La psychologie positive, quelles sont les techniques pour cultiver le bonheur et le bien-être au quotidien ?
La psychologie, en tant que discipline, a longtemps porté son regard sur les abysses de la souffrance humaine. Née dans le creuset de la psychopathologie, sa mission première fut de comprendre, de classifier et de traiter les troubles de l’esprit, cartographiant avec une précision croissante les territoires de l’anxiété, de la dépression et des psychoses. Cet impératif clinique, bien que fondamental, a laissé dans l’ombre une question tout aussi essentielle : qu’est-ce qui fait qu’une vie vaut la peine d’être vécue ? Au-delà de la simple absence de maladie, qu’est-ce qui constitue une existence florissante, riche de sens et de satisfaction ? C’est pour répondre à cette interrogation que la psychologie positive a émergé, non pas comme une alternative, mais comme un complément indispensable à la psychologie traditionnelle. Elle ne propose pas de nier la réalité de la douleur, mais d’armer l’individu d’outils conceptuels et pratiques pour construire un bien-être durable et une résilience face aux inévitables adversités de la vie. Cet article se propose d’explorer les fondements théoriques et les interventions validées par la recherche de ce champ scientifique, en offrant une analyse approfondie des mécanismes par lesquels nous pouvons délibérément cultiver le bonheur et l’épanouissement. Il s’agit d’une démarche qui déplace le curseur de la simple réparation vers la construction active d’un capital psychologique.
A. Fondements théoriques et délimitation conceptuelle
La psychologie positive, formellement initiée à la fin des années 1990 par Martin Seligman, alors président de l’American Psychological Association, repose sur un postulat simple mais révolutionnaire : le bien-être n’est pas simplement l’absence de mal-être. Il s’agit d’un état psychologique distinct, avec ses propres déterminants et ses propres processus. Le champ se consacre à l’étude scientifique des expériences positives, des traits de caractère positifs et des institutions qui favorisent leur développement.
Pour structurer cette exploration, Seligman a développé le modèle PERMA, un acronyme qui désigne les cinq piliers fondamentaux de l’épanouissement (ou flourishing). Ce modèle constitue l’échafaudage théorique de nombreuses interventions.
Positive Emotions (Émotions Positives) : Il s’agit de la composante la plus intuitive, souvent associée au bonheur hédonique. Elle englobe des sentiments comme la joie, l’intérêt, la satisfaction, l’amour et l’espoir. La théorie “Broaden-and-Build” de Barbara Fredrickson postule que ces émotions, loin d’être de simples signaux agréables, ont une fonction adaptative cruciale : elles élargissent notre répertoire de pensées et d’actions (broaden), ce qui, à terme, nous aide à construire des ressources personnelles durables (build) – qu’elles soient physiques, intellectuelles, sociales ou psychologiques.
Engagement : Cette dimension renvoie à l’expérience du Flow, théorisée par Mihaly Csikszentmihalyi. Le Flow est un état d’absorption totale dans une activité, où la conscience de soi s’efface, le temps semble se distordre et l’activité est intrinsèquement gratifiante. Cet état est atteint lorsque le niveau de défi d’une tâche est en parfaite adéquation avec le niveau de compétence de l’individu. L’engagement n’est pas une recherche passive de plaisir, mais une immersion active qui génère une satisfaction profonde.
Relationships (Relations Positives) : L’être humain est une créature fondamentalement sociale. La qualité de nos liens interpersonnels est l’un des prédicteurs les plus robustes du bien-être et de la longévité. La psychologie positive s’intéresse aux mécanismes qui sous-tendent les relations saines : l’empathie, la communication constructive, le soutien social perçu et l’altruisme.
Meaning (Sens) : Le sens renvoie au fait d’appartenir et de servir quelque chose que l’on considère comme plus grand que soi. Cette quête de sens est une composante eudaimonique du bien-être, qui transcende le simple plaisir personnel. Le sens peut être trouvé dans la spiritualité, la contribution à une communauté, la poursuite d’une vocation, l’engagement pour une cause ou l’éducation des générations futures.
