’ancre dans une vision sociale du handicap, où les barrières ne sont pas tant les déficiences individuelles que les obstacles environnementaux et attitudinaux.

Sur le plan psychologique, plusieurs cadres théoriques soutiennent cette approche. La théorie socioconstructiviste de Vygotsky, avec son concept de Zone Proximale de Développement (ZPD), est particulièrement éclairante. La ZPD désigne ce qu’un apprenant peut accomplir avec l’aide d’un pair plus compétent ou d’un adulte. Dans un environnement hétérogène, les interactions entre élèves aux compétences variées créent de multiples opportunités d’étayage. Un élève neurotypique peut modéliser des compétences sociales pour un pair avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), tandis que ce dernier peut apporter une perspective unique ou une expertise pointue sur un sujet, enrichissant ainsi l’ensemble du groupe. L’inclusion, lorsqu’elle est bien menée, maximise le potentiel de ces ZPD réciproques.

La théorie de l’apprentissage social d’Albert Bandura ajoute une autre dimension. L’apprentissage par observation et imitation (modelage) est un puissant moteur de développement. La présence en classe ordinaire d’élèves porteurs de handicap permet de déconstruire les stéréotypes et de normaliser la différence aux yeux des autres élèves. Ils apprennent non seulement des contenus académiques, mais aussi des compétences socio-émotionnelles fondamentales comme l’empathie, la tolérance et la coopération. Pour l’élève inclus, l’exposition à des modèles de comportements sociaux et de stratégies d’apprentissage variés est cruciale pour son propre développement.

Enfin, le concept de neurodiversité vient refondre notre compréhension des différences cognitives. Plutôt que de pathologiser les variations neurologiques (comme le TDAH, la dyslexie, l’autisme), le paradigme de la neurodiversité les considère comme des expressions naturelles de la diversité humaine. L’école inclusive n’a donc pas pour but de « réparer » ou de « normaliser » ces élèves, mais de créer un écosystème d’apprentissage où leur mode de fonctionnement cognitif est compris, respecté et utilisé comme une force. Cela implique une refonte de l’évaluation (qui ne doit plus seulement mesurer la restitution de connaissances normées) et de la pédagogie (qui doit offrir de multiples voies pour apprendre et pour démontrer sa compréhension).

B. Les défis systémiques : freins structurels et culturels à l’inclusion

Malgré la robustesse de ses fondements théoriques, la mise en œuvre de l’éducation inclusive se heurte à des obstacles majeurs, qui ne relèvent pas de la mauvaise volonté individuelle mais de pesanteurs structurelles profondes.

  • La formation des enseignants : une préparation insuffisante face à la complexité
    Le maillon central de l’école inclusive est l’enseignant. Or, la formation initiale prépare encore de manière lacunaire les futurs professeurs à la gestion de l’hétérogénéité complexe. Les modules dédiés au handicap ou aux troubles d’apprentissage sont souvent courts, théoriques et déconnectés des réalités de la classe. Les enseignants se retrouvent démunis, oscillant entre le désir de bien faire et le sentiment d’impuissance. Cette dissonance cognitive peut engendrer un stress professionnel important, voire un épuisement (burnout), et conduire à des stratégies de contournement ou à une focalisation sur le groupe d’élèves “dans la norme”, au détriment de ceux qui sont aux marges. La formation continue, bien qu’existante, est souvent parcellaire et dépendante des initiatives individuelles.

  • L’allocation des ressources : le paradoxe de l’aide humaine et matérielle
    L’inclusion a un coût. Les dispositifs de soutien, comme les Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH), sont essentiels. Cependant, leur déploiement soulève plusieurs problèmes. D’une part, le statut précaire et la faible rémunération de ces professionnels entraînent un fort taux de renouvellement, ce qui nuit à la continuité de l’accompagnement et à la capitalisation de l’expérience. D’autre part, une dépendance excessive à l’AESH peut créer une “inclusion exclusive” : l’élève est physiquement dans la classe, mais sa relation pédagogique principale se fait avec l’accompagnant, limitant ses interactions avec l’enseignant et ses pairs. L’enjeu est de faire de l’AESH un facilitateur d’inclusion dans le groupe, et non un tuteur exclusif. De même, l’accès au matériel pédagogique adapté (logiciels, supports sensoriels) reste inégal et souvent soumis à de lourdes démarches administratives pour les familles et les écoles.

