Quelles sont les effets de la méditation et de la pleine conscience sur le cerveau ?
Il fut un temps où le dialogue entre la sagesse contemplative et la science empirique relevait de la fiction. La méditation, perçue comme une pratique ésotérique confinée aux monastères de l’Himalaya ou aux cercles spirituels, semblait irréductible à l’analyse objective, au scalpel du neuroscientifique. L’esprit, dans cette tradition, était une entité à explorer par l’introspection subjective, tandis que le cerveau était, pour la science, un organe complexe, une machinerie biochimique à disséquer. L’idée qu’une simple instruction – porter son attention sur le souffle, observer ses pensées sans jugement – puisse sculpter de manière tangible et mesurable cette masse de trois livres de matière grise semblait, au mieux, une métaphore poétique.
Pourtant, au cours des deux dernières décennies, ce qui était autrefois un gouffre conceptuel est devenu un pont, l’un des domaines les plus fertiles de la recherche en neurosciences cognitives. L’avènement de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), de l’électroencéphalographie (EEG) à haute densité et d’autres outils de neuro-imagerie a permis de traduire l’expérience subjective du méditant en données quantifiables. Nous ne nous demandons plus si la méditation modifie le cerveau, mais comment, à quel point, et par quels mécanismes précis.
Cet article se propose de dépasser les affirmations superficielles pour plonger au cœur de la science. Nous n’explorerons pas la méditation comme une panacée, mais comme un entraînement mental dont les effets neuroplastiques commencent à être cartographiés avec une rigueur croissante. En examinant les modifications structurelles et fonctionnelles du cerveau, en disséquant les mécanismes neurobiologiques sous-jacents et en évaluant ses applications cliniques validées, nous chercherons à comprendre comment une pratique millénaire est en train de redéfinir les frontières de la psychologie, de la médecine et de notre compréhension de la conscience elle-même. Il s’agit d’un voyage au confluent de l’expérience vécue et de la neurobiologie, là où l’observation silencieuse de l’esprit se révèle être une force active de transformation cérébrale.
A. Fondements Neurobiologiques : Les Réseaux Cérébraux Clés en Jeu
Avant d’analyser les changements induits par la méditation, il est impératif de comprendre l’architecture fonctionnelle de base du cerveau sur laquelle elle agit. La pensée, l’émotion et l’attention ne sont pas les produits de régions cérébrales isolées, mais de l’interaction dynamique entre de vastes réseaux neuronaux. Trois de ces réseaux sont particulièrement pertinents pour notre sujet.
Le Réseau du Mode par Défaut (RMD)
Le Réseau du Mode par Défaut (Default Mode Network, DMN) est sans doute le plus fascinant. Il est le plus actif lorsque nous sommes au repos, que notre esprit vagabonde, que nous nous perdons dans nos pensées, que nous ruminons sur le passé ou que nous planifions l’avenir. Ses principaux hubs incluent le cortex préfrontal médian, le cortex cingulaire postérieur et le précunéus. Le RMD est le substrat neuronal de la pensée auto-référentielle, de la narration de soi (“qui suis-je”, “ce qui m’est arrivé”). Une hyperactivité ou une connectivité aberrante au sein de ce réseau est fortement associée à des conditions comme la dépression (ruminations négatives) et l’anxiété (inquiétudes excessives). En somme, le RMD est le théâtre du “bruit mental” que la méditation de pleine conscience cherche précisément à apaiser.
Le Réseau de la Saillance (RS)
Le Réseau de la Saillance (Salience Network, SN) agit comme un système de détection et d’orientation. Ses composants essentiels sont l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur. Son rôle est de filtrer en permanence les stimuli internes (sensations corporelles, émotions) et externes pour identifier ce qui est “saillant”, c’est-à-dire ce qui est pertinent ou important à un instant T. Une fois qu’un stimulus saillant est détecté, le RS joue un rôle de commutateur : il désengage le RMD (le mode “pensée errante”) et engage le Réseau Exécutif Central pour traiter l’information pertinente. La capacité à détecter une sensation corporelle (comme le contact de l’air sur les narines) et à y maintenir son attention est donc directement médiée par ce réseau. L’insula, en particulier, est le siège de l’intéroception – la perception consciente de l’état physiologique interne du corps.
