En france, quels sont les programmes de formation et d'intégration professionnelle des personnes avec une déficience intellectuelle ?
L’insertion professionnelle des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) constitue bien plus qu’un simple objectif économique ou une mesure de politique sociale. Elle interroge au plus profond les fondements de notre pacte républicain et la réalité tangible du concept d’inclusion. Alors que le discours public et législatif promeut unanimement l’égalité des chances et la participation citoyenne pour tous, les indicateurs d’emploi pour cette population demeurent à des niveaux qui forcent à la modestie et à l’introspection. Le travail, dans nos sociétés contemporaines, n’est pas uniquement un moyen de subsistance ; il est un vecteur fondamental d’identité, de reconnaissance sociale, de structuration du temps et de développement personnel. Le priver ou en limiter l’accès à une catégorie de citoyens sur la base de leurs aptitudes cognitives revient à questionner leur place même au sein de la Cité.
Cet article se propose de dépasser une vision purement compassionnelle ou administrative du sujet pour s’engager dans une analyse rigoureuse et multidimensionnelle des dispositifs de formation et d’intégration professionnelle en France. Il ne s’agit pas de dresser un catalogue de mesures, mais d’examiner de manière critique les paradigmes qui les sous-tendent, d’évaluer leur pertinence à la lumière des données scientifiques contemporaines et de sonder les facteurs psychologiques et sociaux qui conditionnent leur succès ou leur échec. En naviguant entre le cadre légal, les modèles théoriques d’accompagnement et les réalités de terrain, nous chercherons à comprendre les tensions, les innovations et les défis persistants qui caractérisent le paysage français. L’enjeu est ontologique : comment passer d’une logique historique de protection et d’occupation à une véritable ingénierie de l’empowerment et de la compétence, reconnaissant la personne avec une déficience intellectuelle non comme un bénéficiaire passif de l’aide sociale, mais comme un acteur potentiel du monde du travail, porteur de droits et de capacités.
A. Fondements conceptuels : De la déficience intellectuelle à l’intégration professionnelle
Avant d’analyser les dispositifs spécifiques, une clarification terminologique et conceptuelle s’impose. La notion de « déficience intellectuelle » a connu une évolution significative, s’éloignant d’un modèle purement médical et déficitaire pour adopter une approche bio-psycho-sociale. Selon les classifications de référence que sont le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux, 5e édition) et la CIM-11 (Classification Internationale des Maladies, 11e révision), le diagnostic de DI repose sur trois critères cumulatifs :
- Des déficits des fonctions intellectuelles, tels que le raisonnement, la résolution de problèmes, la planification, la pensée abstraite, le jugement, l’apprentissage scolaire et l’apprentissage par l’expérience, confirmés à la fois par une évaluation clinique et par des tests d’intelligence standardisés et individualisés.
- Des déficits des fonctions adaptatives, qui se traduisent par une incapacité à répondre aux exigences du développement et aux normes socio-culturelles en matière d’indépendance personnelle et de responsabilité sociale. Ces déficits limitent le fonctionnement dans un ou plusieurs domaines de la vie quotidienne, comme la communication, la participation sociale et la vie autonome, dans des contextes variés (domicile, école, travail, communauté).
- L’apparition de ces déficits durant la période de développement.
Cette définition multidimensionnelle est cruciale. Elle souligne que la limitation ne réside pas uniquement dans un score de quotient intellectuel (QI), mais bien dans l’interaction entre les capacités de l’individu et les exigences de son environnement. Par corollaire, l’intervention ne vise plus seulement à « réparer » un déficit intrinsèque, mais à moduler l’environnement et à développer les compétences adaptatives pour réduire l’écart fonctionnel.
Parallèlement, le concept d’« intégration professionnelle » doit être appréhendé dans sa complexité. Il ne se résume pas à la signature d’un contrat de travail. Une intégration réussie se mesure à travers plusieurs dimensions qualitatives :
- La stabilité et la pérennité de l’emploi : L’accès à un contrat durable (CDI, CDD long) plutôt qu’à des stages ou des contrats précaires.
- La qualité des conditions de travail : Une rémunération équitable, des horaires adaptés, un environnement de travail sécurisé et ergonomique.
- L’intégration sociale et relationnelle : Le sentiment d’appartenance à l’équipe, la qualité des interactions avec les collègues et la hiérarchie, la participation à la vie sociale de l’entreprise.