  • La culture de l’établissement et les représentations sociales
    Une inclusion réussie ne dépend pas que d’un enseignant, mais de toute une communauté éducative. Si la direction de l’établissement n’impulse pas une culture inclusive forte, les initiatives resteront isolées. Les résistances peuvent être subtiles : la peur que le niveau général de la classe baisse, la crainte que l’élève “à besoins particuliers” ne monopolise trop de temps, ou encore les préjugés des autres parents. Ces représentations sociales, souvent basées sur une méconnaissance, constituent un frein puissant. L’école doit mener un travail proactif de communication et de sensibilisation pour expliquer les bénéfices de l’inclusion pour tous les élèves, en termes de développement de compétences sociales et civiques.

  • La rigidité curriculaire et évaluative
    Les programmes scolaires nationaux, très denses, et les systèmes d’évaluation standardisés (examens nationaux, évaluations comparatives) sont conçus pour un élève “moyen” qui n’existe pas. Cette rigidité laisse peu de marge de manœuvre aux enseignants pour différencier leur pédagogie en profondeur. L’évaluation sommative, qui sanctionne un résultat à un instant T, est souvent inadaptée pour mesurer les progrès d’un élève au parcours atypique. Il est nécessaire de développer une culture de l’évaluation formative, qui vise à comprendre où en est l’élève pour mieux l’accompagner, et de valoriser des compétences transversales (créativité, coopération, persévérance) qui ne sont pas toujours mesurées par les notes traditionnelles.

C. L’écosystème de la classe : stratégies pédagogiques pour une inclusion effective

Si les défis systémiques sont réels, des stratégies pédagogiques éprouvées permettent de transformer la classe en un véritable environnement inclusif. Le concept le plus abouti en la matière est celui de la Conception Universelle de l’Apprentissage (CUA), ou Universal Design for Learning (UDL) en anglais. La CUA ne consiste pas à créer une leçon unique puis à l’adapter pour certains élèves, mais à concevoir d’emblée des situations d’apprentissage flexibles qui offrent des options à tous. Elle repose sur trois principes fondamentaux :

  • Fournir de multiples moyens de représentation (le “Quoi” de l’apprentissage) : L’information doit être présentée sous différents formats pour s’adapter aux divers profils sensoriels et cognitifs. Par exemple, une leçon d’histoire peut être dispensée via un texte écrit, mais aussi une vidéo, un podcast, une frise chronologique interactive ou une carte mentale. Cela permet à un élève dyslexique d’accéder au contenu par l’écoute, ou à un élève avec un trouble de l’attention de rester engagé grâce à des supports visuels dynamiques.

  • Fournir de multiples moyens d’action et d’expression (le “Comment” de l’apprentissage) : Les élèves doivent avoir le choix dans la manière de démontrer ce qu’ils ont compris. Au lieu d’imposer une rédaction écrite à tous, l’enseignant peut proposer de réaliser un exposé oral, un diaporama, une bande dessinée, un modèle 3D ou un enregistrement audio. Cette flexibilité permet à un élève dyspraxique d’éviter l’obstacle de l’écriture manuelle, ou à un élève créatif de s’exprimer d’une manière qui valorise ses talents.

  • Fournir de multiples moyens d’engagement (le “Pourquoi” de l’apprentissage) : Pour maintenir la motivation, il est crucial de connecter l’apprentissage aux intérêts des élèves et de leur donner de l’autonomie. Cela peut passer par des projets en groupe où les rôles sont distribués selon les forces de chacun, par la gamification de certaines activités, ou en laissant les élèves choisir le sujet d’étude à l’intérieur d’un thème plus large. Offrir des routines claires et un environnement prévisible est également un facteur d’engagement majeur pour les élèves ayant besoin de structure, comme ceux avec un TSA.

Au-delà de la CUA, la pédagogie de la coopération est un autre pilier. Le travail en petits groupes hétérogènes, avec des objectifs communs et une responsabilité individuelle, pousse les élèves à s’entraider. Les techniques comme le tutorat par les pairs ou les puzzles collaboratifs (méthode Jigsaw) sont particulièrement efficaces. L’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir, mais un orchestrateur qui facilite les interactions et les apprentissages mutuels.

Enfin, la gestion du climat de classe est primordiale. Cela passe par l’instauration de règles de vie explicites basées sur le respect et l’empathie, la mise en place de “conseils d’élèves” pour résoudre les conflits, et la valorisation systématique des efforts et des progrès de chacun, et non uniquement de la performance finale.