Le Réseau Exécutif Central (REC)
Le Réseau Exécutif Central (Central Executive Network, CEN), également appelé réseau fronto-pariétal, est le siège des fonctions cognitives supérieures. Ancré dans le cortex préfrontal dorsolatéral et le cortex pariétal postérieur, il est activé lors de tâches exigeant une attention soutenue, la planification, la prise de décision et la résolution de problèmes. C’est le réseau du “travail mental” focalisé. Lorsque nous décidons de maintenir notre attention sur le souffle et que nous la ramenons délibérément à chaque fois qu’elle s’égare, c’est le REC qui est aux commandes.
La dynamique entre ces trois réseaux est cruciale. Chez un individu non entraîné, il existe souvent une relation d’opposition (anti-corrélation) entre le RMD et le REC : lorsque l’un est actif, l’autre est désactivé. Le vagabondage mental (RMD) prend souvent le dessus sur l’attention focalisée (REC). L’un des effets fondamentaux de la méditation, comme nous le verrons, est de moduler ces interactions, en renforçant la capacité du Réseau de la Saillance à détecter les distractions et celle du Réseau Exécutif Central à maintenir le cap attentionnel, tout en réduisant l’emprise du Réseau du Mode par Défaut.
B. Modifications Structurelles du Cerveau : La Neuroplasticité à l’Œuvre
L’idée que le cerveau adulte est une structure figée a été démentie par le concept de neuroplasticité. La méditation de pleine conscience se révèle être un puissant inducteur de cette plasticité, entraînant des modifications anatomiques mesurables, notamment au niveau de la densité de la matière grise.
Augmentation de la Densité de Matière Grise
Plusieurs études longitudinales, comparant des participants avant et après un programme de méditation de huit semaines (comme le programme MBSR, Mindfulness-Based Stress Reduction), ont mis en évidence des augmentations significatives de la densité de matière grise dans des régions cérébrales clés :
- L’hippocampe gauche : Cette structure, cruciale pour l’apprentissage, la mémoire et la régulation émotionnelle, montre un épaississement notable chez les méditants. Cette densification est corrélée à une amélioration des capacités de régulation de l’affect et à une diminution du stress perçu. Sachant que le stress chronique et la dépression sont associés à une atrophie de l’hippocampe, cet effet est d’une importance clinique capitale.
- Le cortex cingulaire postérieur et le précunéus : Ces régions, hubs centraux du RMD, montrent également un épaississement. Cela peut sembler contre-intuitif, mais une hypothèse est que cette augmentation de matière grise ne reflète pas une hyperactivité, mais plutôt une meilleure capacité de régulation et de conscience de l’activité de ce réseau. Le méditant devient plus apte à “observer” son propre vagabondage mental sans s’y identifier.
- La jonction temporo-pariétale (JTP) : Cette zone est fortement impliquée dans la prise de perspective, l’empathie et la compassion. Son renforcement structurel chez les méditants est cohérent avec les qualités prosociales que ces pratiques visent à cultiver.
- Le tronc cérébral (notamment au niveau du pont) : Cette région est fondamentale pour la production de neurotransmetteurs régulateurs comme la sérotonine et la noradrénaline, essentiels pour l’humeur et l’éveil. L’augmentation de la matière grise dans cette zone suggère un mécanisme de régulation “ascendant” (bottom-up) amélioré.
Diminution de la Densité de Matière Grise
Inversement, une structure montre une tendance à la réduction de volume suite à un entraînement à la pleine conscience :
- L’amygdale droite : L’amygdale est le centre de détection des menaces et le déclencheur de la réponse de peur et de stress (la réaction de “lutte ou fuite”). Des études ont montré une diminution de la densité de matière grise dans l’amygdale droite chez les participants à un programme MBSR. De manière cruciale, cette réduction structurelle était corrélée à la diminution du stress perçu rapporté par les participants. Cela ne signifie pas que l’amygdale devient “incompétente” ; cela suggère plutôt une réactivité moins automatique et plus régulée face aux stresseurs. La menace est perçue, mais la réaction en cascade est moins intense et mieux contrôlée.
Ces changements structurels ne sont pas anodins. Ils démontrent qu’un entraînement purement mental, sans interaction physique avec l’environnement, est capable de réorganiser physiquement l’architecture du cerveau. La pratique répétée de l’attention et de la régulation émotionnelle renforce les substrats neuronaux correspondants, de la même manière que l’exercice physique renforce les muscles.