- Le développement des compétences et des perspectives de carrière : L’opportunité d’apprendre de nouvelles tâches, de suivre des formations et d’envisager une évolution professionnelle.
- L’autodétermination et la satisfaction personnelle : Le sentiment que l’emploi correspond aux choix et aux aspirations de la personne, et la satisfaction générale qu’elle en retire.
C’est à l’aune de ces définitions robustes que l’efficacité des programmes de formation et d’accompagnement doit être évaluée. L’objectif ultime n’est pas seulement de “placer” des individus, mais de co-construire des parcours professionnels significatifs et durables qui soutiennent leur pleine citoyenneté.
B. Le cadre légal et institutionnel français : Une architecture complexe
Le paysage français de l’emploi des personnes en situation de handicap est structuré par un édifice législatif et institutionnel dense, dont la pierre angulaire demeure la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi a profondément refondé l’approche du handicap en France, en le définissant comme une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie par une personne dans son environnement, due à une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions.
Cette loi a instauré ou renforcé plusieurs dispositifs clés :
- Les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) : Guichet unique départemental, la MDPH est le lieu d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil pour les personnes handicapées et leur famille. C’est la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH), siégeant au sein de la MDPH, qui prend les décisions relatives aux droits et prestations, notamment l’orientation professionnelle.
- La Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) : Décision administrative accordée par la CDAPH, la RQTH ouvre droit à un ensemble de mesures favorisant l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi. Elle est une condition quasi-sine qua non pour accéder à la plupart des dispositifs spécifiques.
- L’Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) : Tout employeur du secteur privé ou public d’au moins 20 salariés doit employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6% de son effectif total. En cas de non-respect, l’employeur doit verser une contribution financière à des organismes collecteurs comme l’AGEFIPH (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées) pour le secteur privé, ou le FIPHFP (Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique). Ces fonds financent en retour des aides et des services pour l’emploi des personnes handicapées.
Fondamentalement, le système français distingue deux grands types de milieux de travail pour les personnes en situation de handicap :
- Le milieu ordinaire de travail : Il regroupe les entreprises du secteur privé et les employeurs du secteur public. L’objectif premier de la loi de 2005 est de favoriser au maximum l’accès à ce milieu, selon le principe de non-discrimination.
- Le secteur du travail protégé et adapté : Il s’agit d’un environnement spécifiquement conçu pour les personnes dont les capacités de travail ne leur permettent pas, momentanément ou durablement, d’exercer une activité professionnelle dans le milieu ordinaire. Il comprend principalement :
- Les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT), qui sont des structures médico-sociales offrant des activités professionnelles et un soutien médico-social et éducatif. Les personnes y ayant un statut d’usager et non de salarié.
- Les Entreprises Adaptées (EA), qui sont des entreprises du milieu ordinaire, mais dont la spécificité est d’employer durablement au moins 55% de travailleurs handicapés. Les personnes y ont le statut de salarié de droit commun.
Cette architecture, bien que complète, génère une complexité administrative qui peut constituer un parcours d’obstacles pour les personnes avec une DI et leurs familles. De plus, la forte prégnance du secteur protégé, en particulier des ESAT, pose la question de sa perméabilité et de son rôle de tremplin — ou de frein — vers le milieu ordinaire.
C. Paradigmes d’intervention : Du “Former puis Placer” à l’Emploi Accompagné
L’analyse des programmes de formation et d’intégration révèle l’existence de deux paradigmes principaux, dont la philosophie et la méthodologie diffèrent radicalement.
1. Le modèle séquentiel “Former puis Placer” (Train-then-Place)
Ce modèle est l’approche la plus traditionnelle et la plus répandue en France, historiquement incarnée par le secteur du travail protégé. Sa logique est séquentielle :
- Phase 1 : Évaluation. Les capacités de la personne sont évaluées, souvent dans un cadre institutionnel (ESAT, centre de pré-orientation).
- Phase 2 : Formation. La personne suit un programme de formation professionnelle “hors les murs” de l’entreprise, dans un environnement protégé et structuré. L’objectif est de lui faire acquérir les compétences techniques (savoir-faire) et comportementales (savoir-être) jugées pré-requises pour intégrer le milieu ordinaire.