D. Études de cas : analyses de trajectoires inclusives

Pour illustrer concrètement la confrontation entre défis et réussites, nous présentons trois études de cas composites, synthétisant des problématiques et des solutions observées sur le terrain.

Cas n°1 : Léo, 8 ans – Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) en CE2

  • Profil de l’élève : Léo présente un TSA sans déficience intellectuelle. Il possède des compétences cognitives élevées dans les domaines qui l’intéressent (les dinosaures, l’astronomie), mais il fait face à des défis majeurs : une hypersensibilité sensorielle (bruit, lumière), des difficultés importantes dans la compréhension des codes sociaux implicites (second degré, tours de parole) et une anxiété élevée face à l’imprévu.
  • Défi initial : La première année en classe ordinaire fut chaotique. Le bruit de la cantine et de la cour de récréation provoquait des crises de surcharge sensorielle (meltdowns). En classe, il était souvent isolé, ne comprenant pas les jeux des autres enfants et les interrompant de manière perçue comme “bizarre”. L’enseignante, bienveillante mais démunie, le voyait se replier sur lui-même ou avoir des comportements d’opposition lorsqu’il était en état de stress. Le diagnostic d’échec de l’inclusion était posé par une partie de l’équipe.
  • Intervention stratégique et réussites : La situation a basculé grâce à une approche coordonnée :
    1. Collaboration interprofessionnelle : Une réunion de synthèse éducative a été organisée avec les parents, l’enseignante, la psychologue scolaire, l’ergothérapeute qui suivait Léo en libéral, et la directrice. Un Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) a été co-construit.
    2. Aménagements environnementaux : Sur conseil de l’ergothérapeute, des aménagements simples ont été mis en place. Léo a reçu un casque anti-bruit pour les moments de transition et les repas. Sa place en classe a été choisie loin de la fenêtre et près du mur pour limiter les stimuli visuels. Un “coin de repli” avec des coussins et des objets sensoriels a été installé dans la classe, où il pouvait se rendre de manière autonome lorsqu’il sentait l’anxiété monter.
    3. Prévisibilité et structuration : L’enseignante a mis en place un emploi du temps visuel détaillé pour toute la classe. Chaque transition était annoncée à l’avance. Les consignes étaient décomposées en étapes simples et visuelles.
    4. Soutien social : Plutôt que de simplement le “surveiller”, l’AESH a été formée pour devenir une “traductrice sociale”. Elle aidait Léo à décoder les intentions de ses camarades et expliquait à ces derniers les réactions de Léo. L’enseignante a organisé des exposés où Léo pouvait partager sa passion pour les dinosaures. Cette expertise reconnue a changé le regard de ses pairs, qui ont commencé à le voir comme une ressource. Des petits groupes de “jeux coopératifs” structurés ont été mis en place pendant la récréation.
  • Résultats : En quelques mois, les crises de surcharge ont quasiment disparu. Léo a commencé à initier des interactions avec deux camarades. Ses résultats scolaires, déjà bons dans certaines matières, se sont généralisés car son anxiété a diminué, libérant ses ressources cognitives. L’inclusion n’était plus une contrainte, mais une réalité fonctionnelle, bénéfique pour Léo qui développait ses compétences sociales, et pour les autres élèves qui apprenaient la tolérance et la richesse de la différence.

