État des lieux en France du harcèlement scolaire en primaire et collège
L’école, dans l’imaginaire collectif et le projet républicain, se dresse comme un sanctuaire. Un lieu sanctuarisé, dédié à l’émancipation par le savoir, à la construction de la citoyenneté et à l’épanouissement de l’individu. Pourtant, derrière les murs de cette institution fondamentale, se joue quotidiennement un drame silencieux et insidieux : celui du harcèlement. Loin d’être une simple succession de “taquineries” ou de “jeux d’enfants”, le harcèlement scolaire constitue une forme de violence psychologique et/ou physique systémique, dont les répercussions sur le développement psychomoteur, affectif et cognitif de l’enfant et de l’adolescent sont désormais scientifiquement établies et documentées.
Aborder l’état des lieux du harcèlement en France à l’horizon 2025 n’est pas un simple exercice de compilation statistique. C’est une plongée au cœur des dynamiques psychosociales qui animent les cours de récréation et les espaces numériques. C’est interroger la capacité de notre système éducatif à protéger les plus vulnérables, à éduquer à l’empathie et à réguler les interactions sociales dans un monde en pleine mutation. Cet article se propose d’analyser, avec la rigueur d’une approche clinique et sociologique, les multiples facettes de ce phénomène en primaire et au collège. Nous examinerons non seulement sa prévalence et ses manifestations contemporaines, mais aussi ses soubassements psychologiques, l’impact des nouvelles technologies, et l’arsenal législatif et préventif mis en place par les pouvoirs publics. Car comprendre le harcèlement en 2025, c’est décrypter les angoisses, les rapports de force et les défis d’une génération en construction.
A. Définition, taxonomie et dynamique écosystémique du harcèlement scolaire
Pour appréhender la complexité du harcèlement scolaire, une clarification conceptuelle s’impose. La recherche internationale, consolidée depuis les travaux pionniers de Dan Olweus dans les années 1970, s’accorde sur trois critères cumulatifs pour distinguer le harcèlement d’un conflit ponctuel ou d’une simple dispute :
- L’intentionnalité et la nature de l’acte : Il s’agit d’un comportement agressif, délibérément nuisible, visant à blesser, humilier ou exclure la cible. Cette intention peut être explicite ou implicite, mais elle sous-tend l’ensemble des interactions.
- La répétition : Les agressions ne sont pas isolées. Elles s’inscrivent dans la durée, se répétant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est cette récurrence qui installe un climat de peur et d’insécurité permanent pour la victime.
- Le déséquilibre de pouvoir (réel ou perçu) : L’agresseur (ou le groupe d’agresseurs) domine sa victime. Ce pouvoir peut être physique (différence de force, d’âge), social (popularité, charisme, nombre) ou psychologique (capacité de manipulation, assurance). La victime se sent impuissante, incapable de se défendre efficacement.
Ces trois piliers définissent un cadre nosologique précis. Sur cette base, une taxonomie des différentes formes de harcèlement peut être établie :
- Harcèlement physique : C’est la forme la plus visible. Elle inclut les coups, les bousculades, les pincements, le vol ou la dégradation de matériel scolaire, les contacts physiques non désirés et à connotation sexuelle. Bien que souvent associée aux plus jeunes, elle persiste au collège sous des formes plus subtiles ou ritualisées.
- Harcèlement verbal : Extrêmement fréquent, il se manifeste par des insultes, des moqueries systématiques (sur l’apparence physique, les origines, les résultats scolaires, l’orientation sexuelle réelle ou supposée), des surnoms dégradants, des menaces. Sa violence est souvent sous-estimée, alors que son impact sur l’estime de soi est dévastateur.
- Harcèlement social ou relationnel : Plus insidieux, ce type de harcèlement vise à isoler socialement la victime. Il se traduit par la propagation de rumeurs, l’ostracisme (ignorer délibérément la personne), la manipulation des relations amicales pour exclure la cible, ou encore l’incitation à ne pas interagir avec elle. Cette forme est particulièrement prégnante chez les filles au collège.