C. Altérations Fonctionnelles : Réseaux Cérébraux et Connectivité
Au-delà des changements anatomiques, la méditation modifie profondément la manière dont les différentes régions du cerveau communiquent entre elles. Ces altérations de la connectivité fonctionnelle sont peut-être encore plus significatives que les changements structurels.
La Domestication du Réseau du Mode par Défaut (RMD)
L’un des résultats les plus constants de la recherche est la modulation du RMD par la méditation. Chez les méditants expérimentés, on observe une diminution de l’activité de base du RMD au repos. Leur esprit est intrinsèquement moins enclin au vagabondage et à la rumination.
Plus subtilement, la connectivité au sein du RMD change. Les liens entre ses principaux hubs (cortex préfrontal médian et cortex cingulaire postérieur) s’affaiblissent. Cela se traduit subjectivement par une pensée auto-référentielle moins “rigide” et moins “collante”. Le flux de pensées sur soi devient moins compulsif.
De plus, la méditation renforce la connectivité fonctionnelle entre le RMD et les réseaux de contrôle attentionnel (comme le REC). Cela signifie que lorsque le vagabondage mental commence, le cerveau est plus apte à le détecter et à désengager le RMD pour revenir à la tâche ou à l’objet d’attention (le souffle). L’anti-corrélation stricte entre RMD et REC s’assouplit, laissant place à une interaction plus flexible et consciente.
2. Renforcement du Réseau de la Saillance et du Contrôle Exécutif
La pratique de la pleine conscience est un entraînement direct pour le Réseau de la Saillance et le Réseau Exécutif Central.
- Activité accrue de l’insula et du cortex cingulaire antérieur (RS) : Pendant la méditation, ces régions sont particulièrement actives. Les méditants développent une conscience intéroceptive accrue, une capacité à ressentir les signaux corporels subtils avec plus de clarté et moins de jugement. Cette sensibilité améliorée permet une détection plus rapide des états émotionnels émergents, offrant une fenêtre d’opportunité pour les réguler avant qu’ils ne deviennent envahissants.
- Connectivité renforcée entre le RS et le REC : La méditation renforce le couplage fonctionnel entre le réseau qui détecte la saillance (RS) et celui qui dirige l’attention (REC). Concrètement, cela se traduit par une meilleure capacité à rester focalisé. Quand une distraction apparaît (un son, une pensée), le RS la signale efficacement et le REC peut prendre la décision exécutive de ne pas la suivre et de revenir à l’ancre de l’attention.
La Reconfiguration de la Réponse au Stress
La diminution de la taille de l’amygdale (vue précédemment) s’accompagne de changements fonctionnels profonds. Chez les non-méditants, l’amygdale a une forte connectivité avec le cortex préfrontal médian, ce qui peut amplifier la signification auto-référentielle d’un stresseur (“cette situation est une menace pour moi”).
Chez les méditants, on observe un découplage relatif entre l’amygdale et ces zones auto-référentielles. À l’inverse, on constate un renforcement de la connectivité entre l’amygdale et les régions du cortex préfrontal impliquées dans la régulation émotionnelle (comme le cortex préfrontal ventromédian et dorsolatéral). Le résultat est une réponse au stress “de haut en bas” (top-down) plus efficace. Le cortex préfrontal, agissant comme un “adulte dans la pièce”, peut moduler l’activité de l’amygdale, permettant une réévaluation plus rationnelle et moins réactive de la situation. Le signal de stress est toujours reçu, mais il est traité de manière plus adaptative.
D. Les Mécanismes d’Action : De la Molécule à la Cognition
Comment ces changements macroscopiques (structurels et fonctionnels) se produisent-ils ? La recherche commence à éclairer les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents.
Modulation Neurochimique
La méditation semble influencer l’équilibre des neurotransmetteurs. Des études utilisant la spectroscopie par résonance magnétique ont suggéré des augmentations des niveaux de GABA (acide gamma-aminobutyrique) dans certaines régions cérébrales après des séances de méditation. Le GABA est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central ; son augmentation favorise un état de calme et une réduction de l’excitabilité neuronale, contrecarrant l’anxiété. D’autres recherches pointent vers une modulation des systèmes sérotoninergique et dopaminergique, cruciaux pour la régulation de l’humeur et de la motivation.