Accomplishment (Accomplissement) : Il s’agit de la poursuite de la maîtrise et de la compétence. L’accomplissement, pour être une source de bien-être, doit être poursuivi pour lui-même, non seulement pour ses retombées externes (argent, statut). Il est intrinsèquement lié à la persévérance, à la discipline et à la mentalité de croissance (growth mindset), un concept développé par Carol Dweck qui suggère que les capacités peuvent être développées par le dévouement et le travail.
Il est crucial de distinguer la psychologie positive de la “pensée positive” simpliste ou de la “positivité toxique”. La psychologie positive ne prône pas le déni des émotions négatives ou des difficultés. Au contraire, elle reconnaît leur importance et leur inéluctabilité. Son objectif est d’étudier scientifiquement comment les ressources positives peuvent coexister avec les expériences négatives et aider les individus à les traverser avec plus de résilience.
B. La neurobiologie du bien-être : L’esprit comme sculpteur du cerveau
Les interventions de la psychologie positive ne sont pas de simples exercices mentaux ; elles induisent des modifications structurelles et fonctionnelles mesurables dans le cerveau. Ce phénomène, connu sous le nom de neuroplasticité, est la capacité du cerveau à se réorganiser en formant de nouvelles connexions neuronales tout au long de la vie. Les pratiques de bien-être agissent comme des entraînements qui renforcent certains circuits neuronaux au détriment d’autres.
Le cortex préfrontal (CPF), siège des fonctions exécutives (planification, prise de décision, régulation émotionnelle), joue un rôle central. Des études d’imagerie cérébrale ont montré qu’une activité accrue dans le cortex préfrontal gauche est corrélée à un affect positif plus élevé et à une meilleure capacité de récupération après une expérience négative. À l’inverse, une dominance du CPF droit est associée à la rumination et aux affects négatifs. Des pratiques comme la méditation de pleine conscience ou l’expression de la gratitude semblent renforcer l’activité du CPF gauche, modifiant ainsi notre “style affectif” de base.
L’amygdale, une structure en forme d’amande impliquée dans la détection des menaces et la réponse de peur, est également modulée par ces pratiques. Chez les individus anxieux ou déprimés, l’amygdale est souvent hyperactive. La méditation de pleine conscience, en particulier, a démontré sa capacité à réduire cette hyperactivité et à affaiblir les connexions fonctionnelles entre l’amygdale et le CPF, permettant une meilleure régulation “descendante” des émotions. En d’autres termes, le cortex préfrontal apprend à mieux calmer les réactions de panique de l’amygdale.
Sur le plan neurochimique, plusieurs neurotransmetteurs sont impliqués :
- La dopamine est souvent associée au circuit de la récompense et de la motivation. Elle est libérée non seulement lors de l’atteinte d’un objectif, mais aussi durant sa poursuite, ce qui renforce les comportements orientés vers un but (la dimension “Accomplissement” du modèle PERMA).
- La sérotonine joue un rôle clé dans la régulation de l’humeur. De faibles niveaux sont liés à la dépression et à l’anxiété. Des activités comme l’exposition à la lumière du soleil, l’exercice physique et une alimentation saine, souvent promues comme des habitudes de vie positives, peuvent influencer positivement les niveaux de sérotonine.
- L’ocytocine, souvent surnommée “l’hormone de l’attachement”, est libérée lors des interactions sociales positives, du contact physique et des actes de confiance. Elle renforce les liens sociaux (“Relations Positives”) et diminue les réponses au stress en inhibant l’activité de l’amygdale.
- Les endorphines sont des opioïdes endogènes qui agissent comme des analgésiques naturels et procurent une sensation d’euphorie, notamment après un exercice physique intense (“runner’s high”).
Ainsi, les techniques de la psychologie positive ne sont pas de simples vœux pieux. Elles constituent une forme d’entraînement neurocognitif qui, par la répétition, sculpte littéralement notre cerveau pour en faire un organe plus résilient, plus régulé et plus apte à l’épanouissement.
C. La gratitude et la pleine conscience : piliers de l’attention régulée
Parmi l’arsenal d’interventions positives, la gratitude et la pleine conscience se distinguent par la robustesse des preuves scientifiques qui soutiennent leur efficacité. Elles partagent un mécanisme commun : l’entraînement de l’attention.