- Phase 3 : Placement. Une fois la personne jugée “prête à l’emploi” (“job ready”), une recherche d’emploi est initiée pour trouver une entreprise susceptible de l’accueillir.
Ce modèle repose sur le postulat que les compétences acquises en milieu protégé sont directement transférables en milieu ordinaire. Si cette approche offre un cadre sécurisant et progressif, la recherche scientifique internationale a mis en évidence ses limites majeures :
- Faible taux de transfert des compétences : Les habiletés apprises dans un environnement simulé ou protégé se généralisent difficilement à un contexte de travail réel, avec ses propres codes, son rythme et ses exigences sociales spécifiques.
- Risque de “syndrome de l’éternel stagiaire” : La personne peut rester indéfiniment en phase de préparation sans jamais être jugée suffisamment “prête”, créant une forme de ségrégation institutionnelle.
- Décalage avec les besoins réels du marché du travail : Les formations proposées peuvent ne pas correspondre aux compétences recherchées par les employeurs locaux.
- Stigmatisation : Le passage par une institution spécialisée peut renforcer les préjugés de l’employeur, qui perçoit le candidat comme étant “à part”.
2. Le modèle de l’Emploi Accompagné (“Placer puis Former” ou Supported Employment)
Développé initialement en Amérique du Nord dans les années 1980 et solidement validé par des décennies de recherche, le modèle de l’Emploi Accompagné (EA) inverse la logique traditionnelle. Son principe cardinal est “zéro exclusion” : toute personne exprimant le désir de travailler en milieu ordinaire doit pouvoir y accéder, quels que soient son niveau de déficience ou ses besoins de soutien. La formation se fait directement sur le poste de travail (“on-the-job training”).
Le modèle de l’EA repose sur plusieurs piliers fondamentaux :
- Focalisation sur le milieu de travail ordinaire : L’objectif est un emploi rémunéré, intégré dans la communauté.
- Placement rapide : La recherche d’emploi commence dès que la personne exprime son souhait de travailler, sans pré-requis de formation longue.
- Adéquation personne-emploi (Job Matching) : Il s’agit de trouver un emploi qui correspond non seulement aux compétences, mais aussi aux intérêts, aux préférences et aux besoins de soutien de la personne. L’analyse ne porte pas sur les “déficits” de la personne, mais sur la meilleure adéquation possible avec un environnement de travail.
- Soutien individualisé et continu : Un professionnel, le “job coach” ou “conseiller en emploi accompagné”, fournit un soutien intensif et sur-mesure, à la fois à la personne et à l’employeur. Ce soutien intervient avant, pendant et après l’embauche, aussi longtemps que nécessaire.
- Formation sur le tas : Le job coach aide la personne à apprendre les tâches directement sur son lieu de travail, en utilisant des techniques d’apprentissage systématique (décomposition des tâches, guidage, estompage, etc.). Il facilite également l’intégration sociale en aidant à décoder la culture d’entreprise et en favorisant les liens avec les collègues (les “soutiens naturels”).
- Partenariat avec l’employeur : Le job coach est une ressource pour l’entreprise. Il aide à l’analyse du poste, propose des adaptations, forme le tuteur et les équipes, et intervient en cas de difficulté.
Ce modèle, fondé sur les preuves (evidence-based practice), a démontré une efficacité significativement supérieure au modèle séquentiel pour l’obtention et le maintien d’emplois durables en milieu ordinaire pour les personnes avec une DI sévère. Il est passé d’une approche expérimentale à une politique publique reconnue dans de nombreux pays.
D. Analyse des dispositifs et programmes en France
La France, longtemps ancrée dans le modèle séquentiel, opère une transition lente et complexe, où coexistent des dispositifs relevant des deux paradigmes.
Les ESAT : Le pilier historique du secteur protégé
Les ESAT accueillent plus de 120 000 personnes en situation de handicap en France, dont une très large majorité présente une DI. Ils constituent une réponse sociale massive et incontournable. Leur mission est double : permettre l’exercice d’une activité professionnelle et offrir un soutien médico-social et éducatif visant à favoriser l’épanouissement personnel et social.
- Atouts et fonctions : Pour de nombreuses personnes et leurs familles, l’ESAT représente un environnement sécurisant, structurant et protecteur. Il offre un rythme de travail adapté, un encadrement permanent et un lieu de socialisation. Les activités proposées sont variées (conditionnement, espaces verts, restauration, blanchisserie, etc.) et souvent réalisées pour des entreprises clientes.