Réduction de l’Inflammation
Le stress psychologique chronique est un puissant inducteur de l’inflammation de bas grade, un facteur de risque pour de nombreuses maladies, y compris la dépression et les maladies cardiovasculaires. Le stress active l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) et le système nerveux sympathique, qui à leur tour stimulent la production de cytokines pro-inflammatoires.
Des essais contrôlés randomisés ont montré que les programmes de méditation de pleine conscience peuvent réduire de manière significative les marqueurs de l’inflammation dans le sang, comme la protéine C-réactive (CRP) et l’interleukine 6 (IL-6). Il a été démontré que la pratique de la pleine conscience peut même influencer l’expression des gènes liés à l’inflammation, en “éteignant” les gènes pro-inflammatoires et en “allumant” ceux liés à la réponse immunitaire adaptative. Ce mécanisme pourrait expliquer une partie des bénéfices de la méditation sur la santé physique et mentale.
Impact sur le Vieillissement Cellulaire
Une piste de recherche fascinante concerne l’effet de la méditation sur les télomères. Les télomères sont des capuchons protecteurs à l’extrémité de nos chromosomes, qui raccourcissent à chaque division cellulaire. Leur longueur est considérée comme un marqueur du vieillissement biologique. Le stress chronique est connu pour accélérer le raccourcissement des télomères via l’enzyme télomérase.
Plusieurs études ont suggéré que la pratique intensive de la méditation est associée à une activité accrue de la télomérase et à des télomères plus longs par rapport à des groupes contrôles. Bien que ce domaine de recherche soit encore émergent et nécessite des études plus vastes, il ouvre une perspective stupéfiante : un entraînement mental pourrait potentiellement ralentir le processus de vieillissement au niveau cellulaire, en tamponnant les effets délétères du stress psychologique.
E. Applications Cliniques : De la Prévention à la Thérapie
La compréhension de ces mécanismes neurobiologiques a permis le développement et la validation d’interventions cliniques structurées basées sur la pleine conscience.
1. Le Trouble Dépressif Majeur et la Prévention de la Rechute
La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Cognitive Therapy, MBCT) a été spécifiquement conçue pour prévenir la rechute dépressive. Elle combine des éléments de thérapie cognitive avec des pratiques de méditation de pleine conscience. Son efficacité est aujourd’hui solidement établie, se montrant aussi efficace que les antidépresseurs de maintenance pour prévenir les rechutes chez les patients ayant connu plusieurs épisodes dépressifs.
Le mécanisme neurobiologique proposé est double. Premièrement, en désactivant le RMD et en réduisant la rumination, la MBCT brise le cycle de pensées négatives auto-entretenues qui est au cœur de la dépression. Deuxièmement, en renforçant l’intéroception (via l’insula), elle permet aux patients de reconnaître les premiers signes de tristesse ou de fatigue non pas comme le début inévitable d’une dépression, mais comme des sensations corporelles passagères, qu’ils peuvent observer sans s’y identifier et sans réactiver les schémas cognitifs dépressifs.
Les Troubles Anxieux
Les programmes comme le MBSR se sont révélés efficaces pour réduire les symptômes du trouble d’anxiété généralisée, du trouble panique et de l’anxiété sociale. Les mécanismes impliqués sont directement liés à ce que nous avons décrit : la réduction de l’activité de l’amygdale, le renforcement du contrôle préfrontal sur celle-ci, et la diminution de l’activité du RMD (qui alimente les inquiétudes anxieuses). En apprenant à porter une attention non jugeante à leurs sensations corporelles (palpitations, souffle court), les patients apprennent à ne pas interpréter ces signaux comme catastrophiques, désamorçant ainsi la crise de panique avant qu’elle ne s’emballe.
La Gestion de la Douleur Chronique
La méditation de pleine conscience ne réduit pas nécessairement l’intensité du signal nociceptif (le signal de douleur brut), mais elle modifie radicalement la relation du patient à sa douleur. La douleur a deux composantes : une composante sensorielle (“ça fait mal à tel endroit”) et une composante affective/cognitive (“cette douleur est insupportable, elle ne partira jamais, elle ruine ma vie”).
Des études de neuro-imagerie ont montré que la méditation de pleine conscience réduit l’activation des régions cérébrales associées à la composante affective de la douleur (comme le cortex préfrontal) tout en maintenant, voire en augmentant, l’activation des régions sensorielles primaires. Les méditants ressentent la sensation brute avec plus de clarté, mais sans la couche de souffrance psychologique et de catastrophisme qui l’accompagne habituellement. Ce “découplage” entre sensation et souffrance est un mécanisme thérapeutique puissant.