- Cyberharcèlement : Il s’agit de la déclinaison numérique des formes précédentes. Nous y consacrerons une section spécifique, tant ses caractéristiques modifient en profondeur la dynamique du harcèlement.
Au-delà de cette classification, il est crucial de comprendre que le harcèlement n’est pas une simple relation dyadique (agresseur-victime). Il s’opère au sein d’un véritable écosystème, tel que théorisé par Christina Salmivalli. Cet écosystème inclut :
- L’agresseur (ou harceleur) : Celui qui initie et mène les agressions.
- La victime : Celle qui subit les agressions de manière répétée.
- Les assistants de l’agresseur : Ils ne sont pas à l’initiative mais participent activement aux brimades.
- Les renforçateurs : Ils soutiennent le harcèlement par leurs rires, leur présence, leurs encouragements, donnant ainsi une caution sociale à l’agresseur.
- Les témoins silencieux (ou “bystanders”) : Le groupe le plus large. Ils voient ce qui se passe mais n’interviennent pas, souvent par peur de devenir eux-mêmes des cibles, par indifférence ou par sentiment d’impuissance. Leur passivité valide implicitement l’agression.
- Les défenseurs : Une minorité qui prend activement la défense de la victime, soit en intervenant directement, soit en allant chercher de l’aide auprès des adultes.
En 2025, l’analyse du harcèlement ne peut faire l’économie de cette vision systémique. La prévention et l’intervention efficaces ne visent plus seulement le harceleur et la victime, mais l’ensemble du groupe de pairs, et en particulier la “majorité silencieuse”, dont le basculement vers un rôle de défenseur est l’un des leviers les plus puissants pour modifier le climat scolaire.
B. Épidémiologie du phénomène en France : chiffres et tendances prospectives pour 2025
Quantifier le harcèlement scolaire est un exercice complexe, soumis aux biais de déclaration et à la diversité des méthodologies d’enquête. Néanmoins, les données issues des enquêtes nationales de climat scolaire et de victimation menées par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, ainsi que les rapports d’associations comme UNICEF France, permettent de dégager des tendances robustes que l’on peut projeter pour 2025.
En se basant sur les dernières vagues d’enquêtes (2022-2024), on estime qu’environ 10% des collégiens déclarent subir une forme de harcèlement, dont 5 à 6% de manière sévère à très sévère. En primaire (CM1-CM2), la prévalence est plus difficile à mesurer en raison des capacités cognitives et verbales des enfants pour qualifier leur vécu, mais les estimations oscillent entre 5% et 12% selon les études et les critères retenus.
Pour 2025, plusieurs tendances de fond se dessinent :
- Une verbalisation accrue mais une prévalence stable : Grâce aux campagnes de sensibilisation nationales (comme le programme pHARe) et à une plus grande médiatisation, la parole des victimes se libère davantage. On peut donc s’attendre à une augmentation des signalements. Cette hausse ne signifiera pas nécessairement une aggravation du phénomène en termes absolus, mais plutôt une meilleure visibilité et une tolérance sociale en baisse. La prévalence globale devrait rester stable, voire connaître une très légère décrue si les politiques préventives portent leurs fruits, mais le nombre de cas traités par les établissements et les services académiques est voué à augmenter.
- Une précocité du harcèlement : Les observations cliniques et les remontées de terrain indiquent une apparition du harcèlement de plus en plus tôt, dès le cycle 2 (CP, CE1). Les dynamiques d’exclusion et de moqueries se mettent en place très jeune, souvent avant que les enfants ne possèdent le vocabulaire pour le nommer. En 2025, la prise de conscience de ce phénomène en primaire sera un enjeu majeur, nécessitant des outils de détection et de prévention adaptés à cette tranche d’âge.