La gratitude est bien plus qu’une simple politesse. D’un point de vue psychologique, c’est une orientation cognitive qui consiste à reconnaître et à apprécier les bienfaits dans sa vie. Elle déplace le focus attentionnel de ce qui manque (le déficit) vers ce qui est présent (l’abondance). Ce simple changement de perspective a des effets profonds. Robert Emmons et Michael McCullough, pionniers dans ce domaine, ont montré que la pratique régulière de la gratitude est associée à une augmentation des émotions positives, de l’optimisme, une meilleure qualité de sommeil, une plus grande propension à aider les autres et même une réduction des symptômes physiques.
- Technique du “Journal de gratitude” : L’exercice le plus étudié consiste à consacrer quelques minutes, plusieurs fois par semaine, à noter trois à cinq choses pour lesquelles on est reconnaissant. L’important est d’être spécifique et de se connecter à l’émotion ressentie. Plutôt que d’écrire “je suis reconnaissant pour ma famille”, il est plus efficace d’écrire “je suis reconnaissant pour le moment où mon partenaire a préparé mon café ce matin, car cela m’a fait me sentir aimé et soutenu”. Cette spécificité active plus intensément les circuits neuronaux de la récompense et de l’affiliation sociale.
- Technique des “Trois bonnes choses” (Three Good Things) : Une variante développée par Seligman consiste à noter chaque soir trois choses qui se sont bien passées dans la journée et à analyser brièvement notre propre rôle dans leur survenue. Cet ajout “causal” renforce le sentiment d’auto-efficacité et contrecarre les biais de négativité qui nous poussent à nous focaliser sur les échecs.
La pleine conscience (Mindfulness) est la pratique consistant à porter intentionnellement son attention sur le moment présent, sans jugement. Issue des traditions contemplatives bouddhistes, elle a été sécularisée et intégrée dans des protocoles cliniques comme le MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) de Jon Kabat-Zinn. La pleine conscience n’est pas la relaxation ou le fait de vider son esprit. C’est un entraînement à l’observation de nos pensées, émotions et sensations corporelles comme des événements mentaux transitoires, plutôt que comme des vérités absolues sur nous-mêmes ou sur le monde.
- Mécanisme d’action : La pleine conscience agit principalement en découplant la conscience de la rumination. La rumination, cette tendance à ressasser en boucle des pensées négatives, est un facteur de risque majeur pour la dépression. En observant nos pensées sans s’y identifier, nous créons un espace mental qui nous permet de ne pas être emporté par elles. Cela renforce le contrôle attentionnel et la régulation émotionnelle.
- Technique du “Scan corporel” (Body Scan) : Cet exercice consiste à porter son attention séquentiellement sur différentes parties du corps, en observant les sensations présentes (chaleur, picotements, contact) sans chercher à les modifier. Il ancre l’attention dans le présent et développe une conscience corporelle fine.
- Technique de la “Respiration consciente” : L’exercice fondamental est de se concentrer sur les sensations de la respiration (l’air qui entre dans les narines, le soulèvement de l’abdomen). Chaque fois que l’esprit s’égare, l’instruction est de le ramener doucement, sans jugement, à l’ancre de la respiration. Cet acte de ramener l’attention est l’équivalent d’une “répétition” en musculation pour le “muscle” de l’attention.
La gratitude et la pleine conscience sont complémentaires : la gratitude oriente l’attention vers le contenu positif de l’expérience, tandis que la pleine conscience affine le processus même de l’attention, quelle que soit la nature de l’expérience.
D. La puissance des forces de caractère et de l’engagement
Au-delà des interventions ponctuelles, la psychologie positive propose une approche plus intégrée de l’épanouissement, centrée sur l’identification et l’utilisation de nos qualités fondamentales : les forces de caractère. Parallèlement, elle met en lumière l’importance de l’engagement total dans nos activités, à travers le concept de Flow.
