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Quelles est la relation entre les troubles de l'attention et la mémoire ?


Dans le labyrinthe des fonctions cognitives humaines, la mémoire est souvent perçue comme une bibliothèque interne, un vaste entrepôt où nos expériences et connaissances sont méticuleusement classées. Lorsqu’un souvenir nous échappe, nous accusons instinctivement une défaillance de cet archivage, une “mauvaise mémoire”. Pourtant, cette conception est trompeuse. Bien souvent, l’information n’a jamais réellement atteint les étagères de cette bibliothèque. La porte d’entrée était fermée, ou du moins, entrouverte. Cette porte, c’est l’attention. Considérer un trouble de la mémoire sans évaluer en profondeur les mécanismes attentionnels sous-jacents revient à diagnostiquer un problème d’impression sans vérifier si l’ordinateur a bien envoyé le document à l’imprimante. La relation entre l’attention et la mémoire n’est pas une simple juxtaposition de deux processus distincts ; il s’agit d’une symbiose neurocognitive complexe et dynamique, où chaque partenaire est indispensable à l’autre. Cet article se propose de disséquer cette alliance fondamentale, d’explorer ses substrats neuroanatomiques et de comprendre comment sa rupture, notamment dans le cadre des troubles de l’attention, engendre des cascades de difficultés mnémoniques qui façonnent le quotidien de millions d’individus. Nous naviguerons des modèles théoriques fondamentaux aux implications cliniques concrètes, pour finalement démontrer que pour véritablement comprendre la mémoire, il faut d’abord maîtriser la science de l’attention.

A. Fondements Théoriques : Disséquer l’Attention et la Mémoire

Avant de pouvoir explorer leur interaction, il est impératif de définir avec précision les concepts d’attention et de mémoire, deux constructions psychologiques multidimensionnelles.

L’Attention : Le Chef d’Orchestre Cognitif

L’attention n’est pas une fonction monolithique, mais un système hétérogène de processus qui permettent de sélectionner, de moduler et de maintenir le traitement de l’information pertinente. Les modèles contemporains, notamment celui de Michael Posner, distinguent trois réseaux attentionnels principaux, anatomiquement et fonctionnellement distincts :

  • Le Réseau d’Alerte (Vigilance) : Ce système est responsable du maintien d’un état de préparation à réagir à un stimulus imminent. Il est fondamental pour la performance dans les tâches de longue durée (attention soutenue). Neuroanatomiquement, il implique des structures du tronc cérébral, le locus cœruleus (avec la noradrénaline comme neurotransmetteur clé) et des régions du cortex frontal et pariétal droit. Une défaillance de ce réseau se traduit par une fluctuation de la performance et une difficulté à rester concentré sur une tâche monotone.

  • Le Réseau d’Orientation : Ce réseau est responsable de la sélection de l’information provenant d’une modalité sensorielle ou d’une localisation spatiale spécifique. C’est l’essence de l’attention sélective : la capacité à se “brancher” sur une conversation dans un environnement bruyant (l’effet “cocktail party”) ou à focaliser son regard sur un détail visuel. Il implique principalement le cortex pariétal postérieur et le pulvinar thalamique. Il permet de désengager l’attention d’un stimulus, de la déplacer vers un autre, puis de s’y engager.

  • Le Réseau Exécutif (Contrôle Attentionnel) : Souvent considéré comme le “chef d’orchestre”, ce système de haut niveau gère la planification, la prise de décision, la détection et la résolution de conflits entre des réponses concurrentes, et la régulation des processus cognitifs. C’est lui qui intervient lorsque nous devons inhiber une réponse automatique (comme lire un mot au lieu de nommer sa couleur dans le test de Stroop) ou diviser notre attention entre plusieurs tâches. Ses substrats neuronaux principaux sont le cortex préfrontal (CPF), notamment le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL).

La Mémoire : Un Système aux Multiples Facettes

De même, la mémoire n’est pas un entrepôt unique. Les modèles classiques, comme celui d’Atkinson et Shiffrin, ont posé les bases en distinguant mémoire sensorielle, mémoire à court terme et mémoire à long terme. La recherche moderne a considérablement affiné cette vision.