- La différenciation par genre : Les tendances observées devraient se confirmer. Les garçons restent surreprésentés dans le harcèlement physique et les agressions directes. Les filles, quant à elles, sont majoritairement victimes et auteures de harcèlement relationnel (ostracisme, rumeurs), une forme plus difficile à détecter pour les équipes éducatives. Le cyberharcèlement touche les deux genres de manière significative, mais avec des modalités différentes : les filles sont plus souvent la cible de “slut-shaming” (commentaires dégradants sur leur sexualité ou leur apparence), tandis que les garçons sont plus exposés aux provocations liées aux jeux en ligne et aux défis.
- L’explosion des vulnérabilités ciblées : Le harcèlement n’est pas aléatoire. Il s’ancre dans les stéréotypes et les préjugés. En 2025, les motifs de harcèlement les plus fréquemment rapportés continueront d’être l’apparence physique (poids, taille, acné, port de lunettes), mais avec une intensification des ciblages liés :
- Au handicap (visible ou invisible, comme les troubles “dys”).
- À l’identité de genre et à l’orientation sexuelle (réelle ou supposée), avec une augmentation notable des violences LGBTphobes dès le collège.
- À l’origine sociale ou ethnique, même si ce motif est souvent masqué par d’autres prétextes.
- À l’excellence ou à la difficulté scolaire, qui toutes deux peuvent être des marqueurs de “différence” et donc des prétextes à l’exclusion.
L’état des lieux de 2025 sera donc celui d’un phénomène dont la prévalence brute reste à un niveau élevé et préoccupant, mais dont la connaissance, la détection et la qualification par l’institution scolaire et la société seront, espérons-le, plus fines et réactives.
C. Soubassements psychologiques et impacts neuro-développementaux
Comprendre le harcèlement exige de dépasser la simple observation comportementale pour explorer les mécanismes psychiques à l’œuvre chez les protagonistes, ainsi que les conséquences neurobiologiques sur les victimes.
Profils psychologiques des acteurs :
Il est essentiel de se défaire des caricatures. Le “harceleur” n’est pas systématiquement un individu atteint de psychopathologie lourde, ni la “victime” une personnalité intrinsèquement faible. Les profils sont nuancés.
- Le harceleur proactif : Il correspond à l’image classique du leader négatif. Il utilise l’agression comme un instrument pour asseoir sa popularité et son statut social. Souvent, il présente un déficit d’empathie affective (il ne ressent pas la détresse de l’autre) mais une bonne empathie cognitive (il comprend ce qui va faire mal à l’autre). Il peut manifester une faible anxiété et une haute estime de soi en façade, masquant parfois des insécurités profondes.
- Le harceleur réactif (ou “victime-agresseur”) : Ce profil est complexe. Il s’agit souvent d’élèves qui ont eux-mêmes été victimes de violence (à l’école ou dans la sphère familiale) ou qui présentent une grande impulsivité et une faible tolérance à la frustration. Leur agression est une réponse perçue comme défensive à une provocation, réelle ou imaginée. Ils interprètent souvent les signaux sociaux neutres comme hostiles. Ils sont à la fois auteurs et victimes, pris dans un cycle de violence.
- La victime passive/soumise : C’est le profil le plus étudié. Ces élèves présentent souvent une anxiété sociale, une faible estime de soi, et une certaine prudence ou timidité. Ils peuvent avoir des difficultés à s’affirmer et à développer des compétences sociales de défense. Leur détresse est souvent internalisée (anxiété, dépression, somatisation).
- La victime provocatrice : Moins fréquente, cette catégorie concerne des élèves qui, par leur comportement agité, irritant ou socialement inadapté (souvent lié à des troubles comme le TDAH), suscitent l’exaspération et des réactions négatives de la part de leurs pairs, qui peuvent ensuite basculer dans le harcèlement.