- Critiques et limites : Le modèle de l’ESAT fait l’objet de critiques récurrentes. Les travailleurs ne sont pas des salariés mais des usagers, leur rémunération (la “rémunération garantie”) est faible (entre 55,7% et 110,7% du SMIC, en partie financée par l’État), et leurs droits sociaux sont distincts de ceux du droit du travail commun. Le principal point de tension réside dans le très faible taux de transition vers le milieu ordinaire. Les statistiques montrent que moins de 1% des travailleurs d’ESAT intègrent durablement une entreprise ordinaire chaque année. L’ESAT, conçu comme un “tremplin”, fonctionne bien souvent comme un système clos, renforçant la ségrégation plutôt que l’inclusion.
- Évolutions récentes : Face à ce constat, des réformes récentes visent à fluidifier les parcours. Le plan de transformation des ESAT (2021) cherche à faciliter les “passerelles” en permettant des cumuls d’activité (temps partiel en ESAT et en entreprise ordinaire), en sécurisant le retour en ESAT en cas d’échec, et en renforçant les droits des travailleurs.
2. L’Emploi Accompagné : Une reconnaissance officielle mais un déploiement progressif
Le modèle de l’Emploi Accompagné a été officiellement introduit dans le droit français par la loi “Travail” du 8 août 2016 et son décret d’application de 2016. Il est défini comme un dispositif d’appui pour les personnes en situation de handicap destiné à leur permettre d’obtenir et de conserver un emploi rémunéré en milieu ordinaire.
Le “Dispositif d’Emploi Accompagné” (DEA) est porté par une personne morale (souvent une association du secteur médico-social ou de l’insertion) qui signe une convention avec l’Agence Régionale de Santé (ARS), l’AGEFIPH ou le FIPHFP, et l’État. Il s’appuie sur un “conseiller en emploi accompagné” (le job coach) qui met en œuvre l’accompagnement individualisé pour la personne et l’employeur.
- Avancées : L’officialisation de l’EA est une avancée paradigmatique majeure. Elle offre un cadre légal et un financement à une méthode dont l’efficacité est prouvée. Les premiers retours sur le déploiement national sont positifs en termes de taux d’accès et de maintien dans l’emploi pour les bénéficiaires, y compris ceux ayant des besoins de soutien importants.
- Défis de déploiement : Le déploiement reste hétérogène sur le territoire. Le nombre de places financées est encore limité par rapport aux besoins potentiels. La culture du “job coaching” est nouvelle en France et nécessite une professionnalisation et une formation accrues des conseillers. Un défi majeur est l’articulation du DEA avec les acteurs existants (Cap Emploi, Pôle Emploi, Missions Locales, ESAT) pour éviter les doublons et assurer la fluidité des parcours. De plus, il existe une tension culturelle entre la logique d’évaluation des “capacités” de la CDAPH, qui décide de l’orientation, et la philosophie “zéro exclusion” de l’EA.
Autres initiatives et dispositifs
Entre le modèle protégé de l’ESAT et l’inclusion individualisée de l’EA, d’autres dispositifs jouent un rôle :
- Les Entreprises Adaptées (EA) : Elles constituent une solution intermédiaire intéressante, offrant un véritable contrat de travail de droit commun dans un environnement qui reste majoritairement composé de salariés handicapés et donc potentiellement plus compréhensif et adapté.
- Les plateformes “emploi accompagné” d’associations : Avant même la loi de 2016, des associations pionnières (comme Trisomie 21 France ou l’Unapei) avaient développé leurs propres services d’insertion en milieu ordinaire basés sur les principes de l’EA, jouant un rôle de précurseur et d’innovateur.
- L’alternance et l’apprentissage adapté : Ces contrats, qui combinent formation théorique en centre et formation pratique en entreprise, peuvent être une voie d’accès privilégiée à la qualification et à l’emploi durable, à condition que le soutien soit adéquat.
E. Facteurs psychologiques et sociaux déterminant le succès de l’intégration
Le succès d’un parcours d’intégration professionnelle ne dépend pas uniquement de la qualité du dispositif d’accompagnement. Il est le fruit d’une interaction complexe de facteurs individuels, environnementaux et relationnels.
