La Maison Du Bilan, Neuropsychologie et psychologie clinique à Paris 9

Quel peut être l'impact des maladies cardiovasculaires sur la fonction mnésique ?


Longtemps, le cœur et le cerveau ont été perçus comme deux royaumes distincts, gouvernés par des spécialités médicales différentes : la cardiologie et la neurologie. Le cœur était la pompe, la mécanique vitale ; le cerveau, le siège de la conscience, de la pensée et de la mémoire, un organe d’une complexité quasi éthérée. Cette dichotomie, bien que pratique sur le plan clinique, a obscurci pendant des décennies une vérité fondamentale que la science contemporaine met aujourd’hui en pleine lumière : ces deux organes sont engagés dans un dialogue incessant et intime. La santé de l’un conditionne de manière inextricable la robustesse de l’autre. L’idée qu’un système circulatoire défaillant puisse éroder progressivement nos souvenirs les plus chers, fragmenter notre capacité à apprendre et à nous projeter dans l’avenir, n’est plus une simple hypothèse. C’est devenu un champ de recherche majeur, à l’intersection de la médecine cardiovasculaire, de la neurologie et de la neuropsychologie.

Cet article se propose d’explorer en profondeur cette connexion vitale. Nous n’aborderons pas la mémoire comme une entité monolithique, mais comme un ensemble de systèmes fonctionnels complexes, chacun potentiellement vulnérable à des agressions d’origine vasculaire. Nous disséquerons les mécanismes physiopathologiques par lesquels les maladies du cœur et des vaisseaux sanguins — de l’hypertension artérielle insidieuse à l’insuffisance cardiaque chronique — infligent des dommages silencieux mais cumulatifs au tissu cérébral. En nous appuyant sur les données probantes les plus récentes, nous examinerons comment des pathologies cardiovasculaires spécifiques engendrent des profils de déficits mnésiques distincts, brouillant parfois les frontières avec les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Enfin, nous aborderons les stratégies d’évaluation, de prévention et d’intervention, soulignant un changement de paradigme crucial : protéger son cœur, c’est activement préserver son esprit.

A. Les Architectures de la Mémoire et le Paysage des Maladies Cardiovasculaires : Définitions et Concepts Fondamentaux

Pour appréhender l’impact des maladies cardiovasculaires (MCV) sur la mémoire, il est impératif de définir précisément nos termes. La mémoire n’est pas une faculté unitaire. La psychologie cognitive et les neurosciences la décrivent comme un ensemble de systèmes distincts mais interactifs, chacun possédant ses propres caractéristiques temporelles, son contenu et ses substrats neuronaux.

Les Systèmes Mnésiques

Une taxonomie classique, et toujours pertinente, distingue plusieurs grands systèmes :

  • La mémoire à court terme et la mémoire de travail : La mémoire à court terme correspond au stockage passif et temporaire d’une quantité limitée d’informations (par exemple, retenir un numéro de téléphone le temps de le composer). La mémoire de travail est un concept plus dynamique ; elle désigne la capacité à maintenir et à manipuler activement des informations pour réaliser des tâches cognitives complexes comme le raisonnement ou la planification. Elle est fortement dépendante des fonctions exécutives et repose sur un réseau neuronal impliquant notamment le cortex préfrontal.

  • La mémoire à long terme : Ce système permet un stockage durable des informations. Il se subdivise lui-même en plusieurs composantes :

    • La mémoire déclarative (explicite) : C’est la mémoire des faits et des événements que nous pouvons consciemment rappeler et verbaliser. Elle se scinde en :
      • Mémoire épisodique : La mémoire de nos expériences personnelles, autobiographiques, ancrées dans un contexte spatio-temporel précis (le souvenir de son premier jour d’école, de ses dernières vacances). L’hippocampe et les structures du lobe temporal médial jouent un rôle crucial dans la consolidation de ces souvenirs.
      • Mémoire sémantique : La mémoire des connaissances générales sur le monde, des concepts et des faits décontextualisés (savoir que Paris est la capitale de la France, connaître la signification d’un mot).
    • La mémoire non déclarative (implicite) : Elle regroupe les apprentissages qui s’expriment à travers la performance, sans nécessiter de rappel conscient. Elle inclut :
      • La mémoire procédurale : La mémoire des habiletés motrices et cognitives (savoir faire du vélo, taper sur un clavier). Elle dépend principalement des ganglions de la base et du cervelet.
      • L’amorçage : Phénomène par lequel l’exposition à un stimulus influence la réponse à un stimulus ultérieur.