Impacts neuro-développementaux et psychopathologiques sur la victime :
Le harcèlement scolaire n’est pas une épreuve anodine. Il constitue une expérience de stress chronique et toxique durant des périodes critiques du développement cérébral (enfance et adolescence). Les recherches en neurosciences affectives et sociales ont mis en lumière ses profondes répercussions :
- Dérèglement de l’axe du stress : Le harcèlement active de manière chronique l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), responsable de la production de cortisol, l’hormone du stress. Une exposition prolongée à des niveaux élevés de cortisol peut altérer le fonctionnement de l’hippocampe (impliqué dans la mémoire et la régulation des émotions) et de l’amygdale (le centre de la peur), conduisant à un état d’hypervigilance et d’anxiété permanent.
- Altération du cortex préfrontal : Cette région, cruciale pour les fonctions exécutives (planification, prise de décision, régulation des impulsions et des émotions), est en pleine maturation à l’adolescence. Le stress chronique peut perturber ce développement, entraînant des difficultés de concentration, une baisse des performances scolaires et des difficultés à réguler ses propres émotions.
- Conséquences psychopathologiques à court et long terme : L’impact sur la santé mentale est massif. À court terme, les victimes présentent des taux significativement plus élevés de :
- Symptomatologie anxio-dépressive.
- Idées suicidaires et tentatives de suicide.
- Troubles du sommeil et de l’alimentation.
- Phobie scolaire.
- Symptômes somatiques (maux de tête, maux de ventre).
À long terme, les études longitudinales montrent que les anciennes victimes de harcèlement ont un risque accru de développer à l’âge adulte des troubles dépressifs majeurs, des troubles anxieux, des troubles paniques, et une plus grande difficulté dans les relations sociales et professionnelles. L’enjeu de 2025 est donc de faire reconnaître le harcèlement non seulement comme un problème de discipline, mais comme un enjeu de santé publique majeur.
D. La sphère numérique : le cyberharcèlement comme amplificateur et transformateur
L’état des lieux de 2025 serait incomplet sans une analyse approfondie du cyberharcèlement. L’omniprésence des smartphones dès l’entrée au collège, et parfois même en fin de primaire, a radicalement transformé la nature du harcèlement en abolissant la frontière entre l’espace scolaire et la sphère privée. Le cyberharcèlement n’est pas une catégorie à part, mais le prolongement et l’amplification du harcèlement “traditionnel”. Il en possède cependant des caractéristiques spécifiques qui le rendent particulièrement toxique :
- L’invasion permanente : Le harcèlement ne s’arrête plus aux portes de l’école ou du domicile. Il poursuit la victime 24h/24, 7j/7, via les notifications, les messages, les publications. Le refuge du foyer n’existe plus, générant un sentiment d’oppression et d’impuissance total.
- La permanence des contenus : Une photo humiliante, une vidéo dégradante ou une rumeur peuvent rester en ligne indéfiniment (“l’effet Streisand”). Même si le contenu initial est supprimé, il a pu être copié, partagé, et peut resurgir à tout moment, créant une angoisse durable.
- L’audience démultipliée : Une moquerie dans la cour de récréation est entendue par quelques dizaines d’élèves. Une publication humiliante sur un réseau social comme TikTok, Instagram ou Snapchat peut potentiellement être vue par des centaines, voire des milliers de personnes en quelques heures. L’humiliation est publique et virale, son ampleur est écrasante.
- L’anonymat (ou le pseudonymat) : Bien que l’anonymat complet soit rare, le pseudonymat et la création de faux comptes (comptes “cramptés”) favorisent la désinhibition en ligne. Protégés par l’écran, les auteurs osent des propos et des actes d’une violence qu’ils n’assumeraient pas en face à face. Cela rend également l’identification des agresseurs plus complexe pour les victimes et les adultes.
- Les formes spécifiques : Le cyberharcèlement a généré son propre lexique et ses propres pratiques :
- Flaming : Envoi de messages violents et insultants.
- Outing : Révélation d’informations intimes ou secrètes sur une personne sans son consentement (par exemple, son orientation sexuelle).
- Exclusion : Éviction délibérée d’un groupe de discussion en ligne (WhatsApp, etc.).
- Happy slapping : Filmer l’agression physique d’une personne pour la diffuser en ligne.