Le rôle central de l’autodétermination
L’autodétermination est un concept psychologique clé. Il se réfère à la capacité d’un individu à agir comme l’agent causal principal de sa propre vie et à faire des choix concernant sa qualité de vie, sans influence externe excessive. Pour une personne avec une DI, l’autodétermination se manifeste par :
- La capacité à exprimer ses propres choix et préférences en matière d’emploi.
- La participation active à la définition de son projet professionnel.
- Le développement de compétences en résolution de problèmes et en prise de décision.
- Un sentiment de contrôle sur son parcours (locus de contrôle interne).
La recherche a montré une corrélation positive forte entre un niveau élevé d’autodétermination et des résultats positifs en matière d’emploi (obtention d’un travail, meilleur salaire, plus grande satisfaction). Les programmes qui favorisent l’autodétermination, en plaçant la personne au centre des décisions, sont donc plus susceptibles de réussir.
Le profil cognitif et adaptatif
Au-delà du QI, d’autres compétences cognitives jouent un rôle crucial. Les fonctions exécutives (planification, organisation, flexibilité mentale, inhibition) et la cognition sociale (capacité à comprendre les intentions, les émotions et les conventions sociales) sont des prédicteurs importants de la capacité à s’adapter à un environnement de travail. Les programmes de formation et d’accompagnement doivent intégrer des interventions ciblées pour renforcer ces compétences, non pas en amont, mais en contexte, sur le lieu de travail.
L’écosystème de l’entreprise : Stigmates et soutiens
L’environnement de travail est un facteur déterminant. Les attitudes de l’employeur et des collègues peuvent agir comme de puissants facilitateurs ou, au contraire, comme des barrières insurmontables.
- Les préjugés et la stigmatisation : La peur, les stéréotypes (faible productivité, problèmes de comportement, coûts cachés) et le manque d’information de la part des employeurs restent le principal obstacle à l’embauche.
- Le rôle du management et de la culture d’entreprise : Une culture d’entreprise inclusive, portée par un management engagé, est essentielle. Cela se traduit par une politique de diversité claire, une sensibilisation des équipes et une volonté d’adapter l’environnement de travail.
- Les “soutiens naturels” : Les collègues de travail et le tuteur direct sont des alliés précieux. Le rôle du job coach est souvent de faciliter la création de ces liens de soutien naturels, qui sont plus durables et plus intégrateurs qu’un soutien professionnel permanent. Il s’agit de former les collègues à devenir des mentors, des aides ponctuelles, des relais d’information.
L’implication de l’environnement familial et social
La famille peut jouer un double rôle. Un soutien familial positif, qui encourage la prise de risque, l’autonomie et a des attentes élevées (mais réalistes), est un facteur de succès. À l’inverse, une surprotection, des craintes excessives ou de faibles attentes peuvent freiner les aspirations professionnelles de la personne.
F. Défis, limites et perspectives d’avenir
Malgré des avancées législatives et paradigmatiques notables, l’accès à l’emploi en milieu ordinaire pour les personnes avec une DI en France reste un défi majeur.
Défis actuels :
- La prégnance du modèle ségrégatif : Le système des ESAT, par son poids historique et numérique, continue de structurer majoritairement les parcours, avec une faible perméabilité vers le milieu ordinaire.
- La complexité administrative : L’empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs (MDPH, Pôle Emploi, Cap Emploi, ESAT, EA, DEA…) peuvent rendre les parcours illisibles et difficiles à naviguer.
- Le financement et le déploiement de l’Emploi Accompagné : Pour que l’EA devienne une solution systémique et non une niche, une augmentation substantielle des moyens financiers et une couverture territoriale complète sont indispensables.
- La formation des professionnels : Il est crucial de développer une culture commune et des compétences spécifiques chez tous les acteurs de l’accompagnement (conseillers en insertion, éducateurs, psychologues du travail) autour des modèles fondés sur les preuves comme l’EA et des concepts comme l’autodétermination.
- La lutte contre les stéréotypes : Le changement des représentations sociales et des attitudes des employeurs reste le levier le plus puissant et le plus difficile à actionner.
Perspectives d’avenir :
- Renforcer le virage inclusif : L’avenir réside dans l’accélération de la transition d’un système centré sur les structures vers un système centré sur les personnes et leurs projets, avec des budgets alloués en fonction des besoins de soutien individualisés plutôt que des places en établissement.