  • La Mémoire de Travail (Working Memory) : Le concept de mémoire à court terme a été largement supplanté par le modèle plus dynamique de la mémoire de travail, proposé par Alan Baddeley et Graham Hitch. Il ne s’agit plus d’un simple stockage passif, mais d’un espace de travail mental où l’information est maintenue et manipulée activement pour des tâches cognitives complexes. Ce modèle inclut :

    • La boucle phonologique : pour le maintien de l’information verbale.
    • Le calepin visuo-spatial : pour le maintien de l’information visuelle et spatiale.
    • L’administrateur central : un système de contrôle attentionnel (étroitement lié au réseau exécutif de Posner) qui alloue les ressources, coordonne les sous-systèmes et interagit avec la mémoire à long terme.
    • Le buffer épisodique : ajouté plus tard, il intègre les informations de sources multiples (les sous-systèmes et la mémoire à long terme) en une représentation cohérente et épisodique.
  • La Mémoire à Long Terme : Elle se divise principalement en deux grandes catégories :

    • Mémoire Explicite (Déclarative) : Concerne les souvenirs accessibles à la conscience.
      • Mémoire épisodique : Le souvenir d’événements personnels, autobiographiques, avec leur contexte spatio-temporel (le souvenir de votre petit-déjeuner de ce matin).
      • Mémoire sémantique : Les connaissances générales sur le monde, les faits, les concepts (savoir que Paris est la capitale de la France).
    • Mémoire Implicite (Non déclarative) : Concerne les souvenirs qui s’expriment à travers la performance sans rappel conscient.
      • Mémoire procédurale : Les habiletés motrices et cognitives (savoir faire du vélo).
      • Amorçage : L’exposition à un stimulus influence la réponse à un stimulus ultérieur.
      • Conditionnement classique.

Cette taxonomie est essentielle, car l’attention n’impacte pas tous ces systèmes de la même manière. Son rôle est prépondérant dans le fonctionnement de la mémoire de travail et dans la formation (encodage) des souvenirs explicites.

B. Le Rôle Crucial de l’Attention dans les Processus Mnémoniques

L’interaction entre l’attention et la mémoire se déploie à travers les trois stades canoniques du traitement mnémonique : l’encodage, la consolidation et la récupération.

L’Encodage : La Porte d’Entrée de la Mémoire

L’encodage est le processus de transformation de l’information sensorielle en une trace mnémonique durable. C’est à ce stade que l’influence de l’attention est la plus intuitive et la plus profonde. Pour qu’une information soit encodée en mémoire à long terme, elle doit d’abord être traitée de manière significative en mémoire de travail. Or, la mémoire de travail est, par définition, une fonction exécutive dépendante de l’attention.

L’attention sélective agit comme un filtre. Dans un flux constant d’informations sensorielles, elle détermine ce qui est pertinent et mérite un traitement approfondi, et ce qui peut être ignoré. Sans une allocation adéquate des ressources attentionnelles sur un stimulus, celui-ci ne sera traité que de manière superficielle et ne formera pas de trace mnémonique robuste. C’est le phénomène bien connu de “cécité d’inattention”, où des événements pourtant saillants ne sont pas perçus, et donc pas mémorisés, car l’attention est focalisée ailleurs.

De plus, la théorie des niveaux de traitement (Craik & Lockhart) postule que la durabilité d’une trace mnémonique dépend de la profondeur de l’encodage. Un traitement superficiel (ex: noter les caractéristiques physiques d’un mot) mène à un souvenir fragile, tandis qu’un traitement profond, sémantique (ex: réfléchir au sens du mot et le lier à ses propres connaissances) crée une trace forte. Ce traitement sémantique approfondi est une opération cognitive coûteuse qui exige des ressources attentionnelles soutenues et un contrôle exécutif. L’attention n’est donc pas un simple interrupteur “on/off” pour l’encodage ; elle en module la qualité et la profondeur, déterminant ainsi la probabilité future de rappel.