Christopher Peterson et Martin Seligman ont mené un projet colossal pour créer une classification des forces et vertus humaines, le VIA (Values in Action) Inventory of Strengths. À l’instar du DSM pour les troubles mentaux, le VIA se veut une “classification de ce qui va bien” chez l’être humain. Ils ont identifié 24 forces de caractère universelles, regroupées en six vertus :
- Sagesse et connaissance (créativité, curiosité, jugement, amour de l’apprentissage, perspective)
- Courage (bravoure, persévérance, honnêteté, vitalité)
- Humanité (amour, gentillesse, intelligence sociale)
- Justice (citoyenneté, équité, leadership)
- Tempérance (pardon, humilité, prudence, autorégulation)
- Transcendance (appréciation de la beauté, gratitude, espoir, humour, spiritualité)
La théorie suggère que chaque individu possède un profil unique de ces forces, avec quelques-unes, appelées “forces signatures”, qui sont particulièrement centrales à son identité, énergisantes et naturelles à utiliser. La recherche a montré que l’utilisation consciente de ses forces signatures dans de nouveaux contextes (au travail, dans les relations, dans les loisirs) est l’une des interventions les plus efficaces pour augmenter durablement le bonheur et réduire les symptômes dépressifs.
- Identification et application : La première étape est d’identifier ses forces, souvent via le questionnaire VIA en ligne. La seconde, plus cruciale, est de concevoir activement des manières de les déployer. Une personne dont la force signature est la “curiosité” pourrait s’engager à explorer un nouveau quartier de sa ville chaque semaine. Une personne forte en “gentillesse” pourrait planifier un acte de bonté anonyme chaque jour. Cette approche est personnalisée et intrinsèquement motivante.
L’utilisation de ses forces est un excellent moyen de faciliter l’état d’engagement ou de Flow. Comme mentionné précédemment, le Flow est cet état d’immersion où l’on est “dans la zone”. Selon Csikszentmihalyi, le Flow survient lorsque trois conditions sont réunies :
- Des objectifs clairs et une progression définie.
- Un feedback immédiat qui permet d’ajuster sa performance.
- Un équilibre entre le défi perçu et les compétences perçues. Si le défi est trop grand, il génère de l’anxiété ; s’il est trop faible, il mène à l’ennui.
Le Flow est une source majeure de bien-être eudaimonique. Les activités qui le génèrent sont souvent exigeantes et demandent un effort, mais la satisfaction qui en découle est profonde et durable. En utilisant nos forces signatures, nous augmentons nos compétences dans des domaines qui nous sont naturels, ce qui nous permet de relever des défis de plus en plus grands et d’atteindre le Flow plus fréquemment. Une personne créative trouvera le Flow dans la peinture, un leader dans la gestion d’un projet complexe. L’ingénierie du bien-être consiste donc en partie à structurer sa vie (professionnelle et personnelle) de manière à maximiser les opportunités de Flow en alignant ses activités avec ses forces.
E. L’architecture des relations positives et la quête de sens
Les deux derniers piliers du modèle PERMA, les relations et le sens, nous rappellent que l’épanouissement n’est pas une quête solitaire. Il est profondément ancré dans notre connexion aux autres et à une cause qui nous transcende.
La recherche est sans équivoque : les relations sociales de qualité sont la pierre angulaire du bonheur, de la santé et de la longévité. L’étude longitudinale de Harvard sur le développement des adultes, qui suit des hommes depuis près de 80 ans, a conclu que le principal prédicteur d’une vie heureuse et saine n’était ni la richesse, ni la célébrité, ni le cholestérol à 50 ans, mais la qualité des relations proches.
La psychologie positive ne se contente pas de ce constat ; elle explore les comportements spécifiques qui nourrissent ces relations. L’une des techniques les plus puissantes est la Réponse Active et Constructive (Active-Constructive Responding - ACR), développée par Shelly Gable. Face à une bonne nouvelle partagée par un proche, il existe quatre manières de réagir :
- Active-Constructive (AC) : Enthousiaste, curieux, engageant. (“C’est une nouvelle fantastique ! Raconte-moi exactement comment ça s’est passé. Qu’as-tu ressenti ?”). Cette réponse amplifie la joie de l’autre et renforce le lien.