- Usurpation d’identité numérique : Créer un faux profil au nom de la victime pour publier des contenus compromettants.
En 2025, la quasi-totalité des situations de harcèlement sévère au collège comportera une dimension numérique. L’éducation aux médias et à l’information, la formation à une “citoyenneté numérique” responsable, et la collaboration entre les établissements scolaires, les familles et les plateformes numériques sont devenues des piliers incontournables de toute politique de prévention efficace.
E. Le rôle du climat scolaire et des stratégies préventives en France
Face à ce constat, la réponse française s’est progressivement structurée, passant d’une approche purement réactive et disciplinaire à une approche plus globale et préventive, centrée sur la notion de “climat scolaire”. Le climat scolaire peut être défini comme la perception qu’ont les élèves et les personnels de la qualité de vie et de la sécurité au sein de l’établissement. Un climat scolaire positif, caractérisé par des relations bienveillantes, un sentiment de justice et d’équité, et un fort sentiment d’appartenance, est le meilleur rempart contre le harcèlement.
À l’horizon 2025, la politique publique française repose principalement sur le programme pHARe (Programme de lutte contre le Harcèlement à l’École), généralisé à toutes les écoles et tous les collèges depuis 2022. Ce programme s’articule autour de plusieurs axes stratégiques :
- La formation des personnels : Former l’ensemble de la communauté éducative (enseignants, CPE, AED, direction) à la détection des signaux faibles, à la psychologie du harcèlement et aux protocoles d’intervention. C’est un prérequis fondamental, bien que sa mise en œuvre homogène sur tout le territoire reste un défi.
- La création d’équipes ressources : Dans chaque établissement, une équipe pluridisciplinaire est désignée comme référente sur la question du harcèlement. Elle est chargée de coordonner les actions de prévention et de traiter les situations signalées.
- La méthode de la “préoccupation partagée” (MPP) : Pour les situations avérées, cette méthode non blâmante est de plus en plus privilégiée. Elle consiste à réunir un groupe d’élèves (incluant les agresseurs, les témoins et des élèves au comportement pro-social) non pas pour les accuser, mais pour leur faire part de la “préoccupation” de l’équipe éducative concernant la souffrance d’un élève. L’objectif est de susciter l’empathie et de les amener à proposer eux-mêmes des solutions pour que la situation cesse. Cette approche, si elle est bien menée, donne des résultats probants en désamorçant la dynamique de groupe.
- La sensibilisation des élèves et la nomination d’ambassadeurs : Des séances de sensibilisation sont intégrées au temps scolaire. Le programme des “ambassadeurs collégiens” vise à former des élèves volontaires pour qu’ils deviennent des relais de la prévention auprès de leurs pairs. C’est une reconnaissance de l’importance du rôle des témoins dans la régulation des violences.
- L’implication des parents : La coéducation est un axe essentiel. Des réunions d’information et des ressources sont proposées aux parents pour les aider à repérer les signes de mal-être chez leur enfant (qu’il soit victime, auteur ou témoin) et à adopter la bonne posture.
En complément de ce programme préventif, l’arsenal législatif s’est renforcé. La loi du 2 mars 2022 a créé un délit de harcèlement scolaire, passible de peines allant jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime. Si cette judiciarisation a une forte portée symbolique, son efficacité préventive reste débattue. Elle est avant tout une réponse a posteriori et ne doit pas se substituer au travail éducatif et préventif en amont, qui demeure la clé de voûte de la lutte contre le harcèlement. L’enjeu pour 2025 sera d’évaluer l’articulation entre ces deux approches, la préventive et la répressive, pour garantir une réponse graduée et adaptée à chaque situation.
F. Perspectives, défis et nouvelles pistes pour 2025 et au-delà
L’état des lieux en 2025 s’inscrit dans un contexte de défis émergents et de pistes d’intervention prometteuses.