La Consolidation : Stabiliser la Trace Mnémonique

Une fois encodée, une trace mnémonique est initialement labile et vulnérable aux interférences. La consolidation est le processus neurobiologique qui stabilise cette trace et l’intègre progressivement dans les réseaux corticaux de la mémoire à long terme. On distingue la consolidation synaptique (rapide, au niveau local des synapses) et la consolidation systémique (lente, impliquant une réorganisation des circuits cérébraux, notamment un dialogue entre l’hippocampe et le néocortex).

Bien que une grande partie de la consolidation systémique se produise hors ligne, notamment pendant le sommeil, l’attention joue un rôle indirect mais crucial. Premièrement, la qualité de l’encodage initial, qui est attention-dépendante, détermine la “qualité” de la trace qui sera consolidée. Une trace faible et mal définie aura moins de chances d’être sélectionnée pour la consolidation.

Deuxièmement, la consolidation peut également se produire pendant des périodes de veille calme. Les processus de réactivation et de répétition mentale (rehearsal), conscients ou non, qui renforcent la trace mnémonique, nécessitent des ressources cognitives. L’attention doit protéger ce processus de répétition contre les interférences d’autres stimuli ou d’autres pensées. Une distractibilité élevée peut interrompre ces boucles de réactivation, entravant la stabilisation du souvenir.

La Récupération : Une Recherche Active et Contrôlée

La récupération est souvent imaginée comme la lecture passive d’un fichier stocké. En réalité, il s’agit d’un processus de reconstruction active et stratégique qui dépend fortement du contrôle attentionnel et des fonctions exécutives.

Lorsque nous tentons de nous souvenir de quelque chose (par exemple, “Qu’ai-je mangé mardi soir ?”), nous n’accédons pas directement à la réponse. Nous utilisons des indices de récupération (“Mardi, j’étais chez moi…”, “J’avais fait des courses ce jour-là…”) pour guider une recherche stratégique en mémoire. Ce processus de “recherche contrôlée” est orchestré par le cortex préfrontal. Il nécessite :

  • L’attention focalisée : Pour maintenir l’objectif de récupération (“mardi soir”) et guider la recherche.
  • L’inhibition : Pour supprimer les souvenirs non pertinents ou concurrents qui sont activés par les indices (“Non, ça c’était lundi soir”, “Non, ça c’est ce que j’ai acheté mais pas ce que j’ai mangé”). L’échec de ce mécanisme d’inhibition conduit à des “embouteillages” en mémoire, où des souvenirs incorrects s’imposent.
  • La surveillance (Monitoring) : Pour évaluer la pertinence et l’exactitude des souvenirs qui émergent, et décider si la recherche doit se poursuivre ou s’arrêter.

Un déficit du contrôle attentionnel peut donc se manifester par des difficultés de récupération, même si l’information a été correctement encodée et consolidée. La personne peut avoir l’impression d’avoir le mot “sur le bout de la langue”, signe que l’information est présente mais que les processus stratégiques pour y accéder sont inefficaces.

C. Neuroanatomie d’une Alliance Cognitive

La relation symbiotique entre l’attention et la mémoire est matérialisée par des réseaux cérébraux largement superposés et intensivement interconnectés. Le cortex préfrontal (CPF) et l’hippocampe sont les deux acteurs centraux de ce dialogue.

Le Cortex Préfrontal : Le Hub Exécutif

Le CPF, et en particulier ses régions dorsolatérale (CPFDL) et ventrolatérale (CPFVL), est le substrat neuronal du réseau attentionnel exécutif et de la mémoire de travail. Il n’est pas un site de stockage à long terme, mais il agit comme un manipulateur et un régulateur de l’information.

  • Lors de l’encodage, le CPFDL maintient l’information pertinente en ligne (mémoire de travail) et orchestre les stratégies de traitement profond (organisation sémantique, élaboration). Il module l’activité des régions sensorielles postérieures (via des mécanismes “top-down”) pour amplifier le traitement des stimuli pertinents et supprimer celui des distracteurs.
  • Lors de la récupération, le CPFDL initie et guide la recherche stratégique, tandis que le CPFVL aide à la sélection et à l’évaluation des souvenirs récupérés. Le cortex cingulaire antérieur, autre composante clé du réseau exécutif, est impliqué dans la détection des conflits (par exemple, entre un souvenir correct et un souvenir concurrent) et signale le besoin d’un contrôle attentionnel accru.