Cette distinction est capitale, car les atteintes vasculaires ne touchent pas ces systèmes de manière uniforme. Les fonctions exécutives et la mémoire de travail, très dépendantes de l’intégrité du cortex préfrontal, ainsi que la mémoire épisodique, sensible à l’ischémie de l’hippocampe, sont souvent les premières et les plus sévèrement affectées.

Le Spectre des Maladies Cardiovasculaires

Le terme “maladies cardiovasculaires” englobe un large éventail de pathologies affectant le cœur et les vaisseaux sanguins. Celles qui présentent le lien le plus documenté avec les troubles mnésiques incluent :

  • L’hypertension artérielle (HTA) : Une pression sanguine chroniquement élevée qui exerce un stress mécanique sur la paroi des artères, favorisant l’artériosclérose (rigidification) et l’athérosclérose (dépôts de plaques). Elle affecte particulièrement les petites artères perforantes qui irriguent les structures cérébrales profondes.
  • La fibrillation atriale (ou auriculaire) : Une arythmie cardiaque fréquente où les cavités supérieures du cœur (les oreillettes) battent de manière chaotique et inefficace. Ce trouble favorise la formation de caillots sanguins (thrombus) qui peuvent migrer vers le cerveau et provoquer des accidents vasculaires cérébraux (AVC), qu’ils soient cliniquement manifestes ou silencieux.
  • L’insuffisance cardiaque : Une condition où le cœur est incapable de pomper suffisamment de sang pour répondre aux besoins métaboliques de l’organisme. Il en résulte une hypoperfusion chronique, c’est-à-dire une réduction du débit sanguin global, y compris vers le cerveau.
  • La maladie coronarienne : Causée par l’athérosclérose des artères qui irriguent le cœur lui-même, elle peut conduire à l’angine de poitrine ou à l’infarctus du myocarde (crise cardiaque). Bien que l’atteinte soit cardiaque, les mécanismes systémiques associés (inflammation, hypoxie) ont des répercussions cérébrales.
  • L’accident vasculaire cérébral (AVC) : Qu’il soit ischémique (causé par un caillot bloquant une artère) ou hémorragique (rupture d’un vaisseau), l’AVC entraîne la mort d’un territoire de tissu cérébral, avec des conséquences cognitives qui dépendent de la localisation et de l’étendue de la lésion.

Comprendre la nature de ces pathologies est la première étape pour saisir les mécanismes par lesquels elles portent atteinte à l’intégrité du cerveau et, par conséquent, à la fonction mnésique.

B. Les Voies Physiopathologiques : Comment le Cœur Blesse le Cerveau

Le lien entre MCV et troubles mnésiques n’est pas le fruit d’un mécanisme unique, mais plutôt d’une confluence de plusieurs voies pathologiques qui se renforcent mutuellement. Le concept central qui unifie ces processus est celui de “Vascular Cognitive Impairment” (VCI), ou trouble cognitif d’origine vasculaire. Le VCI représente un continuum de déficits cognitifs, allant de troubles légers à la démence vasculaire, dont la cause sous-jacente est une pathologie cérébrovasculaire.

L’Hypoperfusion Cérébrale Chronique

Le cerveau, bien qu’il ne représente que 2% du poids corporel, consomme environ 20% de l’oxygène et du glucose de l’organisme. Cet organe est donc extraordinairement sensible à toute réduction de son approvisionnement sanguin. L’insuffisance cardiaque, par sa nature même, entraîne une diminution du débit cardiaque et donc une hypoperfusion cérébrale globale et chronique. Cette “famine” énergétique subtile mais persistante affecte préférentiellement les régions les plus vulnérables, comme l’hippocampe (essentiel à la mémoire épisodique) et les zones “watershed” (zones jonctionnelles entre les territoires de deux artères cérébrales). L’hypoperfusion chronique compromet le métabolisme neuronal, la synthèse des neurotransmetteurs et la plasticité synaptique, fondement de l’apprentissage et de la mémoire.