- Passive-Constructive (PC) : Soutien discret, peu engagé. (“Ah, c’est bien.”).
- Active-Destructive (AD) : Pointant les aspects négatifs ou les problèmes potentiels. (“Tu as eu une promotion ? Tu vas avoir encore plus de travail et de stress.”).
- Passive-Destructive (PD) : Ignorant ou changeant de sujet. (“Cool. Au fait, tu as vu le match hier soir ?”).
La recherche de Gable montre que seule la réponse AC est corrélée à une augmentation de la satisfaction relationnelle, de l’intimité et de la confiance. S’entraîner à répondre de manière active et constructive aux succès de nos proches est un investissement direct dans notre capital social et, par conséquent, dans notre propre bien-être.
La quête de sens est la composante la plus existentielle de l’épanouissement. Il ne s’agit pas de trouver “le” sens de la vie, mais de construire “un” sens à sa propre vie. Cela implique de connecter ses actions quotidiennes à des valeurs ou des objectifs plus larges. Viktor Frankl, psychiatre survivant de l’Holocauste, a soutenu dans son ouvrage “Découvrir un sens à sa vie” que la volonté de sens est la motivation la plus fondamentale de l’être humain.
Le sens peut être cultivé de plusieurs manières :
- L’altruisme et la contribution : Les actes d’aide désintéressée activent les centres du plaisir dans le cerveau et génèrent un sentiment de connexion et d’utilité. Consacrer du temps à une cause bénévole ou simplement aider un voisin peut être une source puissante de sens.
- La narration de soi : Développer un récit cohérent de sa propre vie, qui intègre les épreuves comme des opportunités de croissance et les succès comme des étapes vers un objectif plus grand, peut donner un sens rétrospectif et prospectif à son existence.
- La transcendance : Expériences d’émerveillement face à la nature, à l’art, ou expériences spirituelles qui nous font nous sentir connectés à quelque chose de vaste et de permanent. Ces moments peuvent recadrer nos préoccupations quotidiennes et renforcer notre sentiment d’appartenance à un tout plus grand.
F. L’optimisme appris et le renforcement de la résilience
La manière dont nous interprétons les événements de notre vie – notre “style explicatif” – est un déterminant majeur de notre capacité à surmonter l’adversité. Martin Seligman a fondé ses premiers travaux sur le concept d’impuissance apprise (learned helplessness), l’état dans lequel un individu, après avoir été exposé à des événements négatifs incontrôlables, finit par se comporter passivement même lorsque des opportunités d’action se présentent. Il a ensuite transposé ce modèle pour développer le concept d’optimisme appris.
L’optimisme n’est pas une tendance innée à voir la vie en rose, mais une compétence cognitive qui peut être développée. La différence fondamentale entre optimistes et pessimistes réside dans leur manière d’expliquer les causes des événements, bons ou mauvais, selon trois axes :
- Permanence : Les pessimistes voient les causes des événements négatifs comme permanentes (“Je ne réussirai jamais cet examen”) et celles des événements positifs comme temporaires (“J’ai eu de la chance cette fois-ci”). Les optimistes font l’inverse.
- Pervasivité : Les pessimistes généralisent un échec à tous les domaines de leur vie (universel : “Je suis nul en tout”). Les optimistes le cantonnent au domaine spécifique où il s’est produit (“Je ne suis pas bon en mathématiques”).
- Personnalisation : Les pessimistes internalisent les échecs (“C’est ma faute”) et externalisent les succès (“C’était facile”). Les optimistes internalisent les succès (“Mes efforts ont payé”) et externalisent les échecs, ou du moins analysent les facteurs externes de manière réaliste.
Pour modifier ce style explicatif, Seligman propose le modèle ABCDE :
- A - Adversity (Adversité) : Décrire l’événement objectivement.
- B - Beliefs (Croyances) : Identifier les pensées et interprétations automatiques qui surgissent.
- C - Consequences (Conséquences) : Noter les émotions et les comportements qui découlent de ces croyances.
- D - Disputation (Dispute) : C’est l’étape cruciale. Contester activement les croyances pessimistes en cherchant des preuves contraires (Evidence), des alternatives (Alternatives), des implications moins catastrophiques (Implications) et l’utilité de la croyance (Usefulness).