Les Troubles liés à l’Usage de Substances
La pleine conscience est de plus en plus intégrée dans les traitements de l’addiction. Le “craving” (l’envie irrépressible de consommer) est un état qui implique une forte activation du système de récompense et une diminution du contrôle exécutif. Les interventions basées sur la pleine conscience visent à entraîner les patients à observer l’émergence du craving comme une vague de sensations et de pensées, sans y réagir automatiquement. En renforçant le REC et le RS, la méditation donne au patient la capacité de “surfer sur la vague” du craving plutôt que de s’y noyer, lui donnant le temps de faire un choix délibéré plutôt que de céder à l’impulsion.
F. Limites, Controverses et Perspectives d’Avenir
Malgré l’enthousiasme, une approche scientifique rigoureuse impose de reconnaître les limites de la recherche actuelle.
Défis Méthodologiques
De nombreuses études initiales souffraient de petites tailles d’échantillon, de l’absence de groupes de contrôle actifs (comparer la méditation à une activité relaxante mais non méditative, comme écouter de la musique ou faire une promenade) et d’un biais de publication potentiel (les études montrant des effets positifs sont plus susceptibles d’être publiées). De plus, l’hétérogénéité des pratiques de méditation rend les comparaisons difficiles. Les résultats d’une pratique de concentration focalisée peuvent différer de ceux d’une pratique de “monitoring ouvert” ou d’une méditation sur la compassion.
Le Risque de la Sur-simplification
La popularisation de la pleine conscience a parfois conduit à une vision réductrice, la présentant comme une solution miracle à tous les maux. Il est crucial de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une pratique passive de relaxation, mais d’un entraînement mental exigeant. De plus, pour certaines personnes, notamment celles souffrant de traumatismes non résolus, une confrontation non encadrée avec leurs pensées et sensations internes peut être déstabilisante, voire nocive. L’encadrement par un instructeur qualifié est fondamental, surtout dans un contexte clinique.
Perspectives d’Avenir
L’avenir de la recherche se dirige vers une plus grande personnalisation. L’idée de “neuro-marqueurs” prédictifs gagne du terrain : pourrait-on, à partir d’un scan cérébral initial, prédire quel type de pratique méditative sera le plus bénéfique pour un individu donné en fonction de son profil de connectivité cérébrale ?
L’intégration avec d’autres technologies est également prometteuse. Le neurofeedback en temps réel, où un individu peut voir une représentation de sa propre activité cérébrale (par EEG ou IRMf) et apprendre à la moduler, pourrait accélérer l’apprentissage des états méditatifs.
Enfin, la recherche se penche de plus en plus sur les effets des pratiques de compassion et d’amour bienveillant, qui semblent activer des circuits neuronaux distincts, notamment ceux liés à l’affiliation sociale et au système de récompense (par exemple, le striatum ventral), ouvrant de nouvelles voies pour traiter des problématiques comme l’isolement social et l’agressivité.
Conclusion
Le passage de la méditation du domaine de la foi à celui du fait scientifique représente une révolution tranquille dans notre compréhension de l’interaction corps-esprit. Les données accumulées au cours des dernières années sont convergentes et convaincantes : la pratique régulière d’un entraînement attentionnel et émotionnel induit une neuroplasticité structurelle et fonctionnelle quantifiable. Le cerveau n’est pas une entité statique qui subit passivement l’expérience ; il est activement et continuellement modelé par la qualité de notre attention et de notre intention.
Nous avons vu que la méditation peut remodeler des régions cérébrales clés comme l’hippocampe et l’amygdale, reconfigurer la dynamique des grands réseaux neuronaux qui sous-tendent notre vie mentale, et même influencer les processus biologiques fondamentaux comme l’inflammation et le vieillissement cellulaire. Ces découvertes ne valident pas seulement une pratique ancienne ; elles ouvrent des horizons thérapeutiques immenses pour des pathologies allant de la dépression à la douleur chronique.