2. La Maladie des Petits Vaisseaux Cérébraux (Cerebral Small Vessel Disease)

L’hypertension artérielle est le principal coupable de la maladie des petits vaisseaux. La pression excessive et pulsatile endommage la paroi des artérioles et des capillaires qui pénètrent profondément dans la substance blanche et les noyaux gris centraux. Ce processus, appelé lipohyalinose ou artériosclérose, conduit à un épaississement et à une rigidification de la paroi vasculaire, réduisant le diamètre interne du vaisseau et altérant sa capacité à s’adapter aux besoins métaboliques locaux (altération de l’autorégulation cérébrale). Les conséquences visibles en imagerie par résonance magnétique (IRM) sont :

  • Les hypersignaux de la substance blanche : Des zones de démyélinisation et de gliose (cicatrisation) résultant d’une ischémie chronique. Ces lésions perturbent la connectivité entre les différentes régions cérébrales, “déconnectant” des réseaux neuronaux essentiels aux fonctions exécutives et à la vitesse de traitement de l’information, qui sont cruciales pour une mémoire de travail efficace.
  • Les infarctus lacunaires : De petits AVC profonds causés par l’occlusion d’une seule artériole perforante.
  • Les micro-hémorragies cérébrales : De minuscules fuites de sang témoignant de la fragilité de la paroi vasculaire.

Les Mécanismes Thrombo-emboliques

La fibrillation atriale est le prototype de ce mécanisme. La stase sanguine dans l’oreillette gauche favorise la formation de caillots. Si l’un d’eux se détache, il voyage dans la circulation artérielle (embolie) et peut aller obstruer une artère cérébrale, provoquant un AVC ischémique. Outre les AVC cliniquement évidents, la fibrillation atriale est associée à une multitude de “micro-emboles” qui peuvent causer des infarctus cérébraux silencieux. Ces petites lésions, souvent non détectées cliniquement, s’accumulent avec le temps et contribuent de manière cumulative à un déclin cognitif progressif, affectant souvent la mémoire et les fonctions exécutives.

4. L’Inflammation Systémique et le Dysfonctionnement de la Barrière Hémato-Encéphalique (BHE)

Les MCV, notamment l’athérosclérose et l’insuffisance cardiaque, sont des états pro-inflammatoires chroniques. Des niveaux élevés de marqueurs inflammatoires circulants (comme la protéine C-réactive) sont constamment observés. Cette inflammation systémique n’épargne pas le cerveau. Elle peut altérer l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique, une interface hautement sélective qui protège le cerveau des substances potentiellement toxiques présentes dans le sang. Un BHE “fuyante” permet le passage de cellules et de molécules inflammatoires dans le parenchyme cérébral, déclenchant une neuro-inflammation locale. Cette dernière est directement toxique pour les neurones et les synapses, et elle est reconnue comme un acteur clé dans le développement des troubles cognitifs et des maladies neurodégénératives.

Ces quatre mécanismes ne sont pas mutuellement exclusifs. Au contraire, un patient souffrant d’insuffisance cardiaque (hypoperfusion) peut également être hypertendu (maladie des petits vaisseaux) et présenter une inflammation chronique, créant un cercle vicieux dévastateur pour la santé cérébrale.

C. Signatures Mnémoniques Spécifiques des Pathologies Cardiovasculaires

Si les mécanismes sont partagés, chaque MCV tend à produire un profil de déficit cognitif et mnésique qui lui est relativement caractéristique, reflétant les structures cérébrales préférentiellement touchées.

  • Hypertension Artérielle : L’impact de l’HTA est souvent insidieux et se manifeste sur le long terme. Le profil cognitif typique n’est pas une amnésie massive, mais plutôt un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information et des déficits des fonctions exécutives (planification, flexibilité mentale, contrôle inhibiteur). Ces déficits affectent secondairement la mémoire. La mémoire de travail est particulièrement vulnérable, car elle dépend de la rapidité et de l’efficacité des réseaux fronto-sous-corticaux, précisément ceux qui sont perturbés par les lésions de la substance blanche. Les difficultés de récupération en mémoire épisodique sont également fréquentes, non pas en raison d’un problème de stockage (comme dans la maladie d’Alzheimer précoce), mais d’une difficulté à mettre en œuvre des stratégies de recherche efficaces, une tâche relevant des fonctions exécutives.