L’Hippocampe : Le Spécialiste de la Mémoire Épisodique

L’hippocampe, situé dans le lobe temporal médian, est essentiel pour la formation rapide de nouvelles mémoires épisodiques. Il lie les différents éléments d’un événement (le quoi, le où, le quand, le qui) en une trace mnémonique intégrée.

L’interaction cruciale se situe dans le dialogue entre le CPF et l’hippocampe. Le CPF, via le contrôle attentionnel, “dit” à l’hippocampe ce qui est important à encoder. Une connectivité fonctionnelle forte entre le CPF et l’hippocampe pendant l’encodage est un prédicteur de la réussite du rappel ultérieur. Le CPF régule le flux d’informations qui atteint l’hippocampe, s’assurant que seules les informations traitées de manière pertinente et approfondie sont présentées pour la liaison hippocampique. Pendant la récupération, le CPF envoie des signaux de recherche à l’hippocampe et aux régions corticales où les souvenirs sont stockés, pour réactiver la trace mnémonique appropriée.

Autres Acteurs Cérébraux et Systèmes de Neuromodulation

D’autres régions sont également impliquées. Le cortex pariétal, un hub du réseau d’orientation attentionnelle, joue un rôle dans l’attention portée aux souvenirs (par exemple, se remémorer un lieu active les mêmes régions pariétales que le fait de porter son attention sur ce lieu dans l’environnement).

Les systèmes de neuromodulation sont également fondamentaux. La dopamine, essentielle dans les circuits de la récompense et de la motivation, module à la fois l’attention exécutive (dans le CPF) et la plasticité synaptique à long terme (dans l’hippocampe), marquant les informations importantes à retenir. L’acétylcholine joue un rôle clé dans l’alerte et l’attention sélective, ainsi que dans la modulation de l’encodage hippocampique. Les défaillances de ces systèmes de neurotransmetteurs peuvent donc perturber simultanément les fonctions attentionnelles et mnémoniques.

D. Quand l’Attention Fait Défaut : Le Cas du Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H)

Le TDA/H offre un exemple clinique paradigmatique de la manière dont un dysfonctionnement attentionnel primaire engendre des difficultés mnémoniques secondaires. Bien que les individus avec un TDA/H se plaignent souvent d’une “mauvaise mémoire”, leur problème ne réside généralement pas dans la capacité de stockage de la mémoire à long terme elle-même, mais dans les processus attention-dépendants qui la servent.

Échec de l’Encodage dû à l’Inattention

Le symptôme cardinal d’inattention du TDA/H impacte directement l’encodage. Une personne avec un TDA/H peut avoir des difficultés à maintenir son attention soutenue sur une consigne, une conversation ou une lecture. L’information est donc traitée de manière superficielle ou parcellaire. L’impression subjective est celle d’un oubli rapide (“c’est rentré par une oreille et sorti par l’autre”), mais en réalité, l’information n’a jamais été correctement “sauvegardée” initialement. Cela explique les oublis fréquents d’objets, de rendez-vous ou de tâches à accomplir : l’attention n’a pas été allouée de manière suffisante au moment de l’encodage de l’intention.

Déficit de la Mémoire de Travail

Un déficit de la mémoire de travail, en particulier de sa composante exécutive (l’administrateur central), est l’un des déficits neurocognitifs les mieux établis dans le TDA/H. Cela se traduit par une difficulté à maintenir et à manipuler plusieurs informations simultanément. Dans la vie quotidienne, cela rend difficile de suivre des instructions en plusieurs étapes, de faire du calcul mental ou d’organiser ses pensées pour un discours. En interférant avec la capacité de maintenir l’information en ligne pour un traitement approfondi, ce déficit de mémoire de travail compromet sévèrement la qualité de l’encodage en mémoire à long terme.