- Promouvoir des carrières, pas seulement des emplois : L’enjeu n’est pas seulement le premier emploi, mais le développement de véritables parcours professionnels, avec des possibilités de formation continue, de mobilité et de promotion.
- Intégrer les technologies d’assistance : Les nouvelles technologies (applications de guidage pas-à-pas, aides cognitives sur smartphone, réalité virtuelle pour l’entraînement) offrent un potentiel considérable pour soutenir l’apprentissage et l’autonomie sur le lieu de travail.
- Développer la recherche évaluative : Il est impératif de mener en France des recherches longitudinales et rigoureuses pour évaluer l’efficacité comparée des différents dispositifs, mesurer leur impact sur la qualité de vie et identifier précisément les leviers d’une intégration réussie.
Conclusion
L’intégration professionnelle des personnes présentant une déficience intellectuelle en France se trouve à un point d’inflexion. Le cadre légal a posé les jalons d’une société plus inclusive, et l’émergence de modèles innovants comme l’Emploi Accompagné offre des perspectives prometteuses, fondées sur des décennies de recherche internationale. Cependant, le poids des structures historiques, la persistance des préjugés et la complexité du système freinent encore cette transformation.
Le passage d’une logique de placement à une ingénierie de l’accompagnement personnalisé, centré sur l’autodétermination et l’adéquation personne-environnement, est la condition sine qua non du succès. Cela exige un investissement massif non seulement financier, mais aussi humain : dans la formation des professionnels, la sensibilisation des employeurs et le soutien aux familles. La question n’est plus de savoir si les personnes avec une déficience intellectuelle peuvent travailler en milieu ordinaire, car la réponse est affirmative. La véritable question est de savoir comment nous, en tant que société, mobilisons collectivement l’intelligence, les ressources et la volonté politique pour faire de ce droit une réalité tangible et généralisée. L’enjeu dépasse la seule question du handicap ; il est un indicateur de la capacité de notre société à valoriser la contribution de chacun de ses membres, dans toute la richesse de leur diversité.
Les sources :
Ames, A., & Dufour, S. (2018). L’emploi accompagné : Un levier pour l’accès et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap psychique. L’Information Psychiatrique, 94(10), 833-839. https://www.jle.com/fr/revues/ipe/e-docs/lemploi_accompagne_un_levier_pour_lacces_et_le_maintien_dans_lemploi_des_personnes_en_situation_de_handicap_psychique_314385/article.phtml
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). (2022). Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) : Une hausse de la fréquentation entre 2014 et 2018. Les Dossiers de la DREES, n°97. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-07/DD97_ESAT.pdf
Gouvernement Français - Secrétariat d’État chargé des Personnes handicapées. (2021). Engagements du Gouvernement pour la transformation des ESAT et l’emploi des personnes handicapées. Dossier de Presse. https://handicap.gouv.fr/sites/handicap/files/2021-07/DP_-_Engagements_Gouvernement_pour_la_transformation_des_ESAT_et_l-emploi_des_personnes_handicapees_-_15.07.2021.pdf
Lachapelle, Y., Wehmeyer, M. L., Haelewyck, M.-C., Courbois, Y., & Jean, K. (2006). L’autodétermination et les personnes présentant une déficience intellectuelle : pour une meilleure compréhension du concept. Revue Francophone de la Déficience Intellectuelle, 17(1), 1-13. https://www.erudit.org/fr/revues/rfdi/2006-v17-n1-rfdi1563/014792ar.pdf
Ravaud, J.-F., & Stiker, H.-J. (2018). L’emploi des personnes handicapées en France : les paradoxes d’une politique publique. Alter, 12(3), 143-154. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S187506721830026X
Wehmeyer, M. L., & Shogren, K. A. (2017). Handbook of research-based practices for educating students with intellectual disability. Routledge. (Note : Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage, sa synthèse des pratiques fondées sur les preuves, notamment l’emploi accompagné et l’autodétermination, est une référence fondamentale qui sous-tend l’analyse des modèles. Une URL vers la page de l’éditeur est fournie à titre indicatif). https://www.routledge.com/Handbook-of-Research-Based-Practices-for-Educating-Students-with-Intellectual/Wehmeyer-Shogren/p/book/9781138854483