  • Fibrillation Atriale : Le tableau cognitif associé à la FA peut être hétérogène. En cas d’AVC majeur, le déficit sera brutal et dépendra de la localisation de l’infarctus. Cependant, même en l’absence d’AVC clinique, les patients atteints de FA présentent un risque accru de déclin cognitif. Le profil est souvent un mélange de déficits de type “vasculaire” (fonctions exécutives, vitesse de traitement) dus aux micro-infarctus silencieux et à l’hypoperfusion, et parfois des troubles mnésiques épisodiques plus marqués, suggérant une vulnérabilité de l’hippocampe. La fluctuation des performances cognitives peut également être une caractéristique.

  • Insuffisance Cardiaque : Les patients souffrant d’insuffisance cardiaque présentent fréquemment des déficits cognitifs touchant plusieurs domaines. En raison de l’hypoperfusion globale, les troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire de travail sont prédominants. La mémoire épisodique, tant le rappel immédiat que différé, est également significativement affectée, ce qui est cohérent avec la sensibilité de l’hippocampe à l’ischémie chronique. Les patients peuvent se plaindre d’un “brouillard mental” (brain fog), d’une sensation d’effort pour accomplir des tâches mentales simples et d’oublis dans la vie quotidienne. La sévérité des troubles cognitifs est souvent corrélée à la sévérité de l’insuffisance cardiaque (mesurée par exemple par la fraction d’éjection du ventricule gauche).

  • Post-Infarctus du Myocarde : Un déclin cognitif peut être observé dans les mois suivant un infarctus du myocarde. Les mécanismes sont multiples : hypoxie cérébrale pendant l’événement aigu, réponse inflammatoire systémique massive, stress post-traumatique, ou encore effets secondaires de certains médicaments. Les déficits peuvent toucher l’attention, la mémoire de travail et la mémoire verbale. Bien que ces troubles puissent être transitoires pour certains, pour d’autres, ils marquent le début d’une trajectoire de déclin cognitif accéléré, surtout si les facteurs de risque cardiovasculaire ne sont pas contrôlés agressivement.

D. L’Interaction Complexe entre Pathologie Vasculaire et Neurodégénérescence : Le Cas de la Maladie d’Alzheimer

La distinction entre la démence vasculaire pure et la maladie d’Alzheimer (MA) est de plus en plus considérée comme un artifice. Dans la pratique clinique et à l’autopsie, la majorité des patients âgés atteints de démence présentent une pathologie mixte, c’est-à-dire la coexistence de lésions vasculaires et des marqueurs neuropathologiques de la MA (plaques amyloïdes et dégénérescences neurofibrillaires de protéine Tau).

Cette observation a donné naissance à plusieurs hypothèses sur leur interaction synergique :

  • L’Hypothèse des “Deux Coups” (Two-Hit Hypothesis) : La pathologie vasculaire (premier “coup”) affaiblit le cerveau, perturbe la BHE et altère la clairance (l’élimination) des peptides bêta-amyloïdes. Cette accumulation favorise alors le développement de la pathologie amyloïde typique de la MA (deuxième “coup”). En d’autres termes, les dommages vasculaires créent un environnement propice à la neurodégénérescence de type Alzheimer.

  • La Réduction de la Réserve Cognitive : La réserve cognitive est la capacité du cerveau à tolérer une certaine quantité de pathologie cérébrale sans que des symptômes cliniques n’apparaissent. Cette réserve dépend de facteurs comme le niveau d’éducation, la complexité de la profession et la richesse des activités intellectuelles et sociales. Les lésions vasculaires cérébrales (hypersignaux de la substance blanche, infarctus silencieux) “consomment” cette réserve. Ainsi, un individu avec des lésions vasculaires aura besoin de moins de pathologie Alzheimer pour atteindre le seuil clinique de la démence, comparativement à une personne avec un cerveau vasculaire sain.