Vulnérabilité à l’Interférence

Les individus avec un TDA/H présentent une plus grande difficulté à inhiber les distracteurs, qu’ils soient externes (bruits) ou internes (pensées parasites).

  • Pendant l’encodage : L’attention est facilement détournée de la tâche principale, fragmentant le processus d’apprentissage.
  • Pendant la consolidation de veille : Les tentatives de répétition mentale sont constamment interrompues.
  • Pendant la récupération : La recherche en mémoire est “polluée” par l’intrusion de souvenirs non pertinents, rendant l’accès à l’information cible plus difficile et plus lent (interférence proactive et rétroactive).

Difficultés de Récupération Stratégique

Le dysfonctionnement du cortex préfrontal dans le TDA/H affecte également les stratégies de récupération. La recherche en mémoire est souvent moins organisée, moins systématique. La personne peut abandonner la recherche prématurément ou échouer à utiliser des indices de manière efficace. Cela peut se manifester par des difficultés dans les tâches de “rappel libre” (où aucun indice n’est fourni), alors que la performance peut s’améliorer significativement dans les tâches de “reconnaissance” (où il suffit d’identifier l’information correcte parmi des distracteurs), car ces dernières sollicitent moins la récupération stratégique.

E. Au-delà du TDA/H : Attention et Mémoire dans d’Autres Contextes Cliniques

La rupture du lien attention-mémoire n’est pas exclusive au TDA/H. Elle est une caractéristique transdiagnostique présente dans de nombreuses autres conditions.

  • Troubles Anxieux et Dépression : Dans ces troubles, on observe un biais attentionnel envers les informations négatives ou menaçantes. Cette capture attentionnelle biaise ce qui est encodé en mémoire. Une personne dépressive se souviendra plus facilement de ses échecs que de ses réussites, non pas parce que sa mémoire est intrinsèquement défaillante, mais parce que son attention a sélectionné et traité plus profondément les informations congruentes à son humeur. De plus, les ruminations, caractéristiques de ces troubles, consomment une part importante des ressources de la mémoire de travail, laissant moins de capacité disponible pour d’autres tâches cognitives, y compris l’encodage de nouvelles informations.

  • Lésions Cérébrales Traumatiques (TCC) : Les TCC affectent fréquemment les lobes frontaux et temporaux. Les déficits qui en résultent sont souvent un mélange de problèmes attentionnels (difficultés de concentration, lenteur du traitement) et de problèmes de mémoire purement amnésiques (dus aux lésions hippocampiques). La rééducation doit donc cibler les deux aspects de manière intégrée.

  • Vieillissement Normal et Pathologique : Le vieillissement cognitif normal est associé à un déclin notable des fonctions exécutives et de la vitesse de traitement, affectant le contrôle attentionnel. De nombreuses plaintes mnémoniques chez les personnes âgées en bonne santé sont en fait le reflet de cette diminution des ressources attentionnelles, qui rend l’encodage et la récupération plus laborieux. Dans la maladie d’Alzheimer, bien que le déficit de la mémoire épisodique dû à l’atteinte hippocampique soit central, des déficits attentionnels et exécutifs précoces sont également présents et contribuent de manière significative au tableau clinique, en exacerbant les difficultés de la vie quotidienne.

F. Perspectives Thérapeutiques et Stratégies de Compensation

Comprendre que de nombreux problèmes de mémoire sont enracinés dans des déficits attentionnels ouvre des voies thérapeutiques ciblées et efficaces. L’objectif n’est pas seulement de “muscler la mémoire”, mais de renforcer les fondations attentionnelles qui la soutiennent.

  • Approches Pharmacologiques : Pour le TDA/H, les médicaments stimulants (méthylphénidate) et non stimulants (atomoxétine) agissent principalement en augmentant les niveaux de dopamine et de noradrénaline dans le cortex préfrontal. En améliorant le contrôle attentionnel, la concentration et la mémoire de travail, ces traitements ont un effet indirect mais puissant sur la performance mnémonique globale, en améliorant la qualité de l’encodage et l’efficacité de la récupération.