- E - Energization (Énergisation) : Observer comment la dispute efficace des croyances modifie les émotions et motive à l’action.
Ce modèle est un outil puissant de restructuration cognitive qui permet de construire une résilience psychologique. La résilience n’est pas l’invulnérabilité au stress, mais la capacité à rebondir après une épreuve, voire à en sortir grandi (ce que l’on nomme la croissance post-traumatique). Elle n’est pas un trait fixe, mais un processus dynamique qui s’appuie sur l’ensemble des ressources que nous avons explorées : un style explicatif optimiste, des émotions positives pour élargir nos perspectives, des relations sociales solides pour le soutien, un sens pour guider nos actions, et la pleine conscience pour réguler notre réponse au stress.
G. Limites, nuances et perspectives critiques
Aucun champ scientifique n’est exempt de critiques, et une analyse rigoureuse de la psychologie positive se doit de les intégrer. L’une des critiques les plus pertinentes est le risque de la “tyrannie du bonheur” ou de la “positivité toxique”. Dans une culture qui survalorise le bonheur, les individus peuvent ressentir une pression à être heureux, ce qui peut paradoxalement générer de la culpabilité ou un sentiment d’échec lorsqu’ils éprouvent des émotions négatives pourtant normales et saines. Il est essentiel de rappeler que la psychologie positive vise l’authenticité émotionnelle, ce qui inclut l’acceptation de la tristesse, de la colère ou de la peur comme des réponses appropriées à certaines situations.
Une autre critique concerne le biais culturel. De nombreux concepts fondateurs de la psychologie positive ont été développés dans des contextes occidentaux, individualistes. La définition du bonheur, l’importance de l’accomplissement personnel ou l’expression des émotions peuvent varier considérablement dans les cultures collectivistes, où l’harmonie du groupe ou l’interdépendance peuvent être des valeurs plus centrales. La recherche s’oriente de plus en plus vers une compréhension plus nuancée et culturellement sensible du bien-être.
Sur le plan méthodologique, le champ a parfois été critiqué pour sa dépendance excessive aux mesures auto-rapportées (questionnaires), qui peuvent être sujettes à des biais de désirabilité sociale. Cependant, la discipline intègre de plus en plus des mesures objectives, comme les indicateurs physiologiques, l’imagerie cérébrale, les analyses de comportement et les rapports d’informateurs externes, renforçant ainsi la validité de ses conclusions.
Enfin, il faut se garder de considérer la psychologie positive comme une panacée. Elle ne remplace pas les traitements cliniques nécessaires pour les troubles mentaux sévères. Elle offre plutôt un cadre de prévention et d’optimisation du fonctionnement humain pour la population générale et peut servir de complément précieux aux thérapies traditionnelles.
Conclusion
La psychologie positive représente une évolution paradigmatique majeure, déplaçant le focus de la simple étude de la maladie mentale vers une exploration scientifique rigoureuse des conditions de l’épanouissement humain. Loin d’être une collection de recettes simplistes pour “penser positif”, elle propose un cadre théorique robuste, le modèle PERMA, et des interventions validées par la recherche qui agissent à des niveaux cognitifs, comportementaux et même neurobiologiques.
Les techniques explorées – de la pratique de la gratitude et de la pleine conscience à l’utilisation des forces de caractère, en passant par l’optimisation des relations et la quête de sens – ne sont pas des solutions miracles mais des compétences qui se cultivent avec discipline et intentionnalité. Elles constituent une forme d’ingénierie personnelle du bien-être, une démarche proactive pour sculpter notre attention, nos habitudes de pensée et nos comportements afin de construire un capital psychologique solide. Ce capital ne nous rend pas invulnérables aux tempêtes de la vie, mais il nous équipe d’une ancre plus profonde et de voiles plus solides pour y naviguer. En fin de compte, la psychologie positive nous invite à devenir les architectes conscients de notre propre bien-être, en nous rappelant que si la quête du bonheur est ancienne, les outils scientifiques pour la mener n’ont jamais été aussi accessibles.
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