  • Des Voies Pathologiques Communes : La recherche met en évidence des mécanismes moléculaires et cellulaires partagés entre les MCV et la MA. L’inflammation chronique, le stress oxydatif et le dysfonctionnement endothélial sont des acteurs clés dans les deux types de pathologies. Par exemple, l’hypoperfusion chronique peut non seulement causer des dommages ischémiques, mais aussi orienter le métabolisme de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP) vers la voie amyloïdogénique, augmentant la production de peptide bêta-amyloïde.

Cette interaction complexe signifie que la prise en charge des facteurs de risque vasculaire n’est pas seulement une stratégie pour prévenir la démence vasculaire, mais est devenue une pierre angulaire de la prévention de la maladie d’Alzheimer.

E. Outils d’Évaluation et de Diagnostic : Cartographier l’Impact Cérébral

L’évaluation des troubles mnésiques dans un contexte de MCV requiert une approche multi-modale, combinant l’évaluation neuropsychologique et la neuro-imagerie.

L’Évaluation Neuropsychologique

Un bilan neuropsychologique approfondi est essentiel pour caractériser précisément la nature et la sévérité des déficits. Il va bien au-delà des simples tests de dépistage comme le Mini-Mental State Examination (MMSE), qui manque de sensibilité pour les déficits vasculaires précoces. Un bilan typique inclura :

  • Tests des fonctions exécutives et de la vitesse de traitement : Trail Making Test (parties A et B), test de Stroop, fluences verbales (littérale et catégorielle). Ces tests sont très sensibles aux lésions de la substance blanche et aux dysfonctionnements fronto-sous-corticaux.
  • Tests de mémoire de travail et d’attention : Empan de chiffres (endroit et envers), Paced Auditory Serial Addition Test (PASAT).
  • Tests de mémoire épisodique : Des tests d’apprentissage de listes de mots avec rappel libre et indicé (comme le test de rappel libre/rappel indicé à 16 items ou le Rey Auditory Verbal Learning Test - RAVLT) permettent de distinguer un trouble du stockage (typique de la MA) d’un trouble de la récupération (plus évocateur d’une atteinte vasculaire). La mémoire visuelle peut être évaluée avec la figure de Rey-Osterrieth.
  • Questionnaires sur les plaintes cognitives subjectives et l’impact fonctionnel remplis par le patient et un proche.

Ce profil détaillé aide à formuler des hypothèses sur le type de pathologie sous-jacente (profil plutôt “cortical” type Alzheimer vs. profil plutôt “sous-cortico-frontal” type vasculaire).

La Neuro-imagerie

L’IRM cérébrale est l’outil de choix pour visualiser les dommages cérébrovasculaires. Différentes séquences fournissent des informations complémentaires :

  • Séquence FLAIR (Fluid-Attenuated Inversion Recovery) : C’est la meilleure séquence pour visualiser les hypersignaux de la substance blanche, qui apparaissent comme des plages blanches et dont la sévérité peut être quantifiée (par exemple avec l’échelle de Fazekas).
  • Séquence T2 (ou imagerie de susceptibilité magnétique) :* Elle est très sensible à la présence de dépôts d’hémosidérine, le résidu du sang, et permet de détecter les micro-hémorragies cérébrales.
  • Séquence de diffusion (DWI) : Elle est utilisée pour détecter les infarctus ischémiques aigus.
  • L’imagerie de perfusion (Arterial Spin Labeling - ASL) : Une technique d’IRM sans injection qui permet de cartographier quantitativement le débit sanguin cérébral, mettant en évidence les zones d’hypoperfusion.
  • L’imagerie TEP (Tomographie par Émission de Positons) : La TEP au FDG mesure le métabolisme du glucose et peut montrer un hypométabolisme dans des régions spécifiques. La TEP amyloïde et la TEP Tau permettent de visualiser in vivo les pathologies spécifiques de la maladie d’Alzheimer.

La combinaison des données neuropsychologiques et de neuro-imagerie permet de poser un diagnostic plus précis de VCI, d’évaluer la contribution relative des pathologies vasculaire et neurodégénérative, et de suivre l’évolution de la maladie.

F. Stratégies de Prévention et Interventions Thérapeutiques : Protéger le Cœur pour Sauver l’Esprit

Face à l’évidence écrasante du lien cœur-cerveau, l’axe de la prévention et de l’intervention est clair : ce qui est bon pour le cœur est bon pour le cerveau. Les stratégies peuvent être classées en prévention primaire (avant l’apparition des symptômes), secondaire (ralentir la progression) et tertiaire (gérer les déficits installés).