Cependant, la rigueur scientifique nous commande de rester prudents. La science de la méditation est une discipline jeune, et nous ne faisons qu’effleurer la surface de sa complexité. Loin d’être une solution magique, la méditation est un outil puissant dont l’efficacité dépend du contexte, de l’individu et de la qualité de l’enseignement. L’enjeu futur sera de raffiner notre compréhension pour passer d’une approche “taille unique” à des interventions personnalisées et ciblées, fondées sur une cartographie précise du cerveau de chaque individu. Le dialogue entre la contemplation millénaire et la neuroscience du XXIe siècle ne fait que commencer, et il promet de transformer non seulement la manière dont nous traitons les maladies de l’esprit, mais aussi la manière dont nous concevons la santé, le bien-être et le potentiel humain.
Les sources :
Brewer, J. A., Worhunsky, P. D., Gray, J. R., Tang, Y.-Y., Weber, J., & Kober, H. (2011). Meditation experience is associated with differences in default mode network activity and connectivity. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(50), 20254–20259. https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1112029108
Creswell, J. D., Taren, A. A., Lindsay, E. K., & Greco, C. M. (2017). Alterations in resting-state functional connectivity link mindfulness meditation with reduced loneliness. Social Cognitive and Affective Neuroscience, 12(12), 1903–1912. https://academic.oup.com/scan/article/12/12/1903/4096001
Davidson, R. J., & Kaszniak, A. W. (2015). Conceptual and methodological issues in research on mindfulness and meditation. American Psychologist, 70(7), 581–592. https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/a0039512
Fox, K. C. R., Nijeboer, S., Dixon, M. L., Floman, J. L., Ellamil, M., Rumak, S. P., Sedlmeier, P., & Christoff, K. (2014). Is meditation associated with altered brain structure? A systematic review and meta-analysis of morphometric neuroimaging in meditation practitioners. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 43, 48–73. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2014.03.016
Gotink, R. A., Meijboom, R., Vernooij, M. W., Smits, M., & Hunink, M. M. (2016). 8-week mindfulness based stress reduction induces brain changes similar to traditional long-term meditation practice – a systematic review. Brain and Cognition, 108, 32–41. https://doi.org/10.1016/j.bandc.2016.07.001
Hölzel, B. K., Carmody, J., Vangel, M., Congleton, C., Yerramsetti, S. M., Gard, T., & Lazar, S. W. (2011). Mindfulness practice leads to increases in regional brain gray matter density. Psychiatry Research: Neuroimaging, 191(1), 36–43. https://doi.org/10.1016/j.pscyresns.2010.08.006
Kuyken, W., Hayes, R., Barrett, B., Byng, R., Dalgleish, T., Kessler, D., Lewis, G., Watkins, E., Morant, N., Taylor, R. S., & Byford, S. (2015). Effectiveness and cost-effectiveness of mindfulness-based cognitive therapy compared with maintenance antidepressant treatment in the prevention of depressive relapse or recurrence (PREVENT): a randomised controlled trial. The Lancet, 386(9988), 63–73. https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(14)62222-4/fulltext
Lazar, S. W., Kerr, C. E., Wasserman, R. H., Gray, J. R., Greve, D. N., Treadway, M. T., McGarvey, M., Quinn, B. T., Dusek, J. A., Benson, H., Rauch, S. L., Moore, C. I., & Fischl, B. (2005). Meditation experience is associated with increased cortical thickness. NeuroReport, 16(17), 1893–1897. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1361002/
Schlosser, M., Sparby, T., Vörös, S., Jones, R., & Marchant, N. L. (2019). Unpleasant meditation-related experiences in regular meditators: Prevalence, predictors, and conceptual considerations. PLoS ONE, 14(5), e0216643. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0216643
Tang, Y.-Y., Hölzel, B. K., & Posner, M. I. (2015). The neuroscience of mindfulness meditation. Nature Reviews Neuroscience, 16(4), 213–225. https://www.nature.com/articles/nrn3916
Taren, A. A., Creswell, J. D., & Gianaros, P. J. (2013). Dispositional mindfulness co-varies with smaller amygdala volume in community adults. PLoS ONE, 8(5), e64574. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0064574
Zeidan, F., Emerson, N. M., Farris, S. R., Ray, J. N., Jung, Y., McHaffie, J. G., & Coghill, R. C. (2015). Mindfulness Meditation-Based Pain Relief Employs Different Neural Mechanisms Than Placebo and Sham Mindfulness Meditation-Induced Analgesia. Journal of Neuroscience, 35(46), 15307–15325. https://www.jneurosci.org/content/35/46/15307