Cas n°2 : Sofia, 11 ans – Dyslexie-dysorthographie sévère en CM2

  • Profil de l’élève : Sofia est une élève vive et curieuse, mais ses troubles spécifiques du langage écrit sont massifs. Le déchiffrage est lent et laborieux, la copie est source d’erreurs et de fatigue, et la production d’écrit est quasi impossible sans une aide considérable. Pendant des années, ses difficultés ont été interprétées comme de la paresse ou un manque d’intelligence, ce qui a profondément atteint son estime de soi.
  • Défi initial : Arrivée en CM2, Sofia était en situation d’échec scolaire et de phobie scolaire naissante. Elle refusait de lire à voix haute, rendait des feuilles blanches lors des évaluations écrites et développait des stratégies d’évitement. La compensation par l’aide humaine de l’AESH montrait ses limites : Sofia devenait passive et dépendante. L’enjeu était de lui redonner de l’autonomie et de contourner le handicap pour lui permettre d’accéder aux apprentissages et de montrer son potentiel réel.
  • Intervention stratégique et réussites : Le levier principal a été l’intégration d’outils technologiques dans le cadre d’un Plan d’Accompagnement Personnalisé (PAP).
    1. Utilisation de l’outil numérique : L’école a investi, via une dotation spécifique, dans un ordinateur portable équipé de logiciels adaptés. Un logiciel de synthèse vocale lisait les consignes et les textes pour elle. Un logiciel de prédiction de mots et un correcteur orthographique et grammatical avancé l’assistaient dans sa production d’écrit.
    2. Adaptation des évaluations : L’enseignant a accepté que Sofia passe toutes ses évaluations sur ordinateur. Le temps a été aménagé (tiers-temps), et l’évaluation a été centrée sur la compréhension et la qualité des idées, en neutralisant la notation de l’orthographe dans les matières non linguistiques.
    3. Changement de posture pédagogique : L’enseignant a cessé de la forcer à lire à voix haute devant tout le monde, préférant des temps de lecture individuels avec elle. Il a valorisé ses compétences orales, excellentes, en lui confiant des rôles de porte-parole dans les travaux de groupe.
    4. Formation et autonomisation : Sofia a été formée à l’utilisation de ses outils par un ergothérapeute, non pas pour la rendre dépendante de la machine, mais pour en faire un outil d’autonomie, au même titre que des lunettes pour un myope.
  • Résultats : La transformation a été spectaculaire. Libérée de la charge cognitive écrasante du décodage et de l’orthographe, Sofia a pu enfin se concentrer sur le sens. Ses résultats en histoire, en sciences et en résolution de problèmes mathématiques ont grimpé en flèche, révélant une intelligence et une capacité de raisonnement que l’écrit masquait. Son estime de soi s’est reconstruite. Elle a pu envisager une entrée sereine au collège, non plus comme une victime de ses troubles, mais comme une élève compétente équipée de ses outils de compensation.

Cas n°3 : Amir, 9 ans – Double exceptionnalité : Haut Potentiel Intellectuel (HPI) et Trouble Oppositionnel avec Provocation (TOP)

  • Profil de l’élève : Amir a un QI très élevé, une pensée en arborescence rapide et une grande curiosité. Cependant, cette précocité intellectuelle est associée à un TOP. Il s’ennuie vite en classe, remet systématiquement en question l’autorité de l’enseignant, refuse de faire les exercices qu’il juge “stupides” ou répétitifs, et peut entrer dans des colères explosives lorsqu’il est frustré ou contraint.
  • Défi initial : Amir était devenu “l’élève ingérable” de l’école. Il passait plus de temps dans le bureau de la directrice qu’en classe. Les punitions et les sanctions ne faisaient qu’envenimer la situation, créant un cercle vicieux d’opposition et d’exclusion. L’équipe éducative était épuisée et envisageait une orientation vers une structure spécialisée, non pas pour son HPI, mais pour ses troubles du comportement. L’inclusion, ici, ne concernait pas un handicap “classique”, mais la capacité du système à gérer un profil cognitif et comportemental hors-norme.
  • Intervention stratégique et réussites : Le changement est venu d’un enseignant qui a accepté de changer de perspective : ne plus voir Amir comme un problème à régler, mais comme une intelligence à nourrir et un besoin de contrôle à canaliser.
    1. Différenciation par l’enrichissement : Au lieu de lui donner “plus” d’exercices du même type, l’enseignant a préparé un plan de travail individualisé avec des défis plus complexes. Pendant que les autres élèves faisaient des exercices d’application, Amir travaillait sur des énigmes logiques, des recherches documentaires avancées ou la préparation d’un exposé pour la classe sur un sujet de son choix.
    2. Pédagogie de projet et responsabilisation : L’enseignant a lancé un projet de création d’un journal de classe. Il a confié à Amir le rôle de “rédacteur en chef”. Ce statut lui a donné un sentiment de contrôle et de responsabilité légitime. Il devait coordonner le travail des autres, relire leurs articles et s’assurer du respect des délais. Son besoin d’opposition s’est transformé en leadership constructif.
    3. Contrat comportemental et co-construction des règles : Un “contrat de confiance” a été établi entre Amir et l’enseignant. Les règles n’étaient plus imposées, mais discutées. Des “signes” discrets ont été convenus pour qu’Amir puisse signaler son ennui ou sa frustration avant que la situation ne dégénère, permettant à l’enseignant d’ajuster son intervention.
    4. Dialogue méta-cognitif : L’enseignant a pris le temps de discuter avec Amir de son propre fonctionnement, de l’aider à comprendre ses émotions et l’impact de son comportement sur les autres. Il a validé son sentiment d’injustice face à des tâches non stimulantes, tout en lui expliquant les contraintes du cadre scolaire.
  • Résultats : Les troubles du comportement ont diminué de manière significative. Amir a retrouvé le plaisir d’apprendre et de venir à l’école. Il a utilisé son potentiel non plus contre le système, mais au service d’un projet collectif. Les autres élèves ont bénéficié de son dynamisme et de ses connaissances. Le cas d’Amir démontre que l’inclusion concerne aussi les élèves “à haut potentiel” et que la flexibilité pédagogique est la clé pour éviter que l’ennui et l’incompréhension ne se transforment en troubles du comportement sévères.