1. Prévention Primaire et Secondaire : Le Contrôle Agressif des Facteurs de Risque Vasculaire

C’est la stratégie la plus efficace. Les interventions basées sur des preuves solides incluent :

  • Le contrôle de la pression artérielle : Des études majeures comme l’essai SPRINT-MIND ont montré qu’un contrôle intensif de la pression artérielle systolique (visant <120 mmHg) par rapport à un contrôle standard (<140 mmHg) réduit significativement le risque de survenue de troubles cognitifs légers et le volume des lésions de la substance blanche.
  • La gestion des lipides : L’utilisation de statines pour contrôler le cholestérol, bien que son effet direct sur la cognition soit encore débattu, est fondamentale pour la prévention des AVC et de la maladie coronarienne, qui sont des contributeurs majeurs au déclin cognitif.
  • Le traitement de la fibrillation atriale : L’anticoagulation orale chez les patients à risque est cruciale pour prévenir les AVC et potentiellement les micro-emboles silencieux.
  • La gestion du diabète : Un contrôle glycémique strict est essentiel, car le diabète est un puissant facteur de risque de maladie des petits vaisseaux et de MCV.
  • Les modifications du mode de vie :
    • L’activité physique régulière : Elle améliore la fonction endothéliale, réduit l’inflammation, stimule la neurogenèse (notamment dans l’hippocampe) et contrôle les autres facteurs de risque.
    • Une alimentation saine : Des régimes de type méditerranéen ou DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension), riches en fruits, légumes, grains entiers et acides gras insaturés, ont montré des bénéfices pour la santé cardiovasculaire et cognitive.
    • L’arrêt du tabac et la modération de la consommation d’alcool.
    • Le maintien d’un poids santé.

2. Interventions Tertiaires : Prise en Charge des Troubles Installés

Lorsque les déficits mnésiques et cognitifs sont présents, les interventions visent à optimiser le fonctionnement restant et à améliorer la qualité de vie :

  • La rééducation cognitive : Des programmes de stimulation ou d’entraînement cognitif peuvent aider les patients à développer des stratégies compensatoires pour gérer leurs difficultés de mémoire et d’attention dans la vie quotidienne.
  • Le traitement symptomatique : Bien qu’il n’existe pas de traitement pharmacologique approuvé spécifiquement pour le VCI, les inhibiteurs de la cholinestérase (utilisés dans la MA) peuvent parfois apporter un bénéfice modeste, surtout en cas de pathologie mixte.
  • L’optimisation continue du traitement cardiovasculaire : Il est crucial de continuer à gérer agressivement tous les facteurs de risque pour limiter la progression des lésions cérébrales.

Conclusion

L’époque où l’on pouvait considérer le cœur et le cerveau comme des entités isolées est définitivement révolue. L’accumulation de preuves scientifiques dessine un portrait clair et parfois alarmant de leur interdépendance. Les maladies cardiovasculaires, par le biais de l’hypoperfusion chronique, de la maladie des petits vaisseaux, des embolies et de l’inflammation systémique, exercent une pression constante et délétère sur l’architecture fragile de notre cerveau. Les troubles de la mémoire qui en résultent ne sont pas une fatalité anecdotique, mais la conséquence logique et prévisible d’une défaillance systémique. Le profil de ces troubles, qui affecte souvent en premier lieu la vitesse de traitement et les fonctions exécutives, porte la signature de l’atteinte vasculaire.

Plus important encore, la reconnaissance de la synergie entre les pathologies vasculaires et neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer redéfinit complètement nos stratégies de prévention de la démence. La santé cérébrale au grand âge se construit des décennies plus tôt, par le maintien d’une santé cardiovasculaire optimale. La surveillance de la pression artérielle, l’alimentation, l’exercice physique ne sont plus seulement des gestes pour préserver nos artères, mais des investissements directs dans notre capital cognitif futur. La cardiologie préventive est devenue, de fait, une neurologie préventive. Le dialogue entre le cœur et l’esprit est le fondement de notre vitalité ; le comprendre et le protéger est l’un des plus grands défis de la médecine du 21e siècle.

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