Les défis futurs :
- L’intelligence artificielle et les nouvelles technologies : L’émergence d’outils d’IA générative (deepfakes, génération de textes haineux) pourrait créer de nouvelles formes de cyberharcèlement encore plus sophistiquées et difficiles à contrer. La vigilance et l’adaptation des stratégies de prévention seront permanentes.
- La santé mentale des jeunes : La crise de la santé mentale post-pandémie chez les adolescents (hausse des troubles anxieux et dépressifs) crée un terreau fertile pour les dynamiques de harcèlement. Des jeunes plus anxieux sont à la fois plus vulnérables à la victimisation et potentiellement plus enclins à des agressions réactives. L’articulation entre l’Éducation nationale et les services de pédopsychiatrie (CMP, maisons des adolescents) est plus que jamais un enjeu stratégique.
- L’évaluation rigoureuse des programmes : Beaucoup de programmes sont mis en place, mais leur évaluation scientifique rigoureuse (études randomisées contrôlées) reste rare en France. Pour 2025 et au-delà, il sera crucial de fonder les politiques publiques sur des données probantes (“evidence-based policy”) pour ne retenir que les interventions qui ont un impact réel et mesurable sur la baisse de la prévalence du harcèlement.
Les pistes prometteuses :
- Le développement des compétences psychosociales (CPS) : Au-delà de la seule prévention du harcèlement, l’enseignement structuré des CPS dès le plus jeune âge est une piste d’avenir. Il s’agit d’apprendre aux enfants à identifier et gérer leurs émotions, à développer leur empathie, à résoudre les conflits de manière constructive et à prendre des décisions responsables. Des programmes internationaux comme le programme finlandais KiVa ont montré leur efficacité.
- La justice restauratrice : En complément des sanctions disciplinaires ou des méthodes comme la MPP, les pratiques de justice restauratrice (cercles restaurateurs, médiation) peuvent être pertinentes. Elles permettent de mettre l’accent sur la réparation du lien social et la reconnaissance du tort causé, en impliquant la victime, l’auteur et la communauté éducative dans un processus de dialogue sécurisé.
- Une approche inclusive universelle : La meilleure prévention du harcèlement est la construction d’une école véritablement inclusive, où la différence n’est pas perçue comme une menace ou une anomalie, mais comme une richesse. Travailler sur les stéréotypes de genre, la validisme, le racisme et les LGBTphobies de manière transversale dans les enseignements est une stratégie de fond pour assécher les racines du harcèlement.
Conclusion
L’état des lieux du harcèlement scolaire en France à l’horizon 2025 révèle une situation paradoxale. D’une part, une prise de conscience collective sans précédent, incarnée par un cadre légal renforcé et des programmes de prévention systémiques comme pHARe. D’autre part, une prévalence qui demeure à un niveau alarmant, des formes de violence qui se transforment au gré des évolutions technologiques, et un impact sur la santé mentale des jeunes qui constitue un défi de santé publique de premier ordre.
L’analyse psychologique et systémique montre que le harcèlement n’est pas une fatalité inhérente à la vie en groupe, mais le symptôme d’un dysfonctionnement dans les interactions sociales, souvent exacerbé par un déficit d’éducation à l’empathie et à la régulation émotionnelle. La réponse ne peut donc être uniquement punitive ou réactive. Elle doit être profondément éducative, préventive et restauratrice.
Pour que l’école de 2025 se rapproche de son idéal de sanctuaire républicain, l’effort doit être collectif et soutenu. Il engage la responsabilité des pouvoirs publics dans la formation et les moyens alloués, celle des équipes éducatives dans leur vigilance et leur engagement quotidien, celle des parents dans leur rôle de coéducateurs, et enfin, celle des élèves eux-mêmes, qui doivent être responsabilisés et outillés pour devenir les premiers acteurs d’un climat scolaire bienveillant et sécurisant. La lutte contre le harcèlement est bien plus qu’une politique sectorielle ; elle est le reflet de notre capacité, en tant que société, à prendre soin des liens qui nous unissent et à protéger les plus fragiles durant les années fondatrices de leur existence.
Les sources :
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