E. Analyse transversale des facteurs de réussite

L’analyse de ces cas, au-delà de leur singularité, révèle des piliers communs sur lesquels repose une inclusion réussie. Ces facteurs ne sont pas des recettes miracles, mais des conditions systémiques et humaines indispensables.

  • Le primat de la collaboration : Aucune réussite inclusive n’est l’œuvre d’une seule personne. Le facteur le plus déterminant est la qualité de la collaboration entre tous les acteurs : les parents (experts de leur enfant), les enseignants (experts de la pédagogie), les professionnels du soin (psychologues, ergothérapeutes, orthophonistes) et le personnel de direction. Lorsque ces acteurs travaillent en silo, leurs actions sont inefficaces, voire contradictoires. C’est la co-construction d’un projet commun (PPS, PAP) et la communication régulière qui permettent d’aligner les interventions et de créer un filet de sécurité cohérent autour de l’élève.

  • La personnalisation et la flexibilité pédagogique : L’inclusion ne signifie pas traiter tout le monde de la même manière, mais offrir à chacun ce dont il a besoin pour réussir. Cela requiert un abandon de la posture frontale et uniforme au profit d’une pédagogie différenciée et flexible, comme l’incarne la Conception Universelle de l’Apprentissage. La clé n’est pas de baisser les exigences, mais de varier les chemins pour les atteindre.

  • Le changement de regard : de la compensation du déficit à la valorisation des forces : Les interventions les plus efficaces sont celles qui ne se focalisent pas uniquement sur ce que l’élève ne peut pas faire, mais sur ce qu’il peut faire. En identifiant et en s’appuyant sur les forces et les intérêts de l’élève (la passion de Léo, les compétences orales de Sofia, l’intelligence d’Amir), on enclenche un cercle vertueux : l’élève gagne en estime de soi, se motive, et le regard de ses pairs se modifie positivement.

  • Le rôle crucial de la formation et du soutien des enseignants : Les enseignants ne peuvent pas être les seuls architectes de l’inclusion sans en avoir les outils. Une formation initiale et continue, pratique et réflexive, est non-négociable. De plus, ils ont besoin de soutien : du temps de concertation sanctuarisé, l’accès à des personnes-ressources (enseignants spécialisés, psychologues scolaires) et la reconnaissance institutionnelle de la complexité de leur travail.

Conclusion

L’éducation inclusive est bien plus qu’une obligation légale ou une utopie pédagogique. C’est un processus dynamique, complexe et parfois déstabilisant, qui interroge les fondements mêmes de notre système éducatif : sa définition de la norme, de la réussite et de l’équité. Les études de cas présentées ici montrent que l’échec n’est jamais une fatalité et que la réussite ne tient pas à la magie, mais à une ingénierie humaine et pédagogique rigoureuse.

Les défis restent immenses. Ils appellent à une transformation profonde des structures, depuis la formation des maîtres jusqu’aux modalités d’évaluation nationales. Cependant, les réussites, même locales, prouvent que l’action est possible à l’échelle de la classe et de l’établissement. Elles démontrent que la prise en compte de la singularité d’un élève, loin d’être un fardeau pour la collectivité, devient un puissant levier d’innovation pédagogique et de développement humain pour tous. En fin de compte, une école véritablement inclusive n’est pas seulement une école plus juste pour les élèves à besoins particuliers. C’est une meilleure école pour chaque élève, car elle leur apprend la compétence la plus essentielle du XXIe siècle : la capacité à vivre, apprendre et construire ensemble dans un monde intrinsèquement divers.

Les sources :

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