  • Interventions Psychosociales et Cognitivo-Comportementales (TCC) : Ces thérapies visent à enseigner des stratégies comportementales pour compenser les déficits exécutifs. Cela inclut des techniques de gestion du temps, d’organisation (utilisation d’agendas, de listes, d’alarmes), et de décomposition des tâches complexes en sous-étapes plus gérables. En structurant l’environnement et les tâches, on réduit la charge sur la mémoire de travail et l’attention.

  • Entraînement Cognitif : Les programmes d’entraînement de la mémoire de travail et de l’attention ont montré une certaine efficacité, bien que la transférabilité des gains à des situations de la vie quotidienne fasse encore l’objet de débats. Des approches plus prometteuses se concentrent sur l’entraînement des processus sous-jacents, comme le contrôle de l’interférence ou la flexibilité cognitive.

  • Stratégies Métacognitives : La métacognition, ou la “pensée sur sa propre pensée”, est peut-être l’outil le plus puissant. Il s’agit d’apprendre à l’individu à devenir un observateur actif de son propre fonctionnement cognitif. Les stratégies incluent :

    • L’Auto-Instruction : Se parler à soi-même pour guider son attention à travers une tâche.
    • La Vérification Active de l’Encodage : Prendre un moment pour répéter ou reformuler une information importante (un nom, une consigne) afin de s’assurer qu’elle a été correctement traitée.
    • La Pleine Conscience (Mindfulness) : La pratique de la pleine conscience a démontré sa capacité à renforcer les réseaux attentionnels, en particulier l’attention soutenue et le contrôle exécutif, en entraînant la capacité à ramener son attention sur le moment présent et à mieux réguler les distractions internes.
    • L’Utilisation de Stratégies d’Encodage Profond : Enseigner activement des mnémoniques, des techniques de visualisation ou la méthode des loci pour forcer un traitement sémantique et élaboré de l’information.

Conclusion

La relation entre l’attention et la mémoire est loin d’être un simple partenariat ; elle est une fusion fonctionnelle au cœur de la cognition humaine. L’attention n’est pas seulement la gardienne de la mémoire, elle en est aussi l’architecte, la bibliothécaire et la guide. Elle sculpte la qualité de nos souvenirs dès leur naissance à l’étape de l’encodage, protège leur maturation pendant la consolidation, et orchestre leur rappel lors de la récupération. Le TDA/H et d’autres conditions cliniques illustrent de manière frappante comment une fissure dans les fondations attentionnelles peut provoquer l’effondrement de l’édifice mnémonique.

Cette perspective intégrée a des implications profondes. Sur le plan diagnostique, elle nous incite à regarder au-delà de la plainte mnémonique pour évaluer les processus exécutifs et attentionnels sous-jacents. Sur le plan thérapeutique, elle nous oriente vers des interventions qui ne visent pas à remplir un réservoir de mémoire qui fuit, mais à réparer les mécanismes qui le remplissent et y donnent accès. En enseignant aux individus à maîtriser leur attention, nous ne leur donnons pas seulement les moyens de mieux se concentrer, mais nous leur offrons les clés pour construire, maintenir et accéder à la riche tapisserie de leurs propres souvenirs. La recherche future continuera sans aucun doute à dévoiler la finesse de ce dialogue neurocognitif, mais le message clinique est déjà clair : pour soigner la mémoire, il faut commencer par éduquer l’attention.

Les Sources :

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Chun, M. M., & Turk-Browne, N. B. (2007). Interactions between attention and memory. Current Opinion in Neurobiology, 17(2), 177–184. https://www.cell.com/current-opinion-in-neurobiology/fulltext/S0959-4388(07)00042-3

Corbetta, M., & Shulman, G. L. (2002). Control of goal-directed and stimulus-driven attention in the brain. Nature Reviews Neuroscience, 3(3), 201–215. https://www.nature.com/articles/nrn755

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Klingberg, T. (2010). Training and plasticity of working memory. Trends in Cognitive Sciences, 14(7), 317–324. https://www.cell.com/trends/cognitive-sciences/fulltext/S1364-6613(10)